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(S)lowtech, déprogrammer l’obsolescence. Retour d’expérience de l’association PiNG

Atelier Slowtech
L'association PiNG organise des ateliers pratiques de réparation pour les habitants afin de lutter contre l'obsolescence programmé des objets technologiques.
©Association PiNG
Le 30 juin 2020

PiNG est une association nantaise qui, depuis 2004, explore les cultures numériques en croisant pratique et réflexion. En 2013, Nantes reçoit le label européen « Capitale verte » et propose de soutenir des projets en lien avec l’environnement. Il nous apparaît alors essentiel de traiter le thème de l’obsolescence pour venir confronter les questions environnementales et technologiques.

 

Si le sujet, par le prisme de l’obsolescence programmée, commençait à interpeller, il entrait pour la PiNG en résonance directe avec l’amoncellement d’objets technologiques et numériques variés sous lequel notre atelier de quartier croulait, objets donnés ou abandonnés par des citoyens confiants dans notre capacité à « en faire quelque chose » et repartant ainsi « l’esprit tranquille ».

 

Que devions-nous/pouvions-nous faire de ces objets ? Fallait-il y voir des trésors ou des déchets ? Qu’est-ce que ces dons nombreux révélaient de notre société, de nos rapports aux technologies et plus largement aux objets ?

Résumé

PiNG est une association nantaise qui, depuis 2004, explore les cultures numériques en croisant pratique et réflexion. Depuis 2013, elle anime un programme de recherche-action ouvert, (S)lowtech, ayant pour ambition d’explorer avec les citoyens des solutions alternatives pour résister à l’obsolescence des équipements informatiques et électroniques : réparer et détourner !

Conférences, débats, présentations publi-ques, ateliers de réparation dans son atelier ou hors les murs, l’association a multiplié les formats pour questionner collectivement les questions d’obsolescence en mêlant pratique et démarche réflexive. Au fil du projet, le format atelier de réparation in situ, c’est-à-dire dans ses espaces équipés, se révèle le plus pertinent pour répondre aux enjeux qu’ils se sont fixés et satisfaire la demande croissante des citoyens d’accéder à des ateliers pratiques de réparation. Aujourd’hui, l’association organise chaque mois, dans son atelier de quartier, un atelier de réparation dans lequel des bénévoles aident des habitants de Nantes et son agglomération à ouvrir le capot de leurs objets techniques et technologiques. Parfois avec succès, parfois sans, mais toujours dans une démarche de partage de connaissances chère à l’éducation populaire et la culture libre dont l’association se revendique.

Par le biais d’activités pratiques, les ateliers de réparation, le projet offre l’occasion d’aborder sur le fond différents sujets qui viennent percuter le rapport entre technologies et environnement – la notion d’obsolescence, la matérialité des technologies, la conception des technologies notamment – pour venir, in fine, interroger la notion de progrès. Laboratoires citoyens des cultures numériques, les ateliers de réparation deviennent des espaces dans lesquels se forger une pensée critique vis-à-vis du monde numérique ambiant.

Réparer et détourner !

Programme de recherche-action ouvert, le projet (S)lowtech a pour ambition d’explorer avec les citoyens des solutions alternatives pour résister à l’obsolescence des équipements informatiques et électroniques : réparer et détourner !

  • réparer : (re)mettre les mains dans nos machines pour se (ré)approprier leur sort, développer des compétences, savoirs ou solutions alternatives pour réparer plutôt que jeter ;
  • détourner : appuyer sur pause pour explorer le potentiel des équipements existants mais considérés comme obsolètes (ex. : souris, lecteur de disquette, magnétoscope, etc.) et leur trouver de nouveaux usages.

Conférences, débats, présentations publiques, ateliers de réparation dans notre atelier ou hors les murs, nous multiplions les formats d’exploration de 2013 à 2016 pour sensibiliser à ces sujets des publics divers. Dans cette optique, nous allons porter l’étendard de la réparation dans des événements en lien avec nos sujets aussi souvent que possible. De temps à autre, des interlocuteurs extérieurs experts sur ces sujets viennent porter un regard décalé sur notre projet. C’est le cas de l’artiste Benjamin Gaulon et son projet Recyclism.com, ou de l’économiste Serge Latouche, proche des courants de la décroissance.

Au fil du projet, le format atelier de réparation in situ, c’est-à-dire dans nos espaces équipés, se révèle le plus pertinent pour répondre aux enjeux que nous nous sommes fixés et satisfaire la demande croissante des citoyens d’accéder à des ateliers pratiques de réparation.

Depuis 2016, l’atelier de co-réparation (S)lowtech est devenu un temps fort de la programmation de l’Atelier partagé du Breil. Au sein de cet atelier de bricolage de quartier animé par la PiNG, une trentaine de personnes vient chaque premier mardi du mois de 16 h à 21 h « s’essayer » à la réparation d’objets défectueux avec l’accompagnement de bénévoles « réparateurs » de notre association qui mettent leurs compétences techniques à la disposition des participants. Dans ces ateliers, il n’est pas question de « faire à la place de » mais bien de « faire ensemble ». À la croisée de l’éducation populaire et de la culture libre, le projet (S)lowtech repose sur la transmission de savoirs entre pairs et le partage de connaissances. Chacun, avec son niveau d’expertise, apporte son regard dans la résolution des pannes. Les plus experts, identifiés comme réparateurs, transmettent leurs savoirs aux plus néophytes, venus à la fois apprendre et réparer leurs objets. Si personne n’a la solution, fort est à parier que des ressources sont disponibles en ligne.

Téléphone portable

Le cas du téléphone portable est représentatif d’une technologie à la fois très commune, car omniprésente, et très complexe car représentant un assemblage important de savoirs et techniques plutôt high-tech. Au sein des ateliers de réparation, nous pouvons accompagner sur des réparations de « surface » : une dalle d’écran à remplacer – c’est la première cause de réparation – ou encore une batterie ou un port USB défectueux à ressouder. Pour ce qui concerne la partie logicielle et matérielle, électronique il s’entend, nous sommes face à une boîte noire : la complexité technologique d’un smartphone est telle qu’il est impossible en l’état d’intervenir sur autre chose que les aspects cités plus haut, pour des raisons techniques notamment. En effet, en imaginant que ce type de technologie soit ouvert, c’est-à-dire que l’on puisse y avoir accès pour connaître son code source logiciel ou ses schémas électriques et les composants pour la partie électronique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, il faudrait néanmoins de sérieuses compétences pour venir à bout d’une panne ou ne serait-ce que poser un diagnostic. Or, il est peu probable que l’on puisse réunir dans un même atelier autant de bénévoles qui soient aptes à accompagner une réparation qui touche à la fois à l’électronique, au développement informatique, à la programmation de micro-contrôleurs, aux divers capteurs et actionneurs présents dans un téléphone, du haut-parleur à l’antenne bluetooth en passant par le micro et la caméra. Sans compter l’outillage nécessaire pour ce type d’exercice…

Les réparations possibles sur un téléphone portable sont donc relativement restreintes et plutôt cantonnées à la partie extérieure du téléphone et non pas à sa machinerie interne, dans le cadre de réparation effectuées par des amateurs comme par des professionnels. Pour effectuer ces réparations externes, il faut tout de même s’armer de kits de démontage dédiés qui contiennent tournevis avec têtes spéciales, ventouses, pinces et autres éléments spécifiques à ce type d’activités.

De tous horizons, de tous âges, de toutes cultures, les ateliers de réparation sont ouverts à toutes et tous, gratuitement. Espaces de mixité, chacun y vient avec des motivations différentes (sociales, économiques, environnementales, etc.). Alors que près d’une famille sur deux, dans le quartier populaire du Breil, est monoparentale avec des niveaux de vie en dessous du seuil de bas revenu, les ateliers de réparation apportent quelques solutions aux situations économiques fragiles. Réparer des outils technologiques mais aussi des objets domestiques usuels de plus grande nécessité, tels que des plaques électriques pour se nourrir ou des radiateurs pour se chauffer, est une démarche importante actuellement, autant d’un point de vue écologique qu’économique et social. Pour leur part, les habitants de l’agglomération nantaise sont souvent portés vers nos ateliers de réparation par des aspects d’ordre plus idéologique ou militant : « Je veux conserver mon téléphone » ; « Je ne souhaite pas remplacer mon imprimante que j’ai achetée l’an passé » ; « J’en ai assez de cautionner une industrie opaque et bien souvent nocive », etc. Enfin, les ateliers de réparation sont fréquentés par la communauté d’adhérents de l’association, une communauté diversifiée qui allie ingénieur·e·s, informaticien.ne·s, bricoleurs·se·s, plasticien·ne·s, designers ou encore étudiant·e·s et curieux·se·s. C’est de cette communauté que sont issus la plupart des réparateurs bénévoles. Majoritairement retraités de métiers en lien avec la réparation, l’électronique, l’informatique ou simples passionnés, ils viennent donner un peu de leur temps pour la cause… et aussi pour assouvir leur passion : réparer c’est aussi résoudre des énigmes !

Par le biais des ateliers de réparation, chacun se retrouve impliqué dans une dynamique collective et un effort commun pour réparer des objets voués au rebus. Si, dans un premier temps, le spectre des objets réparés était fortement orienté vers ceux liés aux technologies numériques, proches du champ d’action de l’association, nous l’avons ouvert au fil du temps et des demandes à d’autres types d’objets avec néanmoins pour point commun l’usage de systèmes électroniques pour la plupart. Aujourd’hui, il est donc possible d’essayer de réparer dans nos ateliers des objets informatiques, de la téléphonie, du petit électroménager, des instruments de musique, des systèmes audios (platines, chaînes, etc.) et des vêtements grâce aux machines à coudre à disposition et aux couturières hors-pairs qui fréquentent l’Atelier partagé du Breil.

Réparer des outils technologiques mais aussi des objets domestiques usuels de plus grande nécessité (plaques électriques, radiateurs, etc.) est une démarche importante actuellement, autant d’un point de vue écologique qu’économique et social.

Faire et penser : les sujets soulevés

Par le biais d’activités pratiques, les ateliers de réparation, le projet offre l’occasion d’aborder sur le fond différents sujets qui viennent percuter le rapport entre technologies et environnement.

La notion d’obsolescence

Au détour d’une réparation, la question de l’obsolescence des objets, cette « diminution de la valeur d’usage d’un bien de production due non à l’usure matérielle, mais au progrès technique ou à l’apparition de produits nouveaux » 1, est régulièrement soulevée. Programmée, technique ou psychologique, nous en avons tous fait l’expérience ou y avons contribué. S’il est difficile de prouver la programmation de l’obsolescence d’un objet, nous sommes régulièrement témoins dans nos ateliers de l’obsolescence technique qui s’observe de diverses façons. Il y a, par exemple, le problème de mises à jour, non-maintenance, voire la fin du développement de logiciels ou systèmes d’exploitation qui peuvent entraîner l’impossibilité de prolonger l’usage d’un objet technologique comme un téléphone. Autre exemple, la miniaturisation des technologies rend souvent la réparation techniquement impossible. Se retrouver face à des produits que l’on ne peut ni ouvrir ni démonter participe aussi à cette obsolescence technique en rendant l’entretien comme la réparation impossibles. De même, ne pas avoir accès à la documentation technique d’un appareil, ce qui était possible jusqu’à la fin des années 1970, s’inscrit dans cette obsolescence technique imposée par les industriels.

En cherchant à prolonger l’usage de leurs objets au sein des ateliers de réparation, les participants s’inscrivent à contre-courant de l’obsolescence psychologique, mentionnée par Serge Latouche dans son ouvrage Bon pour la casse2 qui consiste à renouveler un équipement pour des raisons de nouveauté et non de défaillance technique. Conséquence des diktats que les modes successives imposent, cette forme d’obsolescence vient percuter la responsabilité des citoyens/consommateurs que nous sommes tous. Combien d’objets qui fonctionnent encore dorment dans nos placards ou sont jetés au profit d’objets plus attrayants ?

La matérialité des technologies

L’exploration de la notion d’obsolescence nous a menés, par ricochet, à nous poser la question des systèmes de production des objets technologiques. Ce que nous pouvons retenir à ce stade des explorations, c’est que les TIC sont loin d’être dématérialisées ou virtuelles comme nous avons tendance à le croire. Des mines existent partout sur le globe pour extraire de nombreux minerais tels que le lithium, le coltan, le cuivre, l’or, etc. Ces minerais sont transportés d’un bout à l’autre de la planète, depuis les mines jusqu’aux usines d’affinage puis d’assemblage. Des millions d’ouvriers travaillent à la chaîne pour assembler nos smartphones, consoles de jeux, écrans ou divers dispositifs numériques. Des câbles, des fermes de serveurs, des antennes relais, des satellites sont installés un peu partout jusque dans l’espace pour traiter et faire circuler nos données. Enfin, des décharges à ciel ouvert, comme celle tristement célèbre d’Agbogbloshie au Ghana, traitent des millions de tonnes de D3E3 sans aucun outillage, ni normes adaptées, aux dépens de la santé de la population locale et des écosystèmes alentours. À ce stade, nous sommes finalement assez éloignés du storytelling à l’œuvre dans nos pays à propos des technologies de l’information et de la communication (TIC), où ces dernières sont souvent présentées comme bénéfiques pour tous, favorables au jeu démocratique et facilitant la transition écologique. C’est peut-être le cas pour nous, habitants de métropoles occidentales, quoiqu’on puisse en débattre, mais si nous prenons l’affaire dans son entièreté, c’est-à-dire dans le cadre d’une économie mondialisée, ce qui ne peut décemment pas être mis de côté lors de ce processus de réflexion, alors la balance est bien moins équilibrée qu’elle n’y paraît.

La conception des technologies

Depuis 2013, nous avons passé en revue plusieurs centaines d’objets, généralement tous électriques, électroniques ou informatiques, souvent pour diagnostiquer des pannes et tenter de les réparer. Durant cinq années, nous n’avons eu de cesse de constater que, d’une part les compétences et appétences de réparation se raréfient malgré un regain d’intérêt pour le bricolage et les solutions DIY4 : les générations de bricoleurs ayant laissé leur place à celles des consommateurs. D’autre part, les technologies étant de plus en plus complexes, il devient de plus en plus difficile, mais aussi parfois de moins en moins légal, de les réparer. C’est en mêlant ce travail de terrain avec une approche plus théorique, faite de rencontres de chercheurs, d’universitaires, de journalistes et de professionnels de la réparation, que la question de la conception des technologies est devenue prépondérante.

Certains auteurs ont soumis l’idée des low-tech face à l’avalanche des high-tech : des technologies sobres en énergie à la production et à la consommation, que l’on puisse produire en local, réparer, recycler facilement. Ne serait-ce pas une piste intéressante à creuser ? Mais aurait-on du désir pour ces technologies low-tech ? Si les publicitaires se mettent à nous les vendre, peut-être… Pourrait-on imaginer des technologies conviviales au sens où Ivan Illich5 l’entendait, c’est à dire, à portée de main de tous, facilement appropriables, au service de la communauté ? Peut-être est-il temps de reprendre la main sur la conception des technologies laissée pour le moment aux ingénieurs, aux industriels et au marché, de se remettre à produire nos propres technologies et de transformer les imaginaires.

Les ateliers de réparation, laboratoires citoyens des cultures numériques

L’animation de ce programme de recherche-action par le biais d’ateliers de réparation citoyens ouverts favorise, de notre point de vue, la construction d’une posture réflexive et critique sur les innovations technologiques, qui nous semble essentielle. In fine, ces temps d’exploration collective nous amènent à questionner la notion de progrès. De quoi parle-t-on quand on parle de progrès ? Toute évolution technique est-elle nécessairement un progrès ? Le progrès technique doit-il être priorisé vis-à-vis d’un certain progrès social et environnemental ? Autant de questions qu’il faut pouvoir formuler avec le maximum de soin afin d’éviter toute crispation, mais aussi avec le plus de clarté possible pour imaginer d’autres formes de rapports à la technique. Laissons-nous la possibilité d’imaginer une technique au service de l’humain où qu’il se trouve sur le globe. Une technique relocalisée, sobre, ouverte et résiliente. Une technique à la mesure de l’humain, dans un temps retrouvé. Une technique (s)lowtech ! 6

Pour aller plus loin

Livres

  • Bernardi T. et Rautureau C., (S)lowtech, déprogrammer l’obsolescence. Atelier de réparation citoyen, mode d’emploi, 2019, PiNG, Ateliers ouverts.
  • Latouche S., Bon pour la casse, 2012, Les liens qui libèrent.
  • Bihouix P., L’âge des low-tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, 2014, Seuil.
  • Flipo F., Dobré M. et Michot M., La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, 2013, L’échappée.
  • Boyer J., Réparez vous-même vos appareils électroniques, 2018, Eyrolles.

Vidéos

  • Dannoritzer C., La tragédie électronique, 2014.

Projets artistiques

Initiatives intéressantes

  1. Source de la définition d’obsolescence utilisée dans l’article et tiré du site du Centre national de ressources textuelles et lexicales : www.cnrtl.fr/definition/obsolescence
  2. Latouche S., Bon pour la casse, 2012, Les liens qui libèrent.
  3. Déchets électriques, électro-ménagers et électroniques.
  4. Do it yourself : le faire soi-même.
  5. Illich I., La Convivialité, 1978, Seuil.
  6. Ce texte reprend des éléments produits pour la publication « (S)lowtech, déprogrammer l’obsolescence. Atelier de réparation citoyen, mode d’emploi », co-écrite avec Thomas Bernadi. 
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