Panorama de politiques managériales inspirantes

Le 14 février 2022

La crise sanitaire du covid-19 a fait émerger – ou fait resurgir sous de nouvelles formes – de nouvelles façons de manager dans les organisations privées comme publiques. Contrats d’équipes, management de la subsidiarité, leadership de l’incertitude ou encore semaine de quatre jours. Petit panorama des initiatives observées qui nous ont particulièrement marquées.

« Une politique de management ne s’achète pas sur une étagère », nous dit Olivier Mériaux, directeur technique à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Rien n’est plus vrai ! Les tutoriels, formations et livres vous expliquant comment être un bon manager pèchent par un excès commun : l’excès de généralisme. Ainsi, il y aurait des « bons » et des « mauvais » comportements, des « bons » et des « mauvais » managers ? Hormis certains cas extrêmes, est-ce vraiment possible ?

Pour nous, la réalité est plus complexe que cela : très peu de comportements managériaux sont en réalité 100 % bons ou mauvais. Ainsi que le complète Olivier Mériaux, ils dépendent de chaque organisation « de ses besoins, de son organisation, de son histoire, de sa structure managériale, etc. ».

En d’autres termes : les (bonnes) pratiques s’inventent au quotidien, en fonction de qui nous sommes, de qui nous avons face à nous et de la structure dans laquelle on évolue. Et c’est en cela que le bon management ne peut s’apprendre dans les livres : l’impulsion donnée par la structure à laquelle on appartient est clé !

Pour nous, une culture managériale est composée de trois leviers interdépendants les uns des autres :

Ainsi, l’action quotidienne des managers ne peut s’effectuer dans des conditions sereines que si elle s’inscrit en cohérence avec le cadre collectif donné par la structure. Et c’est là le rôle et la place des politiques stratégiques de management : non pas dire ce qui doit être fait ou pas, mais surtout définir le cadre d’autonomie dans lesquels les managers peuvent décider d’agir et donc adapter leurs comportements à la situation, aux personnes présentes et à leur identité.

Plus encore, c’est dans ces politiques collectives que se traduit véritablement l’engagement des organisations envers leurs collaborateur·rices puisque ce sont dans ces politiques que les valeurs et les engagements des organisations sont véritablement portés. Et sur ce plan, ces dernières années ont été particulièrement prolifiques en termes d’initiatives à la fois managériales et sociétales, porteuses d’une vision riche de la place du travail dans la société. Petit panorama des initiatives observées qui nous ont particulièrement marquées.

Les contrats d’équipe

Conciliation vie privée et professionnelle : ●●●●˜˜˜˜˜˜˜˜˜

Recentre l’activité sur le « vrai travail » : ●●●˜˜˜š

Redonne du pouvoir d’agir aux agents : ●●●●˜˜˜˜˜˜˜˜˜

Qu’est-ce que c’est ?

Pratique de plus en plus développée, qui a connu une accélération après les phases de confinement, elle permet de laisser à chaque manager le pouvoir d’organiser les temps et les modalités de travail de son équipe au plus près des besoins de son service – dans le respect de la loi, des accords d’entreprise et de la politique de la structure, bien sûr. Les engagements réciproques sont formalisés dans des contrats d’équipes que chacun s’engage à respecter. On parle là-dessus « d’effet cliquet » : pas question pour une équipe d’offrir des avantages moindres que ceux auxquels l’organisation s’est engagée… mais au-delà : tout est ouvert !

À titre d’exemple, l’entreprise Novartis (110 000 collaborateurs à travers le monde) a eu recours à ces modalités à un niveau mondial à travers son programme « Choice with responsibility » 2, mis en place après le premier confinement pour répondre aux envies des collaborateur·rices de « plus de télétravail » – voire même de « work from anywhere » (« travailler de n’importe où »).

Le programme repose sur le principe suivant : chaque équipe définit ses moments communs et collectifs, ainsi que les modalités de ces moments (horaires, lieux, etc.) et en dehors de ces temps prédéfinis, les collaborateur·rices sont libres de leur organisation (et du lieu) de travail !

Pourquoi est-ce intéressant ?

Voilà une initiative qui concilie le pouvoir des managers et l’écoute des équipes ! Par définition, le contrat d’équipe est synallagmatique : il permet de répondre aussi bien aux attentes du manager, qu’à celles des équipes. En outre, il rend l’ensemble des parties responsables du respect de ces engagements, évitant ainsi que cette charge repose uniquement sur les épaules déjà bien chargées des managers. Enfin, il permet à chaque équipe de s’organiser selon ses besoins propres c’est-à-dire celui du service, mais aussi celui des personnes en place, chacun à son rythme !

Enfin, la nécessaire revue régulière des termes du contrat (évolution du contexte, des objectifs, des personnes en place) garantit la tenue d’un processus vertueux de dialogue régulier au sein des équipes.

Le management de la subsidiarité

Conciliation vie privée et professionnelle : ˜○○○ššš

Recentre l’activité sur le « vrai travail » : ●●●●˜˜˜˜

Redonne du pouvoir d’agir aux agents : ●●●●˜˜˜˜

Qu’est-ce que c’est ?

Le principe est simple en apparence : la subsidiarité consiste à mettre la décision entre les mains de celles et ceux qui sont le plus à même de réaliser la tâche. Le corollaire étant que la responsabilité des échelons supérieurs est de réaliser les tâches que les échelons inférieurs ne peuvent assumer (faute de temps, de ressources, de besoin de transversalité, etc.).

En pratique, cela peut se traduire de différentes manières : de la matrice de décision pour bien clarifier qui peut décider quoi… jusqu’à la mise en place des cercles de décisions chers à l’holacratie. Dans ce dernier cas, l’organisation vient remplacer la logique hiérarchique par une organisation des activités en « cercles » interdépendants, auto-organisés et en charge de remplir les objectifs stratégiques.

À ce sujet, citons, par exemple, la ville d’Annemasse ou la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Yvelines qui ont mis en place des organisations inspirées des entreprises libérées… et dont la réflexion a conduit à réduire le nombre de strates hiérarchiques en diminuant le nombre de strates dédiées au contrôle pour les repositionner sur des politiques publiques et/ou de nouveaux chantiers en déshérence jusque-là.

Pourquoi est-ce intéressant ?

Ces initiatives sont intéressantes à différents niveaux : tout d’abord, l’axiome qui les porte vient inverser la logique hiérarchique : ce ne sont plus les encadrants stratégiques qui définissent les périmètres, mais ce sont les besoins de terrain qui guident la répartition des activités. Ainsi, les strates « supérieures » sont en charge de faire ce que les autres ne peuvent pas faire… et non l’inverse ! Un beau renversement du paradigme organisationnel actuel, qui a également pour vertu de remettre du sens dans l’activité des équipes, et de questionner le rôle des différentes couches hiérarchiques.

La nature éminemment souple de ces systèmes nous paraît particulièrement adaptée aux évolutions sociétales : elles offrent la possibilité à chacun de maîtriser son métier tout en ouvrant la possibilité d’aller développer des compétences dans d’autres domaines, via la nature évolutive des cercles. Enfin, elles conduisent à se questionner collectivement sur la nature véritablement « utile » des activités de l’organisation… et permettent donc une plus grande agilité des structures.

Le leadership de l’incertitude

Conciliation vie privée et professionnelle : ●●●●˜˜˜˜

Recentre l’activité sur le « vrai travail » : ●●●˜˜˜š

Redonne du pouvoir d’agir aux agents : ˜○○○ššš

Qu’est-ce que c’est ?

Soyons honnêtes, ce type de management n’est pas tellement nouveau… mais c’est le partage de ces pratiques et leur élargissement à de nouveaux domaines qui les rend intéressantes aujourd’hui.

Issu des métiers de l’urgence, ce type de management repose sur différents principes :

  • le manager ne sait pas tout ;
  • le questionnement est plus important que les réponses ;
  • les plus petits pas possibles sont à privilégier.

C’est la posture qui a été adoptée par deux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) : les SDIS de Saône-et-Loire (71) et du Jura (39) en vue de renforcer leur capacité d’adaptation et d’innovation. Cette démarche, en cours depuis sept ans, a débuté par un temps de concertation permettant de définir un cadre de référence commun. En outre, le comité de direction du SDIS 39 a réalisé un plan de développement et d’engagements, selon le principe des plus « petits pas possibles » (privilégiant les actions prenant peu de temps et d’énergie, mais à forte valeur ajoutée).

Pour ce qui est du SDIS 71, c’est le directeur qui a modélisé une démarche menant vers ce qu’il a nommé le « leadership de l’incertitude », c’est-à-dire dans lequel le leader peut librement avouer ce qu’il ne sait pas et c’est ensuite par le questionnement collectif que des solutions sont échafaudées, apportant ainsi de la valeur à la réflexion et aux réponses. Cette logique, inspirée de la supervision et du co-développement, permet aux agents de savoir « faire avec » des situations sans solutions connues, dans une vraie logique d’apprenance !

Pourquoi est-ce intéressant ?

Tout simplement parce que ça vient reposer une vérité fondamentale et trop souvent oubliée dans nos organisations : personne n’a réponse à tout, pas même le manager ! En repositionnant l’apprenance au cœur du système de management, cette pratique vient rappeler que c’est en questionnant ensemble (plus qu’en apportant des solutions toutes faites) que l’on apprend et que la force d’un collectif repose dans la diversité de ses membres… une pratique qui nous paraît être une réponse particulièrement pertinente dans un monde dit « VUCA », pour « volatile, incertain, complexe et ambigu ».

La semaine de quatre jours

Conciliation vie privée et professionnelle : ●●●●

Recentre l’activité sur le « vrai travail » : ●●●○

Redonne du pouvoir d’agir aux agents : ●○○○

Qu’est-ce que c’est ?

Pardonnez-nous la nature un peu plus précise de cette mesure, mais son actualité et son intérêt sont tels que nous ne souhaitions pas passer à côté. Le nom est auto-porteur et son objectif tient en un slogan : travailler moins pour travailler mieux (avec maintien du salaire !). Expérimentée dans le secteur public en Islande entre 2015 et 2021, 3 000 agents en ont bénéficié. Leur retour d’expérience ? Optimisation des temps de réunions, meilleure priorisation des tâches, aménagement des horaires d’ouverture au public, etc., et le tout pour une augmentation de la productivité, une réduction du stress et une meilleure conciliation de la vie professionnelle et privée. Fin 2021, c’est l’Espagne qui s’est lancée dans l’expérience et en France plusieurs entreprises ont annoncé qu’elles lançaient l’expérimentation (le Cercle des jeunes dirigeants, premier mouvement patronal de très petites entreprises [TPE] et petites et moyennes entreprises [PME] a d’ailleurs apporté son soutien à ces initiatives en automne 2021).

Pourquoi est-ce intéressant ?

Pour le temps libre bien sûr ! Mais aussi, et surtout, parce que cette expérimentation vient questionner la place de la sacro-sainte valeur travail, ainsi que notre organisation collective et individuelle. Si le travail peut être réalisé en quatre jours, qu’est-ce que cela dit de l’utilité des tâches réalisées (les Français estimant passer environ un tiers de leur temps sur des « bullshit tâches ») ? Faut-il continuer de travailler cinq jours sur sept alors que l’automatisation et l’informatisation sont censées nous permettre de gagner un temps précieux (et que faisons-nous de ce temps)3 ?

Selon nous, et pour aller dans le sens du chercheur Will Stronge, l’expérimentation menée en Islande « prouve que le secteur public est prêt pour être un pionnier des semaines de travail réduites et […] des leçons doivent être tirées par d’autres gouvernements ».

Une opportunité de donner une portée politique aux politiques de management, non ?

  1. Cabinet spécialisé dans l’accompagnement des transformations et la conduite du changement, en mobilisant des méthodologies innovantes et dynamisantes (www.oyena.fr).
  2. https://www.novartis.com/careers/how-we-work
  3. Graeber D., Bullshit jobs, 2018, Les liens qui libèrent.
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