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Les conciergeries de territoire : une innovation en milieu rural ?

Comptoir de campagne - Boisset-St-Priest (42)
Comptoir de campagne - Boisset-St-Priest (42)
Le 20 janvier 2020

Depuis six à sept ans, de nouvelles initiatives voient le jour en espace rural pour organiser des services à la population ou aux entreprises. Gros plan sur les conciergeries de territoire.

Les services publics en milieu rural sont régulièrement l’objet de disputes entre ceux qui alertent sur leur disparition progressive signe de l’abandon des campagnes et ceux qui considèrent que les campagnes sont très bien pourvues en services et que l’État doit concentrer ses efforts sur les maux de la ville, reflet de cette opposition stérile entre les villes et les campagnes. Les exemples localisés de fermeture de classes ou de perceptions, les ouvertures de maisons de retraite peuvent être recensées à l’échelle locale mais il est difficile de disposer d’une vision globale malgré les schémas départementaux d’accessibilité des services au public impulsés par la loi NOTRe. La réalité statistique illustre une réalité beaucoup plus complexe. Le faible niveau d’équipement moyen en services publics et au public, dans les espaces très peu denses, notamment sur les commerces et la santé, comparativement aux zones densément urbanisées, ne surprendra pas. Mais, a contrario, on n’observe pas de recul généralisé des services publics depuis les années quatre-vingt dix – même si cette stagnation contraste déjà avec la période antérieure où ils étaient en progression.

En réalité, les dynamiques sont très différenciées selon les types de services et selon les types de territoires ruraux : évolution plutôt positive pour la santé en lien avec le vieillissement des campagnes, le déploiement d’une économie présentielle et les efforts de structuration de l’offre de santé sur les petits pôles, même si les tensions sur certains métiers sont réelles (médecins généralistes) ; évolutions au contraire défavorables sur les commerces et surtout sur l’éducation (entre 1980 et 2013, 7 400 communes ont perdu leur école et entre 2007 et 2016 en nombre d’équipements d’enseignement, le recul du nombre d’équipement atteint – 3 % sur le rural peu dense, et – 14 % sur le très peu dense). Quelle est alors la pertinence de la notion de réseau face à celle de proximité ? Comment la mobilité peut-elle être prise en compte, à quelle échelle et en fonction de quels services ? Face au retrait de l’État ou de l’initiative privée pour tel ou tel service, les acteurs locaux et les collectivités peuvent faire preuve d’innovation et d’ingéniosité pour maintenir un niveau de services élevé aux habitants… à l’image du mouvement des « conciergeries » rurales.

Un mode émergent d’organisation de services en espace rural

Depuis six à sept ans, de nouvelles initiatives voient le jour en espace rural pour organiser des services à la population ou aux entreprises. Elles sont à la croisée de plusieurs mouvements de fond : la disparition ou l’éloignement de certains services publics ou commerces de proximité, la volonté de territoires (communes, intercommunalité, acteurs privés) de maintenir des conditions de vie et d’activités économiques dans ces espaces et enfin l’aspiration de collectifs entrepreneuriaux qui souhaitent développer des activités économiques (marchandes ou non marchandes) mais aussi agir sur les conditions de vie (convivialité, bien être, services aux populations, etc.).

La conciergerie de territoire est difficile à qualifier au regard de la diversité des objectifs, des formes, des porteurs de projets et des contenus existants à ce jour. C’est ce qui en fait leur force : elles émergent en réponse à un contexte local et elles s’adaptent dans le temps à des situations locales. On peut cependant retenir que le métier d’une conciergerie de territoire est « de simplifier le quotidien de ses bénéficiaires (entreprises, établissements, actifs, habitants) en apportant une multitude de services et de produits, accessibles, de qualité, de proximité tout en contribuant au développement des acteurs professionnels locaux (commerçants, associations, producteurs, artisans) et à l’emploi local ».

En cela les conciergeries de territoire rejoignent le mouvement, apparu maintenant depuis une petite dizaine d’années, d’émergence de conciergeries en tout genre, plutôt urbaines (conciergeries en hôpital ou en entreprises, conciergeries de rue, etc.). Elles s’en démarquent par leur ancrage dans les dynamiques de développement d’un territoire et dans l’ESS.

Les conciergeries de territoire contribuent à la vitalité des territoires ruraux. Elles ont un impact sur la création d’emplois, le maintien d’entreprises ou de la population auxquelles elles apportent des services. Elles mobilisent des acteurs privés (collectifs entrepreneuriaux ou citoyens) et publics (collectivités territoriales, départements, régions, État, etc.) dans des types de partenariats nouveaux. Elles sont un lieu de réflexion sur la combinaison d’activités et de services, marchands ou non marchands. Elles proposent des services adaptés aux évolutions des modes de vie (mobilité, numérique, etc.) et favorisent le lien social et la convivialité par de l’animation, des événements en lien avec le tissu associatif et économique local (les producteurs, par exemple).

Deux exemples pour illustrer ces propos :

Comptoir de campagne dans la Loire – Entreprise de l’économie sociale et solidaire (SAS labellisé ESUS) qui développe un modèle de commerces multiservices, physiques et connectés, pour ramener des services de proximité au cœur des villages. Aujourd’hui neuf magasins installés dans des communes rurales qui commercialisent des produits locaux en circuit court, des services de proximité et proposent une offre de petite restauration. L’offre s’adapte à chacun des villages en proposant des activités complémentaires (coiffure, esthétique, co-working, etc.). Les comptoirs fonctionnent en grappe de six afin de mutualiser des fonctions du type approvisionnement (www.comptoirdecampagne.fr).

La Commoderie (Val’horizon) dans l’Ain – Point relais de produits et de services qui mettent en relation des habitants, des salariés, des entreprises du territoire avec des associations, des artisans, des commerçants locaux. Ces lieux développent des animations régulières. La commoderie est un maillage entre des conciergeries de village, de quartier et d’entreprises. Un projet de coopération et de mutualisation en recherche d’un modèle économique stabilisé (www.lacommoderie.fr).

Étant expérimentales, elles s’adaptent en continu au développement de leurs activités, à la diversification des services ou des publics qu’elles ciblent. Beaucoup de ces conciergeries essaiment et/ou mutualisent certaines de leurs fonctions.

On le voit ici, ces conciergeries de territoires sont des espaces de créativités et d’innovations. Elles se conçoivent souvent à partir de phases de tests de la faisabilité technique et économique ou de leur mode d’organisation.

Ce qui les caractérise

Une activité peut se dire « conciergerie de territoire », si elle s’organise selon les principes suivants : la proximité géographique et la facilité d’accès ; la mise en liens et les partenariats ; la facilitation de la vie quotidienne ; l’utilité ; le lien social et enfin l’adaptabilité en lien avec une éthique.

Dans ces conditions on peut questionner leur pérennité. Le groupe de travail organisé par la CRESS et Cap rural a retenu quatre conditions de la viabilité des conciergeries de territoire : la multi-activité, le soutien public (par exemple, la mise à disposition de local, etc.), l’implication citoyenne et le soutien privé d’entreprises ou de fondations.

Ce dernier point conditionne le modèle économique des conciergeries de territoire qui reste fragile. Il repose sur la diversité des besoins et des attentes (des collectivités, des entreprises, des habitants, des financeurs, etc.) et de celle des activités qui leur garantissent une pluralité de financements publics ou privés.

On peut voir ainsi que ce sont des démarches exigeantes et qui n’ont certainement pas vocation à se généraliser partout et selon un modèle unique. Dans ce sens, elles sont dans la mouvance des collectifs citoyens ou de l’économie sociale et solidaire qui émergent localement, se réclament d’un mouvement d’ensemble (de relocalisation des activités, d’éthique, etc.) et s’inscrivent dans les transitions actuelles mais souhaitent être spécifiques à un contexte.

Définition et méthode conçues par le groupe de travail Cap rural – CRESS

En 2016, 2017, les deux acteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont animé un groupe de travail régional avec une dizaine de territoires pour défricher le concept, soutenir les projets émergents, mettre en réseau les promoteurs de ces initiatives, alimenter les politiques publiques.

Les réflexions ont porté sur la définition des conciergeries de territoire, leurs financements et leurs modèles économiques, la stratégie commerciale ou les compétences nécessaires à leur mise en œuvre.

L’issu de ce travail a été la production de références présentées et discutées lors d’une journée régionale avec des acteurs du développement local rural à l’automne 2017.

Un travail complémentaire de décryptage a été réalisé par un groupe d’étudiants du master 2 Gestion des territoires et développement local – parcours développement rural de Lyon 2.

Au-delà de ce travail, Cap rural et la CRESS poursuivent leurs accompagnements des acteurs des conciergeries de territoire.

Cap rural

Cap rural est un centre de ressources sur les méthodes et les métiers du développement local en espace rural et périurbain d’Auvergne-Rhône-Alpes. Il anime le réseau rural régional organisé dans le cadre du programme européen FEADER.

Sa vocation est de professionnaliser les salariés en charge des dynamiques de développement local (associations, collectivités territoriales, consulaires, projets collectifs) et d’impulser ce mode d’action auprès des élus locaux.

Ses modes d’action : de la veille, des appuis méthodologiques, de la formation, des échanges d’expériences, des éditions, etc.

Pour en savoir plus : www.caprural.org

Dans ce contexte, un des défis pour l’acteur public est de trouver sa place dans ces dynamiques qui sont importantes pour lui (notamment pour les collectivités territoriales) : appui en ingénierie, financements, mise en relation, etc., à condition de trouver la bonne distance pour ne pas dénaturer ces expériences atypiques mais en soutenir l’émergence.

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