Calvados : inscrire durablement l'innovation dans le quotidien des agents

Calvados atelier innovation
Atelier de travail autour du plan d innovation et de modernisation (PIM)
©DR
Le 19 décembre 2018

Le Calvados – département normand de 693 579 habitants – fait partie des administrations locales en pointe, en matière de modernisation de l’action publique. Depuis la fin des années 2000, il a entamé sa « révolution » avec trois actions significatives : le raccordement des territoires ruraux à la fibre optique ; le vote d’un premier schéma de développement de l’administration électronique départementale et la création d’un laboratoire d’innovation publique, le Rond-point numérique. Retour d’expérience.

Dans l’esprit de la majorité de nos concitoyens, « administration » ne rime pas avec « modernisation » ; ce serait même plutôt deux notions antinomiques. Il est vrai que l’administration, par sa structure, par les contraintes de toutes natures qui pèsent sur elle, laisse a priori peu de place à l’innovation. Pourtant, les choses bougent, et de plus en plus de collectivités locales s’attaquent à la transformation de leur organisation, dépoussièrent leurs modes de fonctionnement et relèvent le défi de l’innovation. Le Calvados en fait partie.

« Si haute que soit la montagne, on y trouve un sentier » (proverbe Afghan)

En 2009, une petite équipe est constituée pour impulser cette dynamique de changement. Dès lors, comment agir ? Comment acquérir une légitimité, alors même que les services ne nous ont pas attendus pour avancer et moderniser leurs pratiques ? Comment faire en sorte de travailler en bonne intelligence avec la direction informatique et la direction ressources humaines, alliés indispensables pour réussir ? Face à ces interrogations, plutôt que de perdre du temps à définir une stratégie « hors-sol », notre réponse a été le passage à l’action immédiate, à différents niveaux :

- auprès des agents, en allant sur le terrain, en tentant de répondre rapidement et efficacement à leurs difficultés ;

- auprès du management, en les sensibilisant aux changements à venir, en leur permettant de dégager du temps pour y réfléchir, en les formant et en tenant compte de leurs contraintes ;

- auprès des autres directions ressources, sans lesquelles rien n’aurait été possible. Il a fallu du temps, mais nous avons appris à travailler ensemble et nos complémentarités ont fini par émerger.

Je vous rassure (ou pas !), tout ne s’est pas fait en un jour mais s’est construit avec l’expérience, au fil des projets. Une de nos clés de réussite a été de nous doter d’une boîte à outils simples, faciles à déployer, nous permettant d’obtenir des « petites victoires », des réponses immédiates aux besoins des services, sans le formalisme traditionnel des projets informatiques classiques. Cette approche nous a permis de nous faire connaître petit à petit en interne, en acculturant doucement les agents à de nouvelles façons de travailler. Parallèlement, notre investissement dans la mise en œuvre de projets plus structurants – téléservice allocation personnalisée d’autonomie, espace numérique de travail pour les collèges – a contribué à conforter notre position dans la collectivité.

Nos propres postures et approches ont aussi évolué au gré de ces différents projets. Vous l’aurez compris, notre conception de la modernisation était, au départ, la dématérialisation « à tout va » : développement de services en ligne pour les usagers, mise en place d’espaces collaboratifs, déploiement du parapheur électronique, etc. L’expérience et, accessoirement, quelques échecs, nous ont fait réaliser que le numérique n’est pas suffisant pour transformer en profondeur et durablement les façons de travailler. En effet, dématérialiser un processus nécessite au préalable de le mettre à plat, de chercher des pistes de simplification et remet, de fait, en question les organisations en silo, les fonctionnements trop hiérarchisés et le manque de communication. Nous avons compris que la délégation, la confiance et le partage des informations étaient tout autant – voire plus – nécessaires qu’un outil numérique, le plus performant soit-il.

« Il n’y a rien de négatif dans le changement, si c’est dans la bonne direction » (Winston Churchill)

Ces différents constats nous ont conduits à étendre les missions de notre équipe, rebaptisée entre-temps « direction de la modernisation de l’action publique » (DMAP). En intégrant un agiliste, nous avons ajouté à notre offre de services la diffusion de nouvelles méthodes de travail, plus agiles, afin de faire gagner du temps de maturité aux projets, de stimuler la cohésion des équipes et le travail en transversalité et de faire émerger des propositions pragmatiques à moindre coût. Depuis deux ans, ces méthodes ont été utilisées dans des projets très variés : schéma directeur immobilier, projets de direction, accueil des nouveaux agents, refonte des aides aux territoires, simplification des prestations sociales proposées aux agents, etc. Les premières initiatives ne sont encore aujourd’hui que l’embryon d’une dynamique d’innovation qui touche le mode de management, le travail quotidien des agents, les projets d’innovation et prépare notre administration à la transformation digitale qui l’attend.

Des conseillers de gestion nous ont également rejoints. La recherche de l’efficience est plus que jamais au cœur de nos actions, l’enjeu du pilotage et de la maîtrise durable de nos effectifs et de nos budgets mobilise élus et agents. L’évaluation de toutes nos grandes politiques est en cours. Il s’agit là de mettre en adéquation les moyens engagés et les résultats obtenus, en recherchant en permanence des leviers pour optimiser, simplifier, moderniser nos modes de fonctionnement pour un service public toujours plus en phase avec les citoyens.

Enfin, un service de documentation revisité fait également partie de la DMAP car, aujourd’hui plus que jamais, accéder rapidement à une information sûre est essentiel. Souple et dynamique, ce nouveau service d’information réalise à la demande veilles documentaires, recherches et flux d’information thématiques. Par le biais du portail de veille, l’accès à la presse, aux bases de données et aux ouvrages a été simplifié et mis à disposition de tous, élus et agents. Son ouverture aux autres collectivités territoriales a d’ailleurs été récompensée par le prix Innovat’er de l’innovation publique en 2017.

Évaluation des politiques publiques, amélioration de la performance, aide à la simplification des processus métier, accompagnement sur des projets dématérialisation, veille documentaire, diffusion de nouvelles méthodes de travail, etc. Cette pluridisciplinarité permet une approche globale et « multicanal » des projets : quand un service nous sollicite sur une problématique qu’il rencontre, plusieurs membres de l’équipe peuvent intervenir à différents niveaux.

« Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer » - (Antoine de Saint-Exupéry)

L’adoption par le département du Calvados, début 2018, du plan d’innovation et de modernisation (PIM) a confirmé cette approche, en posant les éléments indispensables à mettre en œuvre pour rénover durablement le service public dans les années à venir :

- simplifier encore davantage les démarches des citoyens, tout en poursuivant l’intégration du numérique dans nos politiques publiques. Le potentiel du numérique reste encore trop peu exploité et la transformation digitale, tant décrite ici où là, est encore loin d’être une réalité dans nos administrations ;

- transformer en profondeur les façons de concevoir et piloter les politiques publiques et les relations entre l’administration, les citoyens et les partenaires publics ou privés. Ceci implique, au sein de l’administration, d’assimiler la gestion du changement, la gestion de projets, l’évolution des pratiques managériales et une nouvelle façon de partager et de valoriser l’information.

Articulé autour de 11 grandes ambitions et d’une soixantaine de projets, le plan d’innovation et de modernisation atteint à ce jour un taux de réalisation proche des 40 %.

Une vision portée par les élus, une direction générale qui légitime nos actions, valide les prises de risques et garantit un alignement des valeurs et des faits (exemple de la confiance : suppression des justificatifs demandés aux agents lorsqu’ils effectuent des démarches RH), une équipe pluri-disciplinaire de 14 personnes agissant tel un cabinet de conseil interne, plus d’une centaine de missions en cours toutes directions confondues, un partenariat constructif avec la direction informatique, la DRH, des relations privilégiées avec la DINSIC, l’Assemblée des départements de France (ADF) et la 27e Région, etc. sur le papier, tout cela peut sembler idéal mais il reste encore beaucoup à faire.

Quelques exemples de réalisations :

1. Dématérialisation de nombreuses procédures bons de commande, délibérations, convocations, évaluations annuelles, rapports commissions, demandes de versement et d’élimination aux archives départementales, etc.) ;
2.  Mise en place d’une promotion interne de facilitateurs en intelligence collective (10 jours de formation/action sur une année pour 14 agents – sur sélection) ;
3.  Évaluation de la politique culturelle, de l’insertion, de l’autonomie ;
4.  Téléservice de demande d’aides pour les petites communes rurales (APCR) ;
5.  Refonte des aides aux territoires ;
6.  Mise en place d’une centaine d’espaces collaboratifs transversaux associant  des agents et des partenaires (commissions de l’assemblée, projets informatiques, avis technique, etc.) ;
7.  Simplification et dématérialisation de 90 % des démarches RH ;
8.  Expérimentation en cours avec la mise en place de 3 contrats d’objectifs et de moyens (direction des routes, direction des territoires et des fonds européens, direction domanialité et planification territoriale) ;
9.  Mise à disposition de tous les collégiens du Calvados d’une plate-forme d’aide aux devoirs e-tude (42 % des élèves soit 14 000 ont activé leur compte) ;
10. Téléservice de demande et de suivi de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ;
11. Nombreux ateliers de cohésion animés en interne : direction de l’autonomie, direction des assemblées et des affaires juridiques, maison départementale de l’enfance et de la famille, etc. ;
12. Refonte de tous les outils autour de l’accueil des nouveaux arrivants (formulaire adressé au responsable avec check-list du bon accueil ; journée, mail et kit d’accueil) ;
13. Téléservice de demande d’ingénierie par les EPCI du Calvados ;
14. Mise à disposition de tablettes pour les travailleurs sociaux qui réalisent l’évaluation à domicile de la perte d’autonomie des personnes âgées dans le cadre de l’APA.

Prenons simplement un exemple. Une part non négligeable de nos agents n’a pas le bagage numérique suffisant pour faire face à l’évolution de leurs missions, de leur environnement de travail et des moyens de communication. Notre nouveau défi est d’apporter à tous une culture numérique suffisante d’ici fin 2020, seule façon d’arrimer solidement le changement. C’est l’opération « Tous connectés », que le département vient tout juste d’engager.

Plus généralement, comment inscrire durablement les actions de modernisation dans le quotidien des équipes ? Comment passer de l’expérimentation à un fonctionnement généralisé ? Nous n’avons pas toutes les réponses aujourd’hui mais nous escomptons que le travail, réalisé depuis maintenant une dizaine d’années, auprès des équipes leur donnera le goût d’innover et de se remettre en question en permanence. C’est déjà le cas pour certains mais nous devons continuer à accompagner les autres, pour leur permettre d’être à l’aise au quotidien mais également d’aider les usagers en difficulté avec le numérique, nouveau défi à relever pour les pouvoirs publics.

Nous devons également nous attaquer à de nouveaux challenges : celui de l’innovation sociale, pour apporter de nouvelles réponses aux grands défis sociétaux de l’insertion, du vieillissement, du mieux-vivre pour les personnes handicapées, de la protection de l’enfance ; celui de travailler encore plus en complémentarité avec d’autres acteurs – associations, entreprises, universités – qui vont nous aider à trouver des solutions. Nous testons aussi d’autres façons de mener des projets avec la mise en place, en ce moment même, de deux start-up de territoires, sur le modèle des start-up d’État. Enfin, il devient essentiel de s’intéresser à la question des données car leur exploitation permettra d’améliorer à coup sûr le service public.

À travers notre expérience, nous souhaitons montrer qu’il n’y a pas un mais des chemins pour moderniser l’action publique. Nous n’avons pas la prétention de donner une leçon ou une méthode à appliquer car chaque collectivité est unique et sa transformation ne peut se faire qu’en tenant compte de son histoire, de son organisation et des agents et élus qui la composent.

Il est bien sûr indispensable de s’inspirer des réalisations et succès des autres mais, par pitié, ne tentez pas de dupliquer tel quel ce qui a fonctionné ailleurs car il y a fort à parier que la greffe ne prendra pas chez vous. Prenez le temps de connaître l’écosystème dans lequel vous agissez et adaptez votre action en fonction de celui-ci. Enfin – et c’est parfois le plus difficile – acceptez de renoncer à vos certitudes ! L’aventure de la modernisation n’est pas un long fleuve tranquille, les périodes de doute et de remise en question succèdent parfois aux petites (ou grandes) victoires mais c’est assurément une période de transition passionnante à vivre.

Chiffres clés pour l’année 2017 :

  • 50 accompagnements projets modernisation/innovation ;
  • 100 ateliers, conseils agiles ;
  • 27 missions d’évaluation ;
  • 1 882 inscrits aux newsletters de l’infothèque.
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