Revue
DossierQuels droits pour les prisonniers ?
La loi pénitentiaire du 24 novembre 20091, adoptée par la France, précise la liste des droits des prisonniers lors de leur vie en détention (information, droits de la défense, liberté d’opinion et de conscience, droits civiques et sociaux, vie privée et familiale, relations avec l’extérieur, etc.). L’enjeu n’est pas tant de savoir si la loi reconnaît des droits, mais bien de mesurer leur effectivité. C’est pourquoi il est nécessaire qu’un regard extérieur soit en permanence porté sur la détention par la société civile. Les parlementaires au titre de leur droit de visite, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, les commissions d’évaluation des établissements, le Défenseur des droits par l’intermédiaire de ses délégués y contribuent.
Résumé
Le droit international et national garantit aux personnes détenues des droits équivalents à ceux des autres citoyens sous la seule réserve de la liberté d’aller et venir et des limitations liées au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions. Il prévoit aussi des droits inhérents au statut de détenu qui préviennent ou pallient les risques spécifiques de la détention.
Toutefois, la situation de dépendance totale dans laquelle les personnes détenues sont placées pour le moindre acte du quotidien, l’insuffisance des moyens de l’administration pénitentiaire, aggravée par la surpopulation, et la prévalence systématique des préoccupations sécuritaires privent souvent d’effectivité les droits prévus par la loi.
C’est pourquoi il est nécessaire qu’un regard extérieur soit en permanence porté sur la détention par la société civile. Les parlementaires au titre de leur droit de visite, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les commissions d’évaluation des établissements, le Défenseur des droits par l’intermédiaire de ses délégués y contribuent. Les nombreux contrôles de l’autorité judiciaire et l’extension progressive du contrôle du juge administratif sur les mesures prises au sein des établissements concourent à renforcer l’effectivité des droits des personnes détenues sans toutefois y parvenir tout à fait.
La peine de prison constitue un moment dans la vie d’un individu, qui conserve ses droits pendant la détention. Elle ne doit surtout pas renforcer une exclusion préalable. La privation de liberté n’entraîne, en elle-même, le retrait d’aucun autre droit que celui d’aller et venir.
Cependant, la situation de dépendance et de vulnérabilité dans laquelle sont placées les personnes détenues fait de leurs droits un sujet de préoccupation aussi universel que la captivité elle-même.Ce n’est pas pour rien que les Nations Unies ont jugé nécessaire d’édicter un « ensemble de règles minima pour le traitement des détenus », connu sous le nom des règles Nelson-Mandela, et que le Conseil de l’Europe a publié des règles pénitentiaires européennes. Ces textes sont dépourvus de force contraignante, mais le consensus qui a présidé à leur adoption leur confère une force morale suffisante pour être considérés comme des normes de référence. La France a du reste adopté, le 24 novembre 2009, une loi pénitentiaire qui définit désormais les droits des prisonniers.
Cette loi fournit une liste précise de droits, précédée de l’affirmation que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits ». Ils touchent tous les aspects de la vie en détention : information, droits de la défense, liberté d’opinion et de conscience, droits civiques et sociaux, vie privée et familiale, relations avec l’extérieur, accès à l’information, sécurité, santé, surveillance. Des dispositions particulières se rapportent en outre aux mineurs détenus auxquels est garanti « le respect des droits fondamentaux reconnus à l’enfant ».
Mais le contexte pénitentiaire n’est pas la vie ordinaire, l’enfermement et la promiscuité sont porteurs de risques et de contraintes qu’il convient de prévenir ou de compenser. L’enjeu n’est donc pas tant de savoir si la loi reconnaît des droits, mais bien de mesurer leur effectivité. Dès lors, s’il est important d’analyser les droits formellement reconnus aux personnes détenues, il est essentiel de se préoccuper des mesures prises pour en garantir l’effectivité.
La personne détenue bénéficie en principe de l’ensemble des droits reconnus aux citoyens
Le principe d’une réduction au minimum des différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie en liberté est clairement affirmé par le droit.
Les règles Nelson-Mandela précisent que « le régime carcéral doit chercher à réduire au minimum les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie en liberté ». Cette obligation est transcrite en droit français par la loi pénitentiaire : « L’exercice de [ces droits] ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. »
Le détenu condamné à une peine d’emprisonnement n’est, comme l’ont rappelé tant la Cour européenne des droits de l’Homme que les recommandations du Conseil de l’Europe, privé que de sa liberté. Dans une société démocratique, il doit conserver l’intégralité de ses autres droits.
Le champ des droits des personnes détenues ne se limite pas aux règles spécifiques applicables à la détention. Il couvre l’ensemble de la vie d’une personne. La détention n’a pas pour effet de priver ceux qui y sont soumis de leurs droits en matière civile (se marier, divorcer, exercer l’autorité parentale, gérer ses biens, etc.) en matière de consommation, en matière de protection sociale ou dans tous les autres domaines de la vie courante.
L’exercice en prison des droits reconnus à tous n’est pourtant pas une évidence, au point que le législateur a estimé nécessaire de prendre des mesures particulières pour le garantir. Ainsi, certaines dispositions de la loi pénitentiaire affirment qu’il appartient à l’administration de prendre des mesures spécifiques pour garantir le respect de ces droits « ordinaires ».
C’est en premier lieu l’accès aux soins qui, en raison d’une situation particulièrement dégradée dans les années quatre-vingt-dix a fait l’objet d’une grande attention. Un principe d’égalité a été affirmé dès 1994 puis réaffirmé dans la loi pénitentiaire qui dispose que « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population » et confirme la responsabilité du service public hospitalier en la matière.
Le droit de vote est également l’objet de dispositions particulières puisque la loi pénitentiaire précise : « Avant chaque scrutin, le chef d’établissement organise avec l’autorité administrative compétente une procédure destinée à assurer l’exercice du vote par procuration. »
Il en est de même de la liberté d’opinion, de conscience et de religion, la loi pénitentiaire disposant que « les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion […] sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l’établissement. »
Enfin, l’accès à l’information est également réaffirmé par la loi pénitentiaire, sous la seule réserve des risques liés à l’ordre public ou à la diffamation.
Des droits liés à la qualité de détenu pour compenser les risques spécifiques de la prison
Au-delà des droits qu’elle tient de sa qualité de citoyen, la personne détenue bénéficie d’un ensemble de droits liés à sa situation en détention, notamment à la vulnérabilité particulière qui résulte de la captivité marquée par la perte d’autonomie, la promiscuité et la dangerosité particulière du milieu carcéral.
Il s’agit tout d’abord de protéger les personnes. On y trouve en premier lieu les droits à l’information sur les règles de vie et ceux de la défense. Des mesures spécifiques sont aussi nécessaires pour protéger la confidentialité, toujours précaire dans un monde clos et surpeuplé. Ainsi, sont particulièrement protégés la confidentialité des documents personnels et surtout le secret médical. L’intégrité physique de la personne détenue est également un sujet de préoccupation qui a conduit le législateur à affirmer l’obligation faite à l’État d’« assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels » et de réparer « même en l’absence de faute […] le dommage résultant du décès d’une personne détenue causé par des violences commises au sein d’un établissement pénitentiaire par une autre personne détenue ».
Le maintien du lien social, à la fois au sein de la prison et avec l’extérieur, est également une nécessité qui appelle des mesures particulières. Ainsi, en interne, des dispositions existent pour garantir à chacun un minimum des ressources, dont le montant à vrai dire tient plutôt de l’argent de poche, et la possibilité de donner son avis « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité » sur les activités auxquelles il participe. Mais c’est surtout pour maintenir des liens avec l’extérieur que des dispositions nombreuses sont prises : des parloirs et quelquefois des unités de vie familiale sont prévus, un droit d’accès au téléphone est organisé, la venue de « visiteurs de prison », des bénévoles spécialement accrédités, est autorisée.
Enfin, des droits sont accordés aux personnes détenues en vue de leur réinsertion dont l’article 1erde la loi pénitentiaire fait l’un des objectifs de la peine. Les principaux droits entrent dans la logique d’aménagement des peines et sont donc de la compétence de l’autorité judiciaire, mais de nombreuses dispositions pénitentiaires ont pour but de favoriser la réinsertion : un droit aux activités, le droit d’accès aux soins, un droit à l’enseignement et le rappel de l’obligation scolaire pour les mineurs détenus.
Si la loi affirme des droits, elle ne manque pas, par ailleurs, d’apporter des limites à leur exercice
Ainsi, le droit de téléphoner est limité à une liste d’interlocuteurs autorisés et, sauf très rares exceptions (magistrats, avocats, et autorités indépendantes), il ne s’exerce que sous surveillance. Si le droit de correspondre par écrit est plus large, c’est toujours, avec les mêmes exceptions, sous le contrôle de l’administration. De même, si les visites des proches des détenus sont possibles, elles sont soumises à une autorisation préalable et peuvent toujours être remises en question pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions, motifs parfois largement interprétés.
Le droit aux activités, également affirmé par la loi pénitentiaire, ne l’est pas sans limites : pour les activités rémunérées, ce droit dépend d’une offre parcimonieuse, la rémunération du travail est dérogatoire et toujours inférieure à la moitié du SMIC, le travail est précaire, et la protection sociale normalement attachée à la qualité de salarié n’existe pas. Cela a conduit le CGLPL à recommander l’instauration d’un « droit social pénitentiaire »2.
Enfin, les règles pénitentiaires européennes prévoient que « les détenus doivent être autorisés à communiquer avec les médias, à moins que des raisons impératives ne s’y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté, de l’intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel. » En France, la loi pénitentiaire n’aborde pas cette question.
L’affirmation des droits ne suffit pas à garantir leur effectivité
Le détenu bénéficie ainsi théoriquement de tous les droits autres que la liberté d’aller et venir mais cela ne doit pas faire illusion car la loi ne suffit ni à régir, ni même à décrire le monde de la privation de liberté. On conçoit bien en effet que les contraintes de la détention ne permettent pas de mettre en œuvre une stricte égalité entre les modalités d’accès aux droits dans la vie ordinaire est celle que l’on rencontre en détention. Si, dans la vie courante, il suffit souvent qu’un droit ou une liberté soient donnés par la loi pour que chacun prenne l’initiative de s’en saisir et y parvienne sans rencontrer trop d’obstacles concrets, C’est loin d’être le cas dans un lieu de privation de liberté. L’exercice d’un droit ou d’une liberté ne peut y être effectif que si l’organisation administrative doublée de la volonté du personnel le permet expressément car, contrairement aux autres citoyens, le détenu n’est pas concrètement en mesure de faire valoir ses droits par lui-même.
L’organisation carcérale est conçue de telle sorte qu’elle retire toute autonomie à la personne détenue. Pour des motifs de sécurité, tout acte qui ne relève pas de la routine du quotidien doit faire l’objet de demandes et d’une programmation complexe. La pénurie des moyens pénitentiaires et la surpopulation aidant, les droits inscrits dans la loi se retrouvent privés de toute portée car celui qui en bénéficie, placé dans une situation de totale dépendance, ne peut les exercer qu’avec le concours d’autrui, et ce concours fait souvent défaut. Ainsi, le simple accès d’une personne incarcérée à une activité n’est possible que si l’offre est suffisante et si plusieurs personnes sont présentes pour ouvrir et fermer toutes les portes qui séparent la cellule de la salle où l’activité se déroule. Si une seule de ces conditions matérielles fait défaut : le droit est privé d’effectivité. Il en est de même de l’accès aux soins ou de la participation à un enseignement qui supposent à la fois des mesures pérennes d’organisation que l’on ne rencontre pas systématiquement, et des mesures ponctuelles. Dans de telles conditions, l’objectif de réinsertion de la personne détenue, dont tous ces droits sont des composantes, ne peut que difficilement être atteint.
Le plus souvent, la faculté d’exercer un droit se heurte à des difficultés de moyens toujours aggravées par la surpopulation carcérale. On peut multiplier les exemples.
Le maintien des liens familiaux est limité par l’exiguïté des parloirs, la difficulté d’y accéder, et surtout par l’absence d’unités de vie familiale dans de nombreux établissements. L’accès au téléphone est limité par une organisation ancienne qui rend les appareils téléphoniques peu accessibles et les conversations onéreuses. L’accès aux soins est entravé par le faible nombre des spécialistes disponibles et la lourdeur des procédures d’extraction médicale. Même réglementé, le droit à l’information se heurte souvent à des obstacles pratiques, dont le principal est aujourd’hui l’impossibilité générale d’accéder à internet, même de manière contrôlée. Un autre exemple pertinent est celui de l’exercice du droit de vote, évoqué par le président de la République3 : « Je vous le dis très sincèrement, on a essayé de m’expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter, je n’ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où on ne sache organiser ni le vote par correspondance, ni un bureau de vote. »
La culture sécuritaire de la prison a une incidence directe sur l’effectivité des droits. Malgré les dispositions explicites de la loi, la présence des surveillants au cours des consultations et des soins en milieu hospitalier est quasi-systématique, y compris pour des soins gynécologiques. Les contraintes de sécurité informatique compliquent parfois jusqu’à le rendre impossible le suivi d’études à distance. Contre toute logique, les personnes détenues placées en semi-liberté sont privées de leur téléphone à leur retour alors qu’elles peuvent en faire usage toute la journée, mais n’ont pas pour autant accès aux postes téléphoniques de la prison.
À la base de ces contraintes, se trouve un principe de précaution consistant à prévoir les mesures de sécurité au niveau qui conviendrait pour les situations les plus graves et la difficulté de l’administration à personnaliser la prise en charge. Si la gestion des mesures de contrainte par « profils » est un progrès, il est encore timide. Dès lors quand deux contraintes sont en concurrence, c’est toujours la logique sécuritaire qui prévaut. Par exemple, le secret médical, clairement garanti, est sans cesse violé et l’accès aux soins lui-même peut être entravé par des exigences de sécurité telles qu’elles peuvent aboutir à interdire l’accès aux services de santé.
Le regard extérieur sur la prison contribue à renforcer l’effectivité des droits
Les normes internationales préconisent sous de nombreuses formes l’organisation d’un regard extérieur sur la prison. En France, en 2000, le rapport Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires de Guy Canivet estimait que « la prison oblige à prévoir un contrôle extérieur ».
Aujourd’hui de nombreuses dispositions organisent une série de regards extérieurs. Les députés et sénateurs peuvent visiter les prisons à tout moment. La loi pénitentiaire précitée institue également des conseils d’évaluation dans chaque établissement, dotés de larges prérogatives. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté contrôle les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Le Défenseur des droits désigne pour chaque établissement pénitentiaire un ou plusieurs délégués intervenant en détention. De nombreux représentants de l’autorité judiciaire visitent au moins une fois par an chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort.
Cet ensemble de dispositions est opportunément complété par des évolutions notables de la jurisprudence, notamment celle du Conseil d’État qui a peu à peu limité le champ des mesures d’ordre intérieur en étendant son contrôle à un nombre croissant de décisions prises par les établissements pénitentiaires ou celle, plus récente, du Conseil constitutionnel qui tend à affirmer, au fil des questions prioritaires de constitutionnalité, l’exigence de voies de recours pour permettre aux personnes détenues de contester les décisions de l’administration les concernant.
Néanmoins ces mesures de contrôle ne produisent qu’insuffisamment leurs effets sur l’effectivité des droits fondamentaux des personnes détenues qui reste loin de ce que prévoient les textes et de ce qui serait nécessaire pour assurer une réelle réinsertion.
Le CGLPL, une autorité administrative indépendante
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité administrative indépendante créée en 2007 pour contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Il peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d’une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement.
Pour aller plus loin
• Rapport d’activité du CGLPL pour 2017 ; www.cglpl.fr
• Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (règles Nelson-Mandela), office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
• Règles pénitentiaires européennes, Éditions du Conseil de l’Europe.
• Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
1. Loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009, pénitentiaire.
2. Avis du 22 décembre 2016, relatif au travail et à la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires, Journal Officiel du 9 février 2017.
3. Discours à l’école nationale de l’administration pénitentiaire, 8 mars 2018.