Web
ExpertisesMatthieu Vandermersch « La méthode des petits pas est très importante dans l’innovation managériale »
Favoriser l’innovation managériale est au cœur des préoccupations des entreprises et des administrations. S’inspirer des bonnes pratiques à l’étranger constitue déjà un premier pas vers le changement. C’est la raison d’être de l’association des Baroudeurs de l’innovation managériale : chaque année, plusieurs étudiant(e)s parcourent le monde en quête d’idées neuves, de pratiques décalées, surprenantes ou audacieuses en matière de management. Tout a commencé en 2016, avec deux étudiants de l’Edhec et de l’Emlyon partis faire un tour du monde pour rencontrer les entreprises, les managers et les collaborateurs qui innovent.
Quatre éditions plus tard, les Baroudeurs de l’innovation managériale ont visité à peu près 200 entreprises. Matthieu Vandermersch, qui a participé à la 3e édition, s’est confié à Horizons publics pour partager ses coups de cœur et le fruit de son voyage pas comme les autres.
Y a-t-il des entreprises particulières qui vous ont marqués ?
Les entreprises les plus marquantes n’étaient pas forcément dans les pays où nous nous attendions à les trouver. Nous en tirons la conclusion que la culture du pays, les statuts, toutes les hypothèses et les stéréotypes que l’on peut avoir sur un pays ne sont pas immuables et que certaines personnes arrivent à complètement les bouleverser et à créer des choses incroyables.
Nous avons eu un coup de cœur pour une entreprise située en Malaisie à Kuala Lumpur, où trois nations se côtoient : les Indiens, les Malais et les Chinois. Il fallait arriver à créer une entreprise capable d’attirer ces trois cultures. Cette entreprise s’est basée sur la culture des super-héros Marvel. Cela peut paraître déroutant, mais c’est extrêmement concret dans leur organisation au quotidien. Ils ont développé tout un système de valeurs autour de la positivité et de l’échange régulier de feedback, pour toujours avancer et s’améliorer ensemble. Ils ont aussi mis l’accent sur la reconnaissance et la formation, afin que chacun devienne la meilleure version de lui-même.
Les entreprises les plus inspirantes ne sont pas celles qui copient-collent des innovations managériales qui fonctionnent, mais vraiment celles qui arrivent à les personnaliser, les personnifier même parfois, en fonction de leurs collaborateurs.
La mise en place d’une innovation managériale nécessiterait-elle donc de tenir compte, non pas forcément de la culture du pays, mais plutôt de la culture de l’entreprise ?
Tout à fait. Même dans les pays où la structure hiérarchique de la société est très marquée, il y a des pionniers qui arrivent à transgresser un peu les règles et les statuts pour créer un nouvel espace et une nouvelle culture d’entreprise. La culture du pays n’est donc pas un frein.
D’ailleurs, l’inverse est aussi valable. Par exemple, en Colombie, le poids des statuts est très fort, on accorde une grande importance à la hiérarchie, mais la famille occupe elle aussi une place prépondérante. Nous avons vu un cas où l’entreprise a fait part à ses collaborateurs d’une transition d’un mode hiérarchique à un mode familial, où tout le monde peut communiquer à chaque instant sur ses ressentis, sur les valeurs et sur la mise en place des transformations. Cela a créé un sentiment de confiance chez les collaborateurs. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été habitués à cette importance de la famille et que cela a permis de passer facilement à un modèle managérial beaucoup plus aplati.
Il n’est toutefois pas impératif de tout changer, certaines entreprises innovantes n’ont touché qu’à un seul élément. Elles se sont concentrées sur leur problématique et ont trouvé une solution en s’attaquant à un problème précis. La méthode des petits pas est très importante : y aller progressivement, énormément communiquer, ne pas tout changer d’un coup, mais faire étape par étape. Et ça, ces entreprises l’ont bien compris.
Vous avez principalement visité des entreprises privées. Pensez-vous que des pratiques puissent s’appliquer au secteur public ?
Ce que nous avons vu, c’est que le secteur public est très hiérarchisé, avec une bureaucratie qui pèse énormément sur les gens. Il est toutefois possible d’alléger cette masse.
Dans la municipalité de Hollands Kroon, aux Pays-Bas, ils fonctionnent en équipes de neuf et prennent leurs décisions sans avoir recours à un quelconque leader ou supérieur. La municipalité met en place de la responsabilisation : l’équipe va arriver à un consensus ou, tout du moins, à une décision qui est partagée par tous et qui va être implémentée.
Si cela ne fonctionne pas, l’équipe devra recommencer en faisant des changements. C’est aussi un point très important : il faut accepter le droit à l’erreur. C’est justement en laissant aux personnes l’opportunité d’agir et de décider qu’il est possible de créer un sentiment de confiance. Les employés suivent un projet et font de leur mieux parce qu’il leur tient à cœur.
Ce qui est compliqué dans le secteur public, c’est d’arriver à avoir cette agilité en permanence et à avoir cette culture de la performance. Dans les entreprises privées, beaucoup d’innovation managériale découle d’une crise financière ou est impulsée par un concurrent qui fait mieux. Dans le service public, cela n’existe pas. Il faut donc que l’initiative vienne soit du bas, soit du haut. Mais ce starting point est essentiel.
Il y a beaucoup d’autres ajustements à faire, par exemple augmenter la digitalisation et arrêter de faire trop de réunions.
Pourriez-vous donner quelques exemples de pratiques applicables en France ?
Comme je vous le disais, on part du principe que tout est applicable en France à partir du moment où on le personnalise.
Un premier point d’amélioration serait le recrutement.
Je reprends l’exemple de Hollands Kroon, qui a créé le concept de Talent Nights : ce sont des soirées auxquelles leurs employés invitent des personnes susceptibles de correspondre à l’univers de la municipalité et à sa culture. Après une soirée très conviviale, au cours de laquelle la municipalité présente sa façon de travailler, ses outils et sa vision pour l’avenir, les invités peuvent déposer leur CV. Deux jours après, ils ont un entretien avec l’un des directeurs. Il y a donc une vraie mise en valeur de la personne avant la mise en valeur des compétences.
Ensuite, il y a aussi toute une dimension du lien. Nous avons pu observer à quel point les politiques de feedback sont primordiales. Il est valorisant d’être reconnu pour le travail que l’on a fait. Cela permet de se motiver, de progresser ensemble et de ne pas de nourrir de frustrations inutiles. Au Canada, une entreprise fait passer un test psychologique, appelé ennéagramme, à tous ses employés. Une fiche est ensuite créée en fonction des réponses et indique le mode de feedback préféré par le collaborateur : une embrassade, un câlin, une poignée de main ou un simple « merci » par e-mail.
Par ailleurs, le feedback peut aussi bien être négatif que positif. Il faut même insister sur le feedback positif, qui est parfois complètement oublié dans les entreprises et qui aboutit finalement à un manque de communication, un manque de lien et un manque de fédération dans l’entreprise.
Un autre élément clé : la communication.
Nous avons rencontré, en Russie, le DG de Leroy Merlin qui disait que, pour mener sa transition managériale, il avait interrogé 1000 collaborateurs aux quatre coins de la Russie. Suite au feedback de ces derniers, il a complètement revu son projet de transformation managériale et aujourd’hui, dans tous les Leroy Merlin en Russie, il y a une salle de sport.
Pourquoi ? Parce que les collaborateurs ont fait part de leur besoin : lorsque l’on habite en Sibérie et que l’on se trouve à 200 km de la salle de sport la plus proche, on a besoin, pour se donner à fond dans l’entreprise, de disposer d’une salle de sport sur place pour pouvoir décompresser le soir.
La communication, c’est prendre en compte le sentiment des collaborateurs, ne pas leur dicter quelque chose, mais plutôt les rendre acteurs de la transformation, pour qu’elle résonne en eux et fasse vraiment écho avec ce qu’ils vivent au quotidien.
Cela démontre bien que les personnes qui voient l’opérationnel au jour le jour peuvent avoir les cartes en main pour prendre les bonnes décisions.
Nous parlons aussi beaucoup du sens, de la mission de l’entreprise et des solutions qui permettent de l’incarner au quotidien.
Aujourd’hui, le leader n’a plus un rôle de manager, ni de détenteur de l’information, mais il doit vraiment parler de la vision et de la mission de l’entreprise. Il doit donner du sens au quotidien et au travail des employés.
Aux États-Unis, il y a une entreprise qui, un jour par mois, célèbre les Business Analysts. Ce sont des employés qui voient rarement l’aboutissement de leur travail, mais dont la fonction est déterminante, car ils sont le premier maillon de la chaîne qui va permettre de développer tous les projets. Je trouve formidable de dire que chaque personne compte dans l’entreprise et de glorifier chaque profession, parce que tout le monde participe à la mission de l’entreprise au quotidien.
Enfin, il y a toute la thématique de la formation qui est capitale. Beaucoup d’entreprises allouent un budget mensuel, hebdomadaire ou annuel à leurs collaborateurs pour qu’ils se forment et aient envie de s’améliorer.
Il ne faut donc pas se focaliser uniquement sur l’aspect économique, mais vraiment sur l’ensemble de l’activité de l’entreprise ?
Exactement. En plus, c’est en se focalisant sur ça qu’on va améliorer l’aspect économique et tout ce qui en découle. Quand on célèbre un Business Analyst, il va être plus motivé et va permettre de créer de meilleurs projets. Quand on donne un bon feedback à son collaborateur, il va être content, épanoui et va encore s’améliorer.
Miser sur les collaborateurs, sur l’humain, sur le développement personnel et sur la formation, c’est miser sur une meilleure performance économique à l’avenir. Il y a vraiment une corrélation permanente entre santé économique et humain.