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« Nous ne sommes pas des fainéants » : vivre au RSA à l’aune de l’obligation et du contrôle

Rapport un boulot de dingue
Une photo tirée du rapport "Un boulot de dingue. Reconnaître les contributions vitales à la société" (Aequitaz-Secours Catholique Caritas France), parution le 13 septembre 2023.
©Secours catholique
Le 11 septembre 2023

Le projet de loi pour le plein emploi prévoit d’augmenter la pression sur le retour à l’emploi des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), notamment en conditionnant le versement de l’allocation à quinze à vingt heures d’activité hebdomadaire obligatoires. L’association AequitaZ, qui agit avec des collectifs de personnes « en galère » pour faire reculer les injustices en France, a recueilli pour Horizons publics les témoignages de personnes vivant du RSA et partage un autre regard sur les enjeux de solidarités et d’insertion.

Juin 2023 : devant un parterre d’une vingtaine de parlementaires de tous bords, Anthony2, allocataire du RSA, qui a traversé la France pour cette rencontre d’échange sur le projet de la loi Plein emploi, est calme et concentré. Il prend son temps. Il démarre tranquillement par situer son histoire, celle d’un jeune qui interrompt ses études après « un accident de parcours », comme on dit. Il n’en dira pas plus, invitant ces interlocuteurs à s’interroger par eux-mêmes : « C’est quoi un accident de parcours ? Est-ce que ça ne peut pas arriver à chacun d’entre vous ? », semble-t-il leur souffler.

Il poursuit ensuite avec la honte, la peur de demander le RSA pour la première fois. Il plonge son auditoire dans le récit de son « parcours de l’allocataire ». C’est fait de multiples démarches, de temps long pour tenter d’aller mieux, de relations familiales et amicales fragilisées, d’engagements bénévoles restés dans l’ombre. Il semble interroger les parlementaires des yeux : « Réalisez-vous seulement ce que tout cela nous fait vivre ? » Les députés tantôt hochent la tête avec empathie, tantôt plongent leurs regards vers le sol. Les jeunes collaborateurs d’élu·es pianotent sur leurs portables, souvent impassibles. La salle est attentive et silencieuse.

On s’approche de la fin de ce discours soigneusement préparé. Le ton s’affirme. Les mots résonnent : « Nous ne sommes pas des fainéants. » C’est une invitation claire et déterminée à changer de logiciel. Pourrait-on considérer à sa juste valeur ce qui est fait – ce que les gens qui « galèrent » font chaque jour – plutôt que de toujours leur demander d’en faire plus et plus vite ?

Comme dernière adresse aux élus de la République qui s’apprêtent à examiner le projet de la loi Plein emploi d’abord au Sénat, puis en septembre 2023 à l’Assemblée nationale, Anthony plaide pour la confiance : « Si vous voulez être constructif pour nous aider à retrouver un emploi, écoutez-nous et faites-nous confiance. C’est de cela dont nous avons besoin. » Nous sommes aujourd’hui au cœur de ce débat. Il oppose les tenants d’une réforme qui pense l’emploi comme unique voie d’insertion à celles et ceux qui souhaitent préserver une politique de lutte contre la pauvreté et une protection sociale qui sécurisent face aux aléas de la vie et aux inégalités sociales.

AequitaZ, en alliance avec des collectifs de personnes au chômage, dont Anthony fait partie, partage un autre regard sur les enjeux de préserver des solidarités et notre protection sociale face au mythe du plein emploi.

« Un boulot de dingue » : prendre la mesure de l’invisible

Il y a un postulat désormais bien ancré dans l’approche des politiques sociales depuis les années 2000 et désormais dans l’opinion publique, c’est l’idée que les pauvres devraient être « activés » pour rejoindre un emploi. « L’activation », c’est l’idée que l’énergie institutionnelle doit être mise à inciter – ou obliger – les personnes à mener à bien tout ce qu’on estime qu’elles devraient entreprendre pour sortir de la case des minima sociaux, prenant ainsi parfois pour acquis que, d’elles-mêmes, elles ne sont pas, ou pas suffisamment, mobilisées dans ce sens. C’est comme si, hantés par l’idée que les aides sociales se transforment en « trappes à pauvreté », et par le coût des politiques sociales, les pouvoirs publics finissent par ne plus supporter l’idée que les gens qui ouvrent leurs droits au RSA puissent y rester le temps nécessaire pour que de meilleures solutions adviennent.

Pourrait-on considérer à sa juste valeur ce qui est fait – ce que les gens qui « galèrent » font chaque jour – plutôt que de toujours leur demander d’en faire plus et plus vite ?

Au sein d’un groupe de recherche en carrefour de savoirs3, nous avons pris ce sujet à bras le corps en partant d’une autre hypothèse. Les personnes s’activent bel et bien : on le voit, on le sait à travers l’histoire d’Anthony et toutes les autres partagées dans nos collectifs. Mais ce sont comme des activités invisibles, qui ne comptent pas vraiment, et que l’on finit presque par ne plus voir soi-même et par taire. En prenant soin de sa famille, en étant proche aidant d’un parent âgé, en étant bénévole, les « actifs » en France sont bien plus nombreux que la statistique voudrait nous le faire croire ! Plus d’un Français sur deux est considéré comme inactif selon les définitions du Bureau international du travail. Parmi eux, 2 millions de personnes au foyer, près de 2 millions de chômeurs non déclarés ou encore 14 millions de retraités. Selon l’étude Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 de l’Insee4, les tâches domestiques représentent 42 à 77 milliards d’heures. Rapporté aux 38 milliards d’heures de travail rémunéré réalisées sur la même période, le temps de travail domestique est donc au minimum égal au temps de travail rémunéré. De même, on estime que si l’activité parentale et domestique était déléguée à des professionnels, le produit intérieur brut (PIB) de la France augmenterait d’un tiers5 !

Au-delà des catégories statistiques qui interrogent, se trouve une évidence : de très nombreuses personnes, en particulier celles qui ne travaillent pas, agissent dans des formes très variées d’activités domestiques ou bénévoles. Elles contribuent activement à leur bien-être, au soin de leurs proches, de la société et du vivant. Dans notre rapport de mise au débat public, intitulé Un boulot de dingue ! Reconnaître les contributions vitales à notre société (sept. 2023), nous avons, avec le Secours catholique, recensé les activités réalisées au quotidien par des personnes en précarité et sans emploi. Nous avons analysé ces activités au prisme de ce que Robert Castel nomme une « protection sociale rapprochée »6, c’est-à-dire tout un pan de notre système de solidarité qui repose directement sur des actions d’entraide entre personnes : porter un repas à un voisin malade, élever en famille un enfant en situation de handicap, etc. Ce sont autant d’activités indispensables à notre société. Sans elles, tout s’écroule. C’est un peu la somme de « tout ce qu’il y a à faire », des activités qui s’imposent à nous, car nous sommes dépendants les uns des autres. Il est temps de donner d’avantage de valeur et de reconnaissance à ce monde du « hors-emploi ».

S’activer dans le « hors-emploi », c’est cumuler les injustices

Par ces politiques sociales, la France est capable depuis de longues années de reconnaître l’importance du temps consacré à la famille (congés parentaux, trimestre de retraites pour les femmes ayant eu des enfants, etc.). Plus récemment, le combat pour la reconnaissance du statut d’aidant familial a également progressé. Mais pour ceux qui vivent avec les minima sociaux, on observe un cumul d’injustices, fait de suspicions et de difficultés aggravées par la pauvreté. C’est un sentiment de mépris qui s’exprime et qui est vécu comme d’autant plus insupportable que dans un quotidien déjà très contraint. Durant notre recherche, nous avons analysé ce cumul d’injustices.

En prenant soin de sa famille, en étant proche aidant d’un parent âgé, en étant bénévole, les « actifs » en France sont bien plus nombreux que la statistique voudrait nous le faire croire !

Sabine, aidante de son mari, nous a raconté : « Le médecin dit d’amener mon mari chez le pédicure, mais le soin n’est pas remboursable. Cela coûte trente euros. Je n’ai pas la possibilité de payer cette somme, alors je le fais moi-même, en plus de tout le reste. » La charge s’alourdit considérablement quand on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Il y a également le risque d’être pénalisé quand les revenus dépendent des minima sociaux : Élise, voisine d’une personne en situation de handicap, témoigne également : « J’ai apporté ponctuellement des petits plats à ma voisine qui, à cause de sa maladie, n’a parfois pas la force de se faire à manger. Elle avait fait une demande de prestation compensatoire de handicap, et du fait de cette aide en nature, même ponctuelle, elle craignait de se voir diminuer son aide. » Héberger une personne avec de très maigres revenus à titre gratuit entre aussi dans cette catégorie d’activités plus « à risque » quand on reçoit les allocations logement. La place que l’on occupe dans l’échelle des revenus rend indéniablement plus ou moins facile l’engagement solidaire.

L’autre face du « boulot de dingue » est également le temps et l’énergie passés à assurer sa propre subsistance. Nous parlons du RSA comme d’un revenu de survie, car, à hauteur de 607 euros pour une personne seule, soit 35 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il ne peut être considéré comme un revenu qui permet de disposer des « moyens convenables d’existence »7 (il représentait 50 % du SMIC à sa création en 1988 et n’y est toujours pas indexé). Vivre avec 600 euros par mois relève d’un parcours du combattant : compter chaque jour, prendre sa place dans les files de l’aide alimentaire, tenter de se soigner, de l’accès à des loisirs. Toutes ces vies ne sont pas faites de « rien », d’inactivité, elles sont bien au contraire le fruit de tâches nombreuses, difficiles et menées sous la pression du manque d’argent.

Toutes ces vies ne sont pas faites de « rien », d’inactivité, elles sont bien au contraire le fruit de tâches nombreuses, difficiles et menées sous la pression du manque d’argent.

La recherche d’emploi ou le maintien de ces droits fait également partie de ce parcours du combattant : il faut faire tout un tas de choses pour se rendre employable : la recherche d’emploi en elle-même (sélectionner les annonces, les analyser pour en faire une réponse adaptée, envoyer les candidatures, répondre aux recruteurs, etc.), mais aussi le temps passé à établir un réseau, chercher à se former, faire des stages, etc. C’est un travail dur, non reconnu et parfois qui abîme, met en colère et ruine les espoirs, car l’emploi n’est pas toujours sur le trottoir d’en face : les refus essuyés par des recruteurs sans motif, la formation non financée, les contrats en insertion inadaptés, les accidents du travail non-reconnus comme tels, les places en crèche inexistantes, les horaires incompatibles avec la famille, le déménagement impossible à payer, etc.

Campagne Aequitaz

Campagne d'Aequitaz

Et puis il y a le monde « des papiers », de la relation complexe avec les institutions pour accéder ou maintenir ses droits. Ce temps passé à faire des démarches, rendues difficiles par un accès réduit aux services publics et des agents formés, est aussi une part non négligeable de ces vies sans emploi : « En ce moment, je me bats avec les administrations, la caisse d’allocations familiales [CAF] pour retrouver mes droits, la sécu, les assurances pour le dégât des eaux… C’est dur, ça mange tout mon temps et de l’énergie, c’est usant. »

Anthony parle d’instaurer de la confiance et un changement de regard. En effet, il faut améliorer la reconnaissance et apporter la sécurité dans la vie des gens. Cela signifie garantir des sécurités matérielles et financières, à savoir un plancher de revenu plus décent, à hauteur de la moitié du niveau de vie médian. Et pourquoi ne pas imaginer poser de nouvelles bases de reconnaissance pour certaines activités du hors-emploi, à l’instar du statut des élus locaux ou des dirigeants associatifs, avec la validation des trimestres de retraite, des formations, etc. ? Dans une perspective de justice sociale, ces pistes doivent être explorées.

Sécuriser, accompagner, restaurer la confiance, relâcher la pression

Pour Anthony, l’histoire est simple, ce qui n’est pas le cas pour tout le monde. Arrivé au RSA avec des choses à régler avant de reprendre le boulot, il a été écouté, compris et on lui a donné du temps. Le temps nécessaire pour retrouver la confiance, la capacité à être en lien avec d’autres, à se sentir capable de tester un métier. Il exprime de la gratitude pour ses accompagnants et leur confiance qu’il sait aujourd’hui être la clé de son mieux-être.

Mais une personne au RSA sur deux n’a pas signé de contrat d’engagement réciproque (CER), comme le prévoit le cadre légal de l’accompagnement. Nombreux sont celles et ceux qui ne sont en pratique pas accompagnés. Dans les départements, les travailleurs sociaux nous partagent régulièrement leur préoccupation face à la masse des « perdus de vue », sans véritablement avoir les moyens ni les stratégies efficaces pour rétablir le lien. On sait également que plus d’un tiers des personnes éligibles au RSA n’en font pas la demande. Le désormais « fameux » taux de non-recours laisse de côté un nombre important de foyers, qui n’est ni soutenu dans son accès au revenu, à la santé, ni accompagné de manière plus globale. Ces constats sont inquiétants, car ils ont comme principale conséquence une aggravation de la grande pauvreté et de la montée des inégalités. Comment recréer les conditions du dialogue entre cette part de la société délaissée et les institutions ? Comment permettre à celles et ceux qui perdent pied de retrouver la sécurité ?

Prenant pour acquis que seul l’emploi peut permettre de sortir de la pauvreté, le Gouvernement continue de miser sur la stratégie de la carotte et du bâton.

Prenant pour acquis que seul l’emploi peut permettre de sortir de la pauvreté, le Gouvernement continue de miser sur la stratégie de la carotte et du bâton. Le RSA sera, si le projet de la loi Plein emploi est voté en l’état, conditionné non plus seulement aux droits et devoirs, mais également à l’inscription obligatoire à Pôle emploi, à la réalisation effective de quinze à vingt heures d’activités obligatoires et assorti d’une mesure supplémentaire de sanction activable directement par la personne accompagnante. C’est bien mal analyser ce qui est déjà à l’œuvre dans la version actuelle du RSA en matière de contrôle et de sanctions et les effets de ces mesures. Yoann raconte : « Je me rends plusieurs fois par mois sur mes espaces CAF et Pôle emploi pour vérifier que je n’ai pas reçu de courrier et qu’il n’y a pas des alarmes qui clignotent partout. En 2022, j’ai été convoqué par le département à un contrôle. Je n’ai pas eu le choix de la date du rendez-vous et je devais apporter de multiples documents, dont mes relevés bancaires sur six mois, où s’étale toute ma vie. J’ai trouvé cela tellement intrusif. Depuis, j’ai dû répondre à trois entretiens obligatoires de Pôle emploi qui visaient à contrôler ma recherche de travail. »

Certains départements, tout en respectant le cadre légal des droits et devoirs, tentent aujourd’hui de mettre en œuvre d’autres stratégies que l’accélération des contrôles et des sanctions. Le passage en instance de sanction est rarement un lieu où peut naître, ou se restaurer, une confiance avec l’institution. Une étude sur un département8 a montré que si les sanctions peuvent avoir un effet immédiat de « retour au guichet » à moyen terme, ce qui ressort c’est surtout la sortie des radars, dont on sait bien, compte tenu du profil des publics au RSA, que tous n’ont pas quitté le RSA pour retrouver un emploi9. Au contraire, des départements concentrent des moyens ailleurs, en renforçant l’aller vers, pour mieux informer sur les droits, faire de la pédagogie sur le parcours d’accompagnement et permettre aux gens d’avoir davantage de prise sur leur parcours. En Savoie, un de nos collectifs a proposé une réécriture des courriers adressés par le département aux allocataires, pour que les personnes aient davantage de compréhension sur l’accompagnement qui leur est proposé. Les courriers, auparavant administratifs et centrés sur l’obligation de se rendre au rendez-vous sous peine de sanction, deviennent des courriers pédagogiques, qui, selon les mots des travailleurs sociaux et des allocataires qui les ont réécrits, « expliquent bien et donnent envie de s’engager ». Le collectif a également obtenu que les allocataires puissent, dès leur entrée dans le RSA, avoir davantage de prise sur leur orientation vers Pôle emploi ou de relation avec les services sociaux du département, en fonction de leur situation. Qu’en sera-t-il après la réforme ?

En période de baisse toute relative du chômage et de crise profonde du rapport au travail qui traverse toute la société, c’est une réponse brutale et infantilisante adressée aux plus fragilisés d’entre nous.

En Drôme, le département a opté pour une politique de prévention des sanctions et mis en place des rencontres, dites « main tendue » de conciliation. L’enjeu : prévenir plutôt que de sanctionner, agir en amont plutôt que d’avoir à gérer à des situations complexes et une relation distendue et conflictuelle entre l’administration et les personnes. En un mot, relâcher un peu la pression institutionnelle. Car pour Yoann, c’est plus que nécessaire : « Cette pression institutionnelle s’ajoute aux pressions familiales et sociales que l’on subit déjà lorsqu’on est au RSA. Finalement, pour basculer dans le non-recours, c’est très simple, il suffit, dans une période où vous n’allez pas bien, de ne plus vous rendre sur votre espace CAF, de ne plus remplir le formulaire d’actualisation trimestrielle, de ne pas répondre à une convocation, etc. Ce système est maltraitant et détruit des personnes qui sont déjà fragiles. »

Une réforme populiste qui détourne les responsabilités

Anthony l’a glissé dans son récit aux députés : « Si la réforme en cours avait été appliquée au moment où j’ai demandé le RSA, j’aurais sans doute été radié. J’étais incapable de travailler, encore moins de réaliser quinze à vingt heures d’activités hebdomadaires. Que ce serait-il passé pour moi sans plus aucune ressource ? Aurais-je fait un tour par la rue ? »

Il y a 9,2 millions de pauvres en France en 2019 selon l’Insee10. Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour plus de 4 millions de personnes, pour une dépense publique annuelle de 15 milliards d’euros. Son montant moyen avoisine les 7 000 euros par an et par ménage bénéficiaire, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social11. Si cette aide et l’ensemble des transferts sociaux n’existaient pas, le taux de pauvreté serait plus proche de 22 % 12.

La réforme à venir va mettre à mal cette politique de lutte contre la pauvreté, une des bases de notre protection sociale, pour en faire un outil quasi exclusivement tourné vers le retour à l’emploi.

La réforme à venir va mettre à mal cette politique de lutte contre la pauvreté, une des bases de notre protection sociale, pour en faire un outil quasi exclusivement tourné vers le retour à l’emploi.

Au lieu de s’attaquer aux personnes, pourquoi ne pas affronter avec autant d’ardeur ce qui génère un marché de l’emploi excluant 3 à 5 millions de personnes hors de son périmètre, dans un halo de précarité qui ne cesse de grandir. À ce jour, n’en déplaise à notre président, il n’existe en réalité que 375 000 postes aujourd’hui comptabilisés comme « vacants » et ce chiffre ne dit rien de l’accessibilité et de la dignité de ces emplois pour les personnes qui pourraient les occuper13. L’ensemble de la société traverse une crise profonde du rapport au travail qui pose des enjeux majeurs de formations, de rémunération, d’aménagement du territoire, de sens et de qualité du travail. Cette réforme est une réponse brutale et infantilisante adressée aux plus fragilisés d’entre nous.

AequitaZ, faire reculer les injustices en France

AequitaZ est une organisation d’artisans de justice sociale qui agit pour faire reculer les injustices en France avec les personnes concernées. Elle s’engage sur plusieurs enjeux : la justice alimentaire, le racisme vécu par les jeunes adultes et les enjeux liés au revenu et à l’emploi.

L’association a notamment créé des collectifs locaux de chômeurs et d’allocataires du RSA avec lesquels elle mène des projets collectifs, des enquêtes à partir de situations vécues comme injustes ou absurdes, des recherches participatives sur les enjeux d’une protection sociale plus solidaire et des actions de plaidoyer local et national pour faire progresser le droit à un revenu minimum garanti et plus largement les politiques publiques de lutte contre la pauvreté.

AequitaZ a publié en 2020 avec le Secours catholique un rapport intitulé Sans contreparties, pour un revenu minimum garanti14 qui documente largement la mécanique des sanctions pour les allocataires du RSA. Un nouveau rapport, également co-écrit avec le Secours catholique verra le jour en septembre 2023 intitulé Un boulot de dingue, reconnaitre les contributions vitales à la société.

Anthony a repris le train pour la Savoie, enthousiasmé par cette rencontre inédite. Avec l’espoir évident d’être entendu aussi, car les élus qu’il a rencontrés ont, une heure durant, joué le jeu de l’écoute et du dialogue avec les premiers concernés par la réforme qu’ils vont devoir examiner à l’Assemblée cet automne 2023. Nous espérons désormais qu’ils interrogent le sens de cette réforme à l’aune de ces réalités injustement invisibilisées et tenues si loin des ors de la République.

  1. Objectif plein emploi. Présentation du projet de loi, dossier de presse, 7 juin 2023, Ministère de Travail, du Plein emploi et de l’Insertion.
  2. Les prénoms ont été modifiés.
  3. https://protectionsocialesolidaire.org/notre-demarche/en-carrefour-de-savoirs
  4. Roy D., Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010, étude, 2012, Insee.
  5. Ibid.
  6. Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, 1995, Fayard, Sciences humaines.
  7. « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », Préambule de la Constitution, 27 oct. 1946.
  8. Chareyron S., Le Gall R. et L’Horty Y., Droits et devoirs du RSA. L’impact des contrôles sur la participation des bénéficiaires, rapport, 2022, Théorie et évaluation des politiques publique, Fédération de recherche et CNRS 2042.
  9. « En matière d’accès effectif à l’emploi, les difficultés des bénéficiaires du RSA restent très importantes. Leur taux de retour à l’emploi, de 3,9 % par mois en 2019, est non seulement très inférieur à la moyenne des demandeurs d’emploi (8,2 %) », Le revenu de solidarité active. Rapport public thématique. Évaluation d’une politique publique, rapport, 2022, Cours des comptes, p. 18.
  10. L’essentiel sur la… pauvreté, note, 2023, Insee
  11. Chareyron S., Le Gall R. et L’Horty Y., « Au-delà de la fraude sociale, le non-recours à l’allocation pose un problème bien plus important », The Conversation 5 juin 2022.
  12. « Aides sociales : le point de vue de l’ONPES sur leur efficacité », Vie publique 9 juill. 2018.
  13.  https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-emplois-vacants
  14. https://www.aequitaz.org/revenuminimumgaranti/
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