Les visites apprenantes, une source d’inspiration et d’action pour les DRH en collectivités

Le 12 mai 2025

Quels sont les atouts et les limites des « visites apprenantes » du cycle supérieur des directeurs des ressources humaines (DRH) organisées par l’Institut national des études territoriales (INET) ? La promotion 2023-2024 a réalisé une immersion dans cinq entreprises et/ou organisations publiques pour découvrir d’autres pratiques des ressources humaines  : Sony Music, La Poste, Gore, Transdev et la Caisse nationale de l’assurance vieillesse (Cnav). En se confrontant au terrain plus régulièrement, les DRH sont mieux préparés aux transformations en cours. 

Le cycle supérieur des DRH de l’INET permet à dix-huit spécialistes des RH issus de tous types de collectivités de profiter de sept modules de formation, répartis sur sept mois, pour travailler à des questions transverses relatives à la fonction RH, d’approfondir l’étude des nouvelles organisations du travail et de revisiter la posture du DRH au regard des transitions notamment numériques et écologiques. C’est dans ce cadre que nous nous sommes tous retrouvés du 14 au 16 mai 2024 à Paris pour un module spécial consacré à l’organisation de visites apprenantes. L’intérêt de cet outil pédagogique et de sa réplicabilité dans nos contextes professionnels nous invite naturellement à partager avec vous les enseignements que nous en avons retirés, nos coups de cœur et nos questionnements. Et pour mieux vous accompagner, si jamais vous voulez tenter l’aventure, nous nous permettons de suggérer une liste de dix conseils pratiques, car mieux vaut bien préparer sa visite pour ne rien louper et en sortir grandi.

Mais au juste, qu’est-ce qu’une visite apprenante ?

Il s’agit d’une visite organisée, avec un but pédagogique, dans un lieu déterminé, dans lequel les participants vont se déplacer pour y observer et étudier directement les objets d’apprentissage dans leur environnement fonctionnel1.

Une visite apprenante peut ainsi, en tout ou en partie, poursuivre cinq objectifs2 :

  • offrir une expérience vécue directement ;
  • stimuler l’intérêt et la motivation pour un sujet donné ;
  • ajouter de la signification au sujet traité du fait de l’implication de la personne rencontrée, de son engagement, de sa renommée ;
  • renforcer l’observation et la capacité de perception ;
  • promouvoir le développement social personnel.

Un peu d’histoire

Si l’origine de la visite apprenante peut être rapprochée du « grand tour » effectué par les étudiants de familles nobles à partir du xviiie siècle, la première expérience de visite apprenante connue3 se serait déroulée en 1877 lorsqu’un professeur anglais de géologie, Joseph Henry Cowham, amena soixante de ses étudiants dans les Alpes suisses pour étudier les glaciers.

L’engouement pour la démarche conduisit à la naissance de la School Journey Association en 1911, association toujours en activité de nos jours. L’intérêt principal des visites apprenantes dans un contexte professionnel est que cet outil permet à celui qui y participe de construire son propre apprentissage, de consolider ses réflexions ou de remettre en question certaines de ses idées, de partager, de s’interroger ; en deux mots : de s’enrichir pour agir, y compris auprès de secteurs d’activité d’un autre domaine comme nous avons pu l’apprécier. En effet, nous avons pu nous confronter au secteur privé alors que nous étions tous issus du secteur public.

Cinq expériences RH : découvertes, questionnements et échanges au rendez-vous

Sony Music : agir dans un contexte difficile, mais agir avec bienveillance !

Un beau quartier de Paris, une ambiance mêlant la pierre ancienne et le modernisme avec une PlayStation 5 à disposition dans le hall, Sony Music a l’art de dérouter. Le DRH, Claude Monnier, nous accueille dans une salle sans fenêtre, où la musique bat son plein. Le décor est planté. Le facteur commun de tous les employés de Sony, c’est la musique : une passion ! 200 collaboratrices et collaborateurs. La moyenne d’âge est à peine de 40 ans. Même s’il n’y a jamais eu autant de production musicale, cette industrie a perdu 80 % de sa valeur du fait du piratage. Il faut donc s’adapter, être innovant en permanence. Le contexte est difficile et les besoins évoluent en permanence. L’accompagnement vers un autre job et le soutien psychologique font partie des pratiques managériales ancrées solidement. Dans cet environnement changeant, il faut être attentif aux collaborateurs à travers des groupes de parole et d’échanges individuels constants. Dans ce contexte, pour Claude Monnier, le DRH doit essayer. Ce qui implique de désapprendre et de proposer de l’extraordinaire quand la situation est extraordinaire !

La Poste : le parcours professionnel au cœur de l’entreprise

Des espaces ouverts, des bureaux partagés, des bulles de silence, des aménagements adaptés aux nouveaux rapports au travail. Au groupe La Poste, le télétravail est présent et les espaces ne peuvent accueillir que 70 % des collaborateurs. Le siège, c’est 6 000 collaborateurs dans plusieurs immeubles modernes, dont le siège est à Issy-les-Moulineaux.

Nous sommes accueillis par Cécile Pasdeloup, directrice du développement RH, et deux de ses collaborateurs, dont l’ancienneté dans le groupe est importante. Le groupe La Poste, c’est bien plus qu’un simple service de courrier. Avec un chiffre d’affaires de 34,1 milliards d’euros, 230 000 employés, dont 62 000 facteurs, et 250 métiers différents, La Poste est un acteur majeur de l’économie française. Ses 17 000 points de contact témoignent d’un fort ancrage territorial. Pour le DRH du groupe, la mission est colossale. L’atout principal réside dans l’attachement des employés aux valeurs historiques de l’entreprise. Cependant, l’image vieillissante de La Poste constitue un défi de taille. Aujourd’hui, l’un des enjeux principaux est l’accompagnement des parcours professionnels et la reconversion des employés. Face à l’évolution rapide des besoins, La Poste a mis en place une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) active et dynamique. Trois organismes de formation sont dédiés à cette politique de reconversion. Le processus inclut la sélection de candidats, des tests internes et une évaluation de la capacité à apprendre. Si les résultats sont favorables, La Poste finance des formations certifiantes et diplômantes. Ce dispositif a déjà bénéficié à 2 452 agents sur trois ans, avec cinquante dispositifs lancés couvrant divers domaines, tels que l’informatique, la cybersécurité, les achats et les ressources humaines. La Poste se réinvente ainsi, en misant sur la formation et la reconversion, pour s’adapter aux défis contemporains.

Gore : la passion rime avec motivation

La société commercialise plusieurs types de produits brevetés, dont celui qui s’est fait connaître du grand public, le produit « gore tex », et propose ses services dans de nombreux secteurs d’activités : le textile, le médical, l’industrie pharmaceutique et biopharmaceutique, le domaine militaire, etc. Sa filiale française, basée à Paris, emploie environ soixante-dix salariés, tous pleinement intégrés à l’entreprise.

Pour pénétrer dans les locaux de Gore, la sécurité est de mise. Un système rigoureux nécessite une inscription préalable par email, suivie de l’obtention d’un pass après validation d’un QR code. Cette rigueur contraste un peu avec le concept d’« entreprise libérée » au cœur de l’entreprise américaine depuis les années 1960. En effet, chez Gore, le collaborateur est au centre de toutes les initiatives et la confiance est le maître-mot. Les collaborateurs, appelés « associés », sont tous actionnaires de l’entreprise, une volonté des fondateurs pour aligner les intérêts de chacun avec le succès collectif. Cette culture de la confiance se traduit par une grande autonomie et un engagement mutuel entre les associés et leurs leaders.

Les leaders chez Gore ne sont pas de simples managers ; ils sont des facilitateurs, accordant de larges marges de manœuvre à leurs équipes. Cette approche libère les énergies créatives et productives, permettant à chacun de maîtriser son destin professionnel. Laurent Amariutei et Laurent Delacenserie, associés-gérants, incarnent cette philosophie. Le choix des leaders repose sur la reconnaissance de l’expérience, de l’engagement, du charisme et de l’adhésion à la culture unique de Gore. Cette confiance mutuelle est le moteur de la relation leader-associé.

Les responsables de Gore soignent leurs associés et mettent en œuvre des plans de carrières reposant sur le dispositif du « sweet spot », croisement entre les centres d’intérêt des associés, leurs compétences et les besoins de l’entreprise. Ce dispositif garantit un niveau d’engagement élevé des personnels et la régularité des opportunités professionnelles.

Transdev : au cœur de l’entreprise, il y a le collaborateur

Transdev, acteur mondial de la mobilité implanté dans dix-neuf pays et qui transporte en moyenne 12,8 millions de passagers au quotidien, se distingue par ses solutions de transport en commun adaptées aux grandes transitions actuelles. Dès notre arrivée, l’accueil chaleureux et le désir de partager des visions autour d’un délicieux plateau-repas nous ont impressionnés. Les responsables nous ont présenté une entreprise confrontée à des défis majeurs en matière d’attractivité et de fidélisation des talents.

Au cœur de la stratégie de Transdev, on trouve le collaborateur. Parmi les dispositifs RH déployés, le programme d’onboarding se révèle être un pilier essentiel. Ce parcours, composé de plusieurs étapes, permet aux nouveaux salariés de s’intégrer pleinement dans la « famille » Transdev. L’attention portée à l’accueil des nouveaux collaborateurs nourrit une stratégie de fidélisation cruciale pour une organisation qui gère des métiers en pénurie.

Le parcours du collaborateur est jalonné de moments d’échanges et de convivialité. Après quelques mois, un bilan individuel est réalisé, plaçant le collaborateur au centre des attentions dès son recrutement et tout au long de sa carrière. Cette démarche continue de fidélisation répond également aux enjeux de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

La CNAV : un schéma directeur RH transformé

Il est 9 h 00 quand le groupe d’apprenants se retrouve devant les portes du siège de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) dans le xxe arrondissement de Paris. Les portes sont fermées en raison de travaux d’ampleur qui vise à « transformer » les bureaux de l’institution situés dans l’ancienne usine emblématique de la maison de pianos Erard. Ces transformations architecturales s’accordent en parfaite harmonie avec la transformation des politiques RH de la CNAV.

Nous sommes accueillis par Coralie Delfosse4 et Florence Géhin5, qui nous présentent l’organisation et les grands dossiers de la DRH et de la transformation de la CNAV. Cette présentation se tient dans une salle dédiée à l’idéation comprenant du mobilier et des outils de travail favorisant les le processus de création collective. Après avoir échangé sur les différents sujets, le DRH de la CNAV, Jérôme Friteau, nous rejoint pour évoquer les grandes transitions et la manière dont la CNAV s’organise pour les accompagner.

Parmi les outils développés par la CNAV en matière de politique RH, le schéma directeur RH transformé (SDRHt) semble un incontournable face aux enjeux de la CNAV. Cette institution à une double compétence : tout d’abord une compétence opérationnelle, puisqu’elle est chargée de la gestion des dossiers individuels des affiliés de la région Île-de-France (DRASIF), mais également fonctionnelle en raison de son intervention en qualité d’animation du réseau national des Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). C’est dans cette seconde tâche que la mise en œuvre du nouveau SDRHt est fondamentale.

Face aux enjeux des grandes transformations sociétales, environnementales et technologiques de la société, une nouvelle stratégie RH a été élaborée et déclinée dans le réseau à l’aide du document du SDRHt. Cet outil allie magistralement le fond à la forme en proposant des objectifs à atteindre dans les quatre tendances que sont les nouveaux rapports au travail, la demande d’exemplarité dans le RSE, le défi de la complémentarité entre l’humain et la technologie, et les incertitudes et complexités dans le monde. Le design développé pour cet outil a été brillamment réfléchi afin d’en faire un outil simple, efficace et opérationnel !

Les dix conseils pour tirer profit d’une visite apprenante

  1. Définir les objectifs : clarifiez dès le début avec votre groupe, comme avec ceux qui vous accueilleront, quels seront les objectifs pédagogiques et les thèmes de discussion.
  2. Approcher de potentiels hôtes par la technique des petits pas : ne les contactez pas directement avec un mail leur demandant d’accueillir dix personnes sur une demi-journée. Testez d’abord les eaux en invitant votre interlocuteur à prendre un café pour lui présenter ce qu’il ou elle pourra retirer de votre visite dans ses locaux.
  3. Sélectionner les participants : choisissez les participants en fonction de leurs rôles et besoins en formation. Privilégiez un groupe diversifié qui pourra avoir des retours différents, mais le mieux est quand même que les participants se connaissent pour que la découverte principale soit le lieu visité et non les autres participants de la visite.
  4. Choisir une destination pertinente : optez pour des lieux innovants vous permettant des pas de côté et sachant clairement présenter les éléments différenciants qui alimenteront la réflexion des participants.
  5. Planifier le calendrier : sélectionnez des dates appropriées pour tous les participants et donnez-vous le temps nécessaire pour la visite. Trois heures d’échange semblent être un minimum lorsque le contexte est nouveau pour les participants et si l’on veut aménager un temps pour les questions-réponses.
  6. Élaborer un programme détaillé : si vous vous déplacez, ce n’est pas pour découvrir une salle de réunion supplémentaire ! Incluez des visites, des présentations, des ateliers et des discussions.
  7. Gérez les attentes : prévenez en amont de votre visite les participants pour leur indiquer ce qu’il sera possible de faire ou non. Rappelez-leur qu’ils représentent votre organisation et que l’hôte prend déjà sur son temps pour vous recevoir ; il est normal qu’il ne souhaite pas partager certaines choses ou répondre à certaines questions avec le groupe.
  8. Encourager l’interaction : favorisez les échanges entre participants et intervenants. Les intervenants souhaiteront maîtriser l’échange et prépareront d’importantes présentations institutionnelles. L’exercice de relations publiques fait aussi partie du jeu, mais encouragez aussi l’intervenant à laisser la place aux conversations organiques.
  9. Prévoir des sessions de débriefing : organisez des débriefings pour discuter des leçons apprises et des applications possibles afin que ces visites ne soient pas qu’un « coup d’épée dans l’eau ».
  10. Évaluer les résultats : utilisez des outils d’évaluation pour mesurer l’impact de la visite sur les participants en leur demandant quelque temps après s’ils recommanderaient ce type de visite pour d’autres collègues ou ce dont ils se sont inspirés pour faire évoluer leur propre quotidien.
  1. Krepel D. et DuVall C. R., “Field Trips : A Guide for Planning and Conducting Educational Experiences”, Analysis and Action Series 1981.
  2. Behrendt M. et Franklin T., “A Review of Research on School Field Trips and their Value in Education”, International Journal 2014.
  3. Kenna J. et Russell III W. B., Secondary Teachers Utilization of Field Trips in an Era of High-stakes Testing, thèse, 2016, Université de Floride centrale.
  4. Coralie Delfosse est directrice du développement et de la transformation RH.
  5. Florence Géhin est responsable pôle Pilotage RH.
×

A lire aussi