Loos en Gohelle, terre de transition : résultats, trajectoires et méthode

Le 12 octobre 2023

Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle de 2001 à 2023 revient sur le parcours des transitions effectué dans la ville. De la définition collective d’un nouvel imaginaire à une ville pilote du développement durable, le chemin fut long et semé d'embûches. L'ancien maire prend ici de la hauteur pour revenir sur les fondamentaux loossois qui ont permis de nombreuses réussites.

Un mot sur le passé industriel

Loos-en-Gohelle s’est fondée sur l’agriculture et les mines. La fin du charbon, dans les années 80, a fait prendre à la ville un virage nouveau. “Nous sommes le produit d'une activité qui a conditionné nos modes de vie pendant 3 siècles” résume Jean-François Caron. Reste alors les gens, les mineurs, issus d’un modèle où l’initiative était proscrite et la soumission une habitude. Aux séquelles sociales se sont ajoutées les problématiques environnementales, de pollution, et il est devenu indispensable de revisiter le modèle économique du territoire. Loos-en-Gohelle a pris de l’avance dans l’expérience de la crise, en cela qu’elle a connu un effondrement de son modèle de développement il y a 30 ans et qu’elle a été forcée de traiter les enjeux de transition. Aujourd’hui, cet effondrement s’observe à une autre échelle et va forcer la société à s’interroger à son tour sur les limites de son modèle. (07.46) Le problème à l’époque, qui est toujours le même de nos jours : on ne connaît pas précisément ce futur modèle de développement et il faut accepter de le construire en avançant.

Premiers chantiers : changer d’imaginaire par la culture

(09.47) Pour amorcer sa transition, le maire de l’époque a eu la conviction qu’une des clefs de réussite était la construction de nouveaux imaginaires, de nouvelles façons de penser et de travailler sur les systèmes de valeur. Loos-en-Gohelle s’est donc interrogé sur les politiques publiques et citoyennes pour travailler la construction de nouveaux imaginaires de développement ?

C’est le préalable pour passer d’un ancien modèle, non durable et agonisant, à un nouveau modèle encore à construire. La transition, c’est la conduite du changement pour passer d’un modèle à un autre. C’est passer d’une vie où l’on part en week-end à Lisbonne en avion car ce n’est pas cher à d’autres vacances. « Il n’y pas de liberté sans responsabilité. Aujourd’hui, nous sommes en ébriété et non en responsabilité. D’où l'importance de changer d'imaginaire pour faire évoluer nos comportements », rappelle Jean-François Caron.

Et dans ce processus, l’ancien maire tient à souligner que les enjeux techniques et technologiques sont importants, mais la transition n’est pas qu’une affaire d’ingénieur, la question est beaucoup plus systémique que ça et doit aussi être appréhendée à travers le prisme des sciences sociales et par une approche sensible.

C’est pourquoi à Loos-en-Gohelle, la mise en mouvement a commencé avec la culture et une réflexion collective sur comment se réapproprier l’histoire ? Qu’est ce qui nous fonde, ce qui nous constitue, quelles sont nos valeurs ? (12.40)

L’implication citoyenne (24.25)

Pour toutes les actions portées par la ville, la question des habitants impliqués est majeure. C’est une culture à avoir, à construire progressivement. Basée sur la confiance, la transparence et la sincérité.

Mais on n’entre pas dans la vie des gens, on ne crée pas l’implication en passant par la morale et l’injonction. Il faut créer l’envie, le désir et partir des besoins. « Quand tu as toute une vie à gérer, s’engager ça a un coût. Donc il faut entrer par les problématiques. Ensuite, on élargit le champ. »

Petit à petit, la mairie coproduit tous ses projets municipaux avec les habitants. C’est aussi bien une reconnaissance de la légitimité des habitants à s’impliquer qu’un moyen de qualifier les politiques publiques de la municipalité. Les fifty/fifty, un outil municipal d’accompagnement de projets citoyens, ont donné un coup d’accélérateur à cette politique. Pour Jean-François Caron, quand les pouvoirs publics peuvent se combiner avec la capacité d’action individuelle de chacun, alors ça crée la puissance publique. L’articulation des deux est une clé fondamentale de la capacité à faire société et produit des résultats.

D'autres projets ont ensuite vu le jour dans la même idée comme les Ch’ti TAIDX.

En 2008, l’équipe municipale atteint la légitimité démocratique avec une élection à 82,1%. “Avec ce score, on ne peut pas raconter que la transition n’est pas populaire. Ce fut un moment d’amplification de l’action publique” se remémore Jean-François Caron. Cette tendance se confirme aux élections suivantes (2014 et 2020), remportées à 100% dans la mesure où aucune liste adverse ne s’est présentée.

Accélération des projets en 2010/2020 (17.06)

Les années 2010/2020 ont été le départ d’une série de projets pilotes. Des investissements ont été faits dans l'ingénierie de projet et la ville a pu s’appuyer sur des financements européens. (18.53) la courbe des résilience (photo) et commentaire.

Les distinctions se sont enchaînées. L'Unesco a reconnu le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l'humanité, suite à un long travail multi-acteurs sur le territoire piloté par Jean-François Caron avec sa casquette d’élu régional. Une reconnaissance qui a apporté de la dignité et de la fierté aux habitants. C’est fondamental pour un territoire qui a parfois eu honte de ce passé. “L’histoire des mineurs vaut celle des rois, la symbolique est énorme” ajoute Jean-François Caron. Un nouveau leadership émerge.

Puis, l'ADEME s’intéresse à la démarche de la municipalité, avant de conduire une évaluation de sa stratégie de transition en 2014. Suite à cette évaluation, elle identifie officiellement la commune comme un “Démonstrateur national de la conduite du changement”, lui conférant un statut de ville pilote et lui allouant des moyens pour essaimer et partager son expérience.

Enfin, la ville fonde avec d’autres villes pilotes durables en France la Fabrique des transitions, aujourd’hui devenue une alliance d’acteurs agissant au niveau national pour accompagner la transition des territoires.

Des résultats dans tous les domaines

(28.09 ) Pour obtenir ces reconnaissances et ces résultats à l’échelle nationale, la ville de Loos-en-Gohelle a fait ses preuves sur son territoire. En matière de nature, d’ espaces verts et de biodiversités. Jean-François Caron est revenu sur l'importance de gérer les non-sens et les craintes des habitants via la médiation. Il prend l’exemple de la politique “Zéro phyto” et de la “gestion différenciée des espaces verts” (favorisant la biodiversité par des techniques de fauche tardive). Il a fallu du temps et un changement de culture pour que certains habitants acceptent l'idée d’une ville où l’herbe pousse à sa guise. Cela allait à l’encontre de certaines représentations du beau, et il a fallu du temps et de l’accompagnement pour que les gens (et les services de la ville) s’y habituent.

32.15 Sur le plan de l’énergie, la ville a prôné la sobriété active : arrêter de dépenser des énergies inutiles, produire des énergies renouvelables, modifier les modes de transport, etc. Un sujet qui va de pair avec l’éco-construction et la production d’énergies renouvelables. Loos-en-Gohelle devient « the place to be » dans le domaine, pour reprendre les mots de l’ancien maire.

Dans la catégorie économie et emploi, la commande publique est passée en économie circulaire, les commerces de proximité se sont développés, des entreprises de sont installées et donc, le chômage a baissé.

(35.27) Au niveau du système alimentaire, dans les résultats nous pouvons citer les 21% de la surface agricole utile qui est aujourd’hui en Bio. Sur ce sujet particulièrement complexe, l’organisation de temps d’échanges, de coopération et d’interconnaissance a joué un rôle majeur. C’est parce que la ville a pris le soin de travailler les liens avec le secteur agricole, des associations environnementales et des acteurs institutionnels qu’il y a eu des résultats. Et il a aussi été nécessaire de créer des espaces de dialogue entre ces acteurs-là, qui ne discutent pas assez ensemble sur les problématiques qui les concernent. Ce champ d’action a donc nécessité une part importante de mise en récit, de coopération, et la culture a joué un rôle important dans ce processus.

(37.17) S’il y a des résultats thématiques, il y a aussi des résultats systémiques, c’est-à-dire des résultats profonds, culturels, à l’échelle de la commune, qui découlent d’un changement d’approche et de posture. Ainsi, les habitants ont retrouvé du pouvoir d’agir, “de l'empowerment”, une prise sur leur vie, leur destin. Jean-François Caron souligne que le vivre ensemble s’est amélioré : quatre fois moins de plaintes entre voisins que dans les communes alentours, moins de dégradations des biens publics. “Le vivre ensemble, l’apaisement sociétal est une ressource incroyable”.

Ce contexte génère des capacités collectives pour entreprendre ensemble. Par exemple, pendant le Covid, un système d’entraide s’est rapidement mis en place pour permettre à des bénévoles d’aider des personnes isolées (achats de course, visite sur le pas de la porte pour tenir compagnie…). Il y avait même trop de bénévoles par rapport aux personnes isolées et il a fallu faire patienter certains volontaires le temps que s’organisent des rotations.  Toutes ces petites actions participent du changement d’image du territoire et la fierté d’être Loossois.

Le changement d’échelle

(40.47) La ville a longtemps considéré le changement d’échelle comme une priorité : comment faire en sorte que l’expérience municipale puisse essaimer et permettre à d’autres acteurs engagés de capitaliser sur ce vécu et gagner du temps ? Comment passer d’une expérimentation locale à une massification ? Pour cela, Jean-François Caron prend l’exemple du plan solaire participatif (41.20). Une SAS (société par action simplifiée) appelée Mine de soleil a été créée pour équiper les toitures publiques et privées de panneaux solaires. C’est un outil au service de la massification du photovoltaïque, qui a été construit avec le concours des habitants qui sont intervenus à toutes les étapes du projet (choix du nom, rédaction des statuts, choix des prestataires, financement, communication…). Mine de soleil, possédée à 36.92% par les habitants, a permis d’équiper 8 toitures municipales de panneaux solaires (2380m2) et commence à essaimer sur le territoire, des collectivités s’étant rapprochées de l’entreprise pour étudier la possibilité d’en installer sur leurs propres bâtiments. Ce plan solaire contribue, à l’instar des terrils jumeaux de la fosse 11/19, à rendre la transition concrète, visible. Cela concourt au récit d’une ville qui change de modèle et illustre symboliquement le passage d’une époque à une autre, du charbon aux énergies renouvelables, du  19e au 21e siècle.

(47.43) Pour aller plus loin, pour toucher toute la France, Loos-en-Gohelle s’est uni à d'autres territoires pour créer la Fabrique des Transitions. “Nous allons vers des déstabilisations mondiale et c’est angoissant, il y a donc une urgence de la transition, ce n’est plus une option. Donc nous avons créé (avec Julian Perdrigeat, des territoires, les équipes de Loos, des partenaires, l’ADEME) un code source qui résume l’ADN de Loos-en-Gohelle et une vision de comment on peut le décliner sur d'autres territoires” résume Jean-François Caron.

La Fabrique a travaillé au développement d’une communauté apprenante et à des processus d’accompagnement des territoires. Les méthodes proposées peuvent, selon l’ancien maire, “déloger des situations que les ingénieurs ne peuvent régler”.

La Fabrique part aussi du postulat que les transitions ne fonctionnent que quand les 4 fantastiques s’alignent. Ce sont les élus, les agents, les acteurs sociaux-économiques et les agents déconcentrés de l’État. Ils doivent coopérer pour dégager une vision commune et se mettre en mouvement.

“Pour atteindre cela, nous devons tous, dans nos grades et qualité, avoir des changements de posture, affirme Jean-François Caron. Coopérer c’est opérer ensemble, la confiance est au cœur de la question. Les méthodes descendantes ne peuvent plus fonctionner. Il y a un besoin de transparence. C’est un champ considérable de transformation intime.”

(53.00) C’est parce que la transition touche à l’intime que l’ancien maire tient à parler du risque du burn-out. Les agents et les élus d’ailleurs s’engagent pleinement dans les projets, y déployant une énergie considérable, dans une organisation qui évolue en même temps qu’elle avance. Cela peut être déstabilisant et représenter beaucoup de travail. Il est donc vital de savoir aussi appréhender les questions de charge, d’organisation et de coopération au travail pour maintenir l’engagement dans la durée et éviter une usure des acteurs de la mairie. .

Pour nourrir les autres territoires des expériences et des résultats observés à Loos-en-Gohelle, l’ADEME a été un partenaire de longue date. L’agence a notamment financé une évaluation pour identifier les enseignements clés de l’approche loossoise. 55.02

On retrouve notamment l'importance de recourir à de l’expertise externe, à agir sur le cadre de vie, à mettre en place des dispositifs d’implication habitante ou encore à laisser des marges de manœuvre aux agents.

Les enseignements clés de l’évaluation de l’ADEME

Des résultats systémiques

(58.43) Après plus de 30 ans d’action publique en faveur des transitions, la ville de Loos-en-Gohelle une approche de la conduite du changement qui peut se résumer ainsi : La base de tout, le socle, comme le rappelle Jean-François Caron, ce sont les valeurs communes qui lient les habitants à leur territoire. Qu’est-ce qui fait l’identité d’un territoire, quelle est son histoire, à quoi les gens sont attachés ? “Cela permet un travail sur la mémoire, qui permet de questionner d'où on vient, où je suis, pour penser en trajectoire et voir où je vais. Ça introduit des visions futures du territoire”, explique-t-il.

Puis, l’approche narrative (la mémoire, la mise en trajectoire, la mise en récit) donne un socle pour donner du sens et travailler sur le temps long.

Ensuite, arrive la question des leaderships coopératifs. Ils vont permettre une organisation coopérative des différents acteurs, en prenant en compte le précieux (ou “putain”) de facteur humain. Car ce sont les individus dans les organisations qui font faire un pas de côté. Ces nouveaux leaderships sont au service de ce processus. Cela leur demande de l’engagement. Mais comment les faire émerger ? Loos-en-Gohelle a identifié quatre piliers pour cela, dont l’implication habitante systématique, l’action systémique et l’innovation.

Le quatrième, ce sont l’étoile et les cailloux blancs. (01.03.43)

Cette théorie repose sur le fait que ce sont la peur et le désir qui nous font fondamentalement changer, mais que le désir est beaucoup plus fécond et puissant que la peur ou la contrainte. Le désir peut être une source formidable d’énergie intime, personnelle. L’enjeu est de réussir à faire rêver, à donner envie de changer. Il faut donc viser les étoiles, donner un cap désirable, une direction à suivre. À Loos-en-Gohelle c’est la reconnaissance de L'unesco, c’est devenir - peut-être - la première ville solaire, ou tout du moins une ville pilote du développement durable etc. L’étoile donne le sens, une signification. Pour l’atteindre, on sème des cailloux blancs, des réalisations concrètes qui incarnent les changements qu’on cherche à opérer : les toitures solaires, aménager des jardins partagés, réhabiliter d’anciennes friches industrielles, etc. Les cailloux blancs marquent le chemin parcouru. Et ainsi, Jean-François Caron conclut : “On a repris prise sur notre destin, et l'histoire continue.”

×

A lire aussi