Milad Doueihi : la confiance à l'ère numérique

La confiance à l'ère numérique
Le 21 mai 2018

L’époque est à la crise de confiance. Fausses identités sur les réseaux sociaux, transactions en ligne, fuite ou exploitation des données personnelles par les GAFAM, campagne de fake news orchestrée par des officines pour manipuler l’opinion, etc. Les mécanismes de la confiance sont bousculés par les pratiques numériques. Dans ces conditions, comment la notion de confiance va-t-elle évoluer sur le long terme ? Quelles sont les différences entre les concepts de « confiance » et de « fiabilité » à l’heure du tout connecté ? À quelles métamorphoses sont promis les métiers de la confiance, comme le notariat ou la banque, au temps de la blockchain ? Milad Doueihi, théoricien du numérique et historien des religions, et Jacopo Domenicucci, philosophe spécialiste de la confiance, invitent à réfléchir à toutes ces évolutions dans l’ouvrage collectif La confiance à l’ère numérique.

Quelle est la vocation de cet ouvrage ?

« C’est un ouvrage collectif qui rassemble, pour la première fois en français, des contributions académiques inédites sur les enjeux de la confiance dans nos sociétés davantage numériques. Il ne s’agit pas un ouvrage exhaustif mais plutôt une réflexion collective, qui lance des pistes pour comprendre la notion de confiance à l’ère numérique, avec le souci de ne pas exclure une perspective au profit d’une autre. Notre approche est multidisciplinaire (historique, juridique, philosophique, épistémologique, etc.), l’objectif étant d’enrichir la réflexion par des regards multiples. Nous abordons toute une série de questions autour de la notion de confiance : les formes juridiques de la régulation, le statut de l’identité vis-à-vis de sa construction sur les réseaux sociaux et avec ce que cela implique pour la notion de confiance, l’exploration d’autres modèles sociologiques de construction de l’identité, etc. C’est un voyage initiatique à la frontière de l’éthique, la philosophie de la technique, la philosophie sociale et les cultural studies. »

À votre avis, la confiance à l’ère numérique, finalement, c’est plutôt confiance ou défiance ?

« Si je le savais… Il n’y a pas de recette miracle pour construire cette confiance connectée dont nous avons tous besoin, tout reste encore à bâtir avec les acteurs de l’écosystème (pouvoirs publics, entreprises, individus). Ce que nous avons pu constater, en tout cas, c’est que les règles évoluent très vite. Par exemple, le modèle du tiers de confiance, avec des certificats d’authentification émis par des autorités pour garantir la confiance (banques, États) commence clairement à atteindre ses limites car ce modèle peut être hacké. Le scandale “Cambridge Analytica” de Facebook est aussi symptomatique d’une crise de confiance sur l’exploitation des données personnelles. Le modèle du consentement de l’utilisateur sur ses données personnelles sera-t-il suffisant à l’avenir pour garantir la confiance ? Autre enseignement : il ne faut pas confondre “confiance numérique” et “sécurité numérique”. De nombreux acteurs impliqués dans ce débat ont tendance à faire du défi de la confiance numérique une question technique de mise en sécurité. »

À quoi ressemblera la confiance à l’avenir ?

« La confiance est essentielle pour le fonctionnement de notre économie, de notre société, dans l’entreprise ou entre les individus. Avec l’irruption fulgurante du numérique, le paysage a volé en éclats, les règles ne sont plus les mêmes, de nouveaux paradigmes émergent, pérennes ou non (ex. : la blockchain). La vérité est de plus en plus soumise aux conditions de l’environnement numérique ; l’environnement numérique est lui-même déterminé par le software. Je reprends souvent une citation de Marc Andreessen, le fondateur de Nescape, qui a dit que « le software est en train de dévorer le monde ». Aujourd’hui, la notion de confiance est aussi associée au code informatique. Comment peut-on construire la confiance en prenant en compte le rôle incontournable et déterminant du code informatique, avec ses failles, dans toutes ses déclinaisons ? C’est à mon avis l’un des grands défis à venir, qui se traduit par la question : “In Code we trust ?”. »

A lire

Doueihi M. (dir.), Domenicucci J. (dir.), La confiance à l’ère numérique, mai 2018, coédité par les Éditions Berger-Levrault et les Éditions Rue D’Ulm, 29 €.

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