Podcast : Où va l'innovation publique ?

Podcast Horizons publics
Le 9 février 2023

Dans ce deuxième épisode de « Cinq ans d'explorations publiques », le podcast anniversaire d'Horizons publics, on s'intéresse plus précisément à la place du design, l’innovation en temps de crise sanitaire et la question des laboratoires d’innovation publique. Ce sont trois évolutions qui ont marqué le monde de l’innovation publique ces dernières années. 

En fait, l'une des vocations du design, c'est de répondre à des besoins, de résoudre des problèmes, de repartir des réalités sensibles des populations et aussi des agents, de proposer des solutions différentes. Et en fait, c'est à l'origine, pas dans la culture d'une administration qui est plutôt bien, plutôt d'une culture de gestion, d'une culture davantage centrée sur les enjeux de gestion interne ou budgétaire. Et donc, cette culture, elle faisait défaut en fait. Et donc le design a trouvé sa place parmi d'autres disciplines, mais a trouvé sa place parmi les disciplines qui pouvaient contribuer à transformer la culture de gestion publique et repartir davantage des réalités des réalités humaines, des réalités des usagers, des réalités du terrain.

Cette voix que vous entendez, c’est celle de Stéphane Vincent, délégué général de la 27e Région – l’un des laboratoires publics de recherche-action qui accompagne les collectivités dans leur transformation depuis près de 15 ans. Il a contribué avec son association à introduire l’innovation par le design dans les collectivités locales. En effet, depuis les années 2000, les collectivités territoriales et les services de l’Etat voient dans le design un outil de transformation de l’action publique. Le design s’est déployé dans les administrations nationales et territoriales sous différentes formes : design de service, design thinking, UX Design, design numérique, et même design fiction… Aujourd’hui, Stéphane estime que l’heure est venue de tirer le bilan de cette pratique et que le design doit se professionnaliser pour s’ancrer durablement.

Je suis Julien Nessi, rédacteur en chef d’Horizons publics, et vous écoutez « Horizons publics, le podcast ». Horizons publics, c’est d’abord une revue papier unique dans le paysage éditorial qui s’adresse à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’innovation publique. Une revue indépendante publiée par la maison d’édition Berger-Levrault qui s’est donnée pour mission, avec une liberté de ton et une diversité de traitement, d’explorer « de nouveaux horizons » pour l’action publique.

Je suis accompagné de Lydie Margery, cheville ouvrière de la revue qui s’occupe depuis ses débuts du secrétariat de rédaction et de la coordination éditoriale, qui a bien voulu prêter sa voix pour ce podcast anniversaire.

Dans ce podcast anniversaire, en trois épisodes, on a voulu prolonger les réflexions de l’un de nos hors-série thématiques « 5 ans d’explorations publiques » paru au printemps 2022. Un numéro anniversaire qui est revenu sur les tendances marquantes de l’innovation publique qu’on a pu observer ces cinq dernières années : l’essor des « biens communs », l’innovation en temps de crise sanitaire, la place des usagers et des agents dans la fabrique de l’action publique, le recours au design de service comme méthode d’expérimentation publique, les enjeux d’adaptation à la crise climatique et la fin du dogme de l’aménagement du territoire. Ce podcast anniversaire est aussi l’occasion de questionner l’innovation publique : où en est-elle ? où va-t-elle ? Qui sont les principaux acteurs de cet écosystème ? Quels sont les outils et les méthodes en vogue ? Quel bilan peut-on tirer des laboratoires d’innovation publique qui se sont multipliés ces dernières années ? L’innovation publique est-elle condamnée à rester en marge des grandes transformations ? Comment dépasser « l’innovation washing » qui consiste à utiliser l’innovation pour communiquer plutôt que pour transformer ! Allons-nous vers une nouvelle séquence de l’innovation publique avec une approche plus systémique et plus en phase avec les mutations du monde moderne ?

Justement, dans ce deuxième épisode d’ « Horizons publics, le podcast anniversaire », on va s’intéresser plus précisément à la place du design, l’innovation en temps de crise sanitaire et la question des laboratoires d’innovation publique. Ce sont trois évolutions qui ont marqué le monde de l’innovation publique ces dernières années.

Le recours au design pour replacer l’usager au centre des services publics, c’est une méthode qui a essaimé dans les collectivités locales et les territoires ces quinze dernières années. Aujourd’hui, l’usage du design dans les politiques publiques est un peu à la croisée des chemins. Ecoutons d’abord Olivier Irrmann, sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de cette discipline. Professeur en gestion de l’innovation et codesign à Yncréa – un pôle privé d’écoles d’ingénieur - à Lille, voilà ce qu’il écrit à propos du design dans l’un de nos numéros consacrés au design dans les territoires, que nous avons publié dans notre hors-série collector « Cinq ans d’explorations publiques ».

Le design, les laboratoires d’innovation, les expériences de codesign sont des moyens d’insuffler du changement progressif, avant que ces approches soient progressivement métabolisées dans l’administration. Comme nous l’avons vu, elles permettent de retrouver du sens à l’action publique, de donner la voix aux citoyens et de se reconnecter avec des usagers qui ont souvent l’impression de ne pas avoir voix au chapitre. Les travaux récents sur les nouvelles formes d’innovation publiques en France ont montré comment le design pouvait s’intégrer progressivement dans une organisation publique en y amenant des améliorations importantes sans générer de ruptures. 

On trouve aujourd’hui des designeuses et des designers intégrées en collectivités locales ou au sein de l’Etat. Il y a même une association « Dessein Public », lancée en 2021, qui fonctionne comme le réseau de designers intégré.es en collectivités ! C’est une réelle avancée et une reconnaissance de leur apport pour améliorer les services publics. Nous avons demandé à Stéphane Vincent, délégué général de la 27e Région, que vous avez entendu au début de ce deuxième épisode quelles sont aujourd’hui les limites du recours au design dans la fabrique de l’action publique.

Il y a d'abord un risque que le design devienne un business parmi d'autres, qui resteraient une technique d'innovation, de participation, alors que c'est beaucoup plus que ça et qui soit aussi une technique participative un peu dépolitisée, où on interroge pas le sens de ce qui est fait. Et donc là, il y a vraiment besoin que les designers, puisque c'est un peu leurs responsabilités, retrouvent des façons de garder une nature, de donner une nature critique au design. Ils sont quand même là pour réinterroger des problèmes et qui essayent de cultiver davantage leur indépendance, de construire des relations alternatives au mode client fournisseur qui les met souvent dans des formes de domination où Ils ont du mal à refuser des choses qui pourtant mériteraient d'être mises en œuvre.

Le deuxième risque, pour Stéphane, c’est que les démarches de design dans les administrations s’arrêtent à mi-chemin ou n’aboutissent pas.

Et puis l'autre risque, c'est que, en réalité, beaucoup de projets de design s'arrêtent en cours de route, s'arrêtent au moment des phases de conception, d'idéation, de scénarios, mais qu'en fait, on s'aperçoit souvent que les projets ne sont pas mis en œuvre. Derrière les scénarios, les prototypes sont quelquefois sans suite. Le design a du mal à prouver encore qu'il a véritablement un impact. Et ça vient aussi du fait que souvent dans le design, on méconnaît un peu les mécaniques réelles de transformation.

L’enjeu aujourd’hui, c’est d’ancrer durablement ces pratiques dans les organisations publiques en formant par exemple les designers aux enjeux actuels de l’action publique et en les intégrant dans des équipes pluridisciplinaires. Faire en sorte qu’ils puissent travailler avec d’autres intervenants des sciences humaines et sociales (sociologues, ethnographes, historiens…).

La crise sanitaire a-t-elle accéléré l’innovation publique ? Pour certains observateurs, la crise du Covid-19 a été un tournant pour l’innovation publique et n’a fait que révéler des pratiques professionnelles en mutation. Pour d’autres, elle a touché de plein fouet le secteur public. Pour Elisabeth Dau, experte en gouvernance démocratique et co-fondatrice de Fréquence commune, une coopérative qui accompagne habitant.e.s et élu.e.s pour réinventer la démocratie locale, cette crise a en tout cas montré la capacité d’innovation et d’adaptation de l’administration locale.

Alors pour moi, cette crise sanitaire liée au covid 19 et à la fois une grande opportunité pour l'action publique, est un rendez vous manqué. Une grande opportunité parce que je pense qu'elle a permis à tous les travaux de la 27ᵉ région de Louise Guillaud, qui a écrit notamment dans Horizons publics sur les capacités publiques au sortir de la crise sanitaire, nous montre qu'on est passé d'une administration guichet à une administration tournée vers l'aller vers aller vers les citoyens, aller vers les usagers, aller vers les les plus fragiles notamment. Qu'elle a permis aussi de montrer qu'on a une administration et je pense notamment une administration territoriale qui est partenaire d'un Etat, qui a des capacités d'adaptation fortes, qu'elle soit individuelle chez les agents publics ou qu'elle soit plus organisationnelle en termes de services. Elle a été un vrai renfort et une vraie, un vrai interlocuteur de proximité. Je crois qu'on a vu des binômes entre les maires et les préfets notamment, qui qui pouvaient fonctionner avec plus ou moins de limites derrière ça, qui font émerger peut être des propositions justement sur aujourd'hui la crise des services publics, mais la crise de sens chez les agents publics.

Une autre évolution marquante dans le « petit » monde de l’innovation publique, c’est la multiplication des laboratoires d’innovation publique au sein des ministères, des préfectures de régions, des collectivités territoriales, d’hôpitaux et d’opérateurs. La Direction interministérielle à la Transformation publique (DITP), la cellule innovation de l’Etat dont on a déjà parlé dans le premier épisode, fédère aujourd’hui une communauté de près de 80 laboratoires d’innovation publique. Et pour y voir plus claire sur qui fait quoi, il existe désormais un atlas des laboratoires d’innovation publique qui a été publié pour la première fois en novembre 2022, à l’occasion du Mois de l’innovation publique. Certains comme le Tiab, le laboratoire de la préfecture de la région Bretagne, viennent même de fêter leur cinq ans (comme Horizons publics !). Ils jouent un rôle essentiel pour diffuser la culture de l’innovation dans les administrations (méthodes d’intelligence collective, innovation managériale, développement de la créativité, imaginer des solutions nouvelles avec les usages et les agents publics…). Certains labos ont d’ailleurs joué un rôle précieux pendant la crise sanitaire, mettant leurs espaces et ressources à disposition pour fabrique visières, masques…

Anne-Laure Guillerme, responsable de l’Etat’LIN, le laboratoire d’innovation publique des services de l’Etat en région Pays de la Loire, que j’ai pu rencontrer à l’occasion d’une journée sur l’innovation ouverte, nous explique le rôle de son labo.

On accompagne des services de l'Etat pour repenser leur service public, notamment leur accueil du service public. C'est déjà le premier, la première vitrine du service public, c'est son accueil. Et donc on a accompagné la préfecture de Loire-Atlantique pour repenser sa signalétique, son parcours usager, avec des démarches très inclusives, des QR codes pour les personnes malvoyantes, et cetera On accompagne aussi le commissariat à Nantes, commissariat central sur comment on améliore l'accueil à la fois pour les agents avec les problématiques de confidentialité, de sécurité et pour les usagers des victimes de violences notamment. On fait aussi ce travail avec la trésorerie des services publics, des parcs d'innovation publics. Il y a ce volet usager, mais il y a aussi ce volet interne et agent public. Et on essaie de développer l'entrepreneuriat chez les agents publics. C'est vraiment le portage de projets et l'accompagnement des porteurs de projet agents publics. Donc là, on a une promotion de dix agents publics qu'on accompagne depuis quelques mois dans leur projet du quotidien, dans leur dans leur vie quotidienne administrative, pour améliorer les petits points, que ce soit sur les conditions de travail ou les relations avec les usagers, ou des démarches en ligne.

Cependant, quelle que soit leur taille, et qu’ils soient ou non indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics, ces labos luttent toujours un peu pour leur survie à long terme… et ils peuvent être confrontés à pas mal de difficultés. Un programme de recherche-action en cours, les labonautes, explorer l’avenir des labos d’innovation publique, animé par La 27e Région, en a justement dressé une typologie : les labos qui restent de simples « boites à outils », des labos perçus comme des « postes de coût », des labos utilisés comme de simples consultants internes, le labo un peu « hors champs » trop lié au top management… Voilà ce que m’a confié Stéphane Vincent lors de son passage dans le studio d’enregistrement de ce podcast.

C'est intéressant parce que c'est vraiment le laboratoire d'innovation publique. Ça a été un peu le symbole et toujours d'une façon concrète de transformer le secteur public, mais c'est assez décevant, en réalité, pour l'instant, l'idée que des institutions publiques puissent se doter de compétences permanentes en innovation sociale, en écoconception, en recherche. Et dans pas mal d'esprits, mais la réalité est assez en décalage. Je crois que c'est en train de décevoir pas mal de monde et du coup, on est quelques uns à essayer de regarder comment comment jeter le bébé avec l'eau du bain et comment c'est mieux comprendre pourquoi. Pourquoi ça, c'est pas pourquoi ça se transforme pas vraiment ? Alors il y a plein de raisons, il y a des raisons, notamment de sous investissement. C'est à dire que souvent, ces sujets là sont pris comme des questions de coûts, alors que ce sont des questions d'investissement. Est ce qu'on veut investir dans de la qualité du service public, dans une reconnexion du service public avec ces publics, et cetera Ou bien on considère juste et à un coût parmi d'autres ?

L’enjeu pour les labos, c’est de parvenir à sortir de leur périmètre de « petites unités agiles dotées de boîte à outils (de design) »… À l’image de ce que fait le Tilab qui en 5 ans a affirmé son positionnement original dans le paysage des labos, qui joue à fond la carte des coopérations territoriales et de l’innovation ouverte sur l’écosystème… D’ailleurs son directeur, Benoît Vallauri, avait confié dans un entretien à Horizons publics que son labo devait voir plus loin, qu’il fallait passer d’un mode d’innovation « services publics – usagers » à un mode « politiques publiques – citoyens »…

Je suis Julien Nessi, rédacteur en chef d’Horizons publics, la seule revue dédiée à la transformation publique, et vous venez d’écouter le deuxième épisode d’ « Horizons publics, le Podcast anniversaire ». Dans le prochain et dernier épisode, nous poursuivrons notre exploration de l’innovation publique sous toute ses formes. Ce podcast a été réalisé avec le concours de Louie Média, qui en a assuré la post production et la création musicale. Avec la participation de Lydie Margery, Alexia Decaix, Stéphane Vincent, Stéphane Cordobes, Giulia Reboa, Nicolas Kada, Elisabeth Dau, David Le Bras et Philippe Guichardaz.

Pour suivre l’actualité d’Horizons publics : horizonspublics.fr / https://twitter.com/HorizonsPublics

La revue est disponible par abonnement, ou au numéro en librairie et sur notre boutique en ligne

×

A lire aussi