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Entre interface et logique de proximité, les nouveaux outils de l’action publique

Préfet du Cantal @Prefet_15 Inauguration de la maison France Services de Murat dans le Cantal
Inauguration de la maison France Services de Murat dans le Cantal par Jacqueline Gourault, le 7 février 2020.
©Préfecture du Cantal
Le 25 février 2020

Simplifier la relation des usagers aux services publics, c’est la mission des 460 premières maisons France services déployées prioritairement dans les zones rurales et les quartiers de la politique de la ville depuis le 1er janvier 2020. L’objectif pour le Gouvernement est d’en ouvrir près de 2 000 d’ici 2022. Mais ce déploiement, conçu comme une des réponses à la crise des Gilets jaunes amène à se poser certaines questions sur le choix du canton comme territoire de référence, le financement du redéploiement, la formation des agents polyvalents et sur la capacité de travail en réseau des différents protagonistes déjà sur le terrain.

Résumé

L’annonce en avril 2019 par le chef de l’État du déploiement de 2 000 Maisons France services (MFS) d’ici 2022 est apparue comme une réponse à la crise des Gilets jaunes et à la désertification de certaines parties du territoire. Si le volontarisme politique est présent avec un cahier des charges et un calendrier précis, ce mode d’intervention n’est pas nouveau. Il se situe dans le prolongement des Maisons de services au public (MSAP) et répond à une même logique, avec simplement une exigence de qualité et de services davantage formalisée.

Ces interfaces, qui se traduisent à la fois par des mises en relation et par des permanences matérielles de certains services constituent un niveau de réponse qu’il faudra évaluer et qui ne remplace pas la présence physique de certains opérateurs sur le terrain.

La réussite du dispositif reposera très largement sur la formation des agents polyvalents et sur la capacité de travail en réseau des différents protagonistes. L’intérêt du dispositif est de sortir d’une logique horizontale pour mettre en avant une logique fonctionnelle et opérationnelle au service des usagers et notamment de ceux les plus en difficulté.

La notion de « service public de proximité » n’a jamais fait l’objet d’une définition. A priori, l’on pourrait penser que cette notion est associée à l’idée de services publics locaux, pour autant tel n’est pas le cas2.

Le déploiement des structures France services constitue très certainement un atout mais non une nouveauté. La création de ces maisons de services se situe dans la continuité d’une lignée bien établie.

La notion de « proximité » fait partie de ces notions mal définies qui, à la fois, construisent et déconstruisent la norme et les politiques publiques3. Cette idée de proximité représente un idéal4, consacré notamment à l’article 72-2 de la Constitution : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux-être mises en œuvre à leur échelon », mais constitue aussi une figure de style quelque peu incantatoire. Si la notion de services publics de proximité est rattachée dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT) à la commune5, l’idée de proximité n’est pas étrangère aux services publics nationaux. L’État, en adoptant en 1992 une charte de la déconcentration6, redéfinie en 20157, n’a fait que reprendre cette idée de proximité. Pour autant, les logiques de proximité se superposent sans se juxtaposer. Il existe ainsi une proximité de décision, mais également une proximité de diffusion ou d’accès. L’on a ainsi vu fleurir dans les années 2000 toute une série de législations mettant la proximité au cœur des enjeux territoriaux. Les réorganisations territoriales, ainsi que le mouvement de concentration des populations en milieu urbain montrent bien que cette question de la proximité doit être requestionnée. Face au développement de nouvelles mobilités et de nouveaux usages, l’enjeu n’est plus tant celui d’une proximité géographique que celle de l’accessibilité, cette dernière pouvant se décliner sous différents aspects. La notion de proximité participe de ces logiques protéiformes qui se modifient selon l’angle d’attaque8. À la question de la proximité géographique se superpose la problématique de la proximité temporelle, numérique ou encore sociale… L’idée d’accompagnement devient ici un enjeu majeur ainsi que le souhait de garantir l’accès à un certain nombre de prestations de base, qualifiées de panier de services.

Si pendant longtemps une dichotomie a été opérée entre des services publics nationaux couvrant l’ensemble du territoire et ceux locaux rattachés à une collectivité territoriale, cette catégorisation se double aujourd’hui de nouvelles approches davantage fonctionnelles et pragmatiques. La notion de service au public, le souhait d’une approche « bottom-up » viennent se superposer aux catégories classiques. Au mouvement de territorialisation du droit s’est substituée une logique fonctionnelle partant d’un territoire pour en analyser les besoins et mettre en place des outils dédiés. Le but est bien ici de s’abstraire de contingences abstraites pour amener des logiques concrètes d’action. Dans ce mouvement de recompositions, les traditionnelles distinctions entre service public et action privée, décentralisation et déconcentration s’effacent au profit d’une nouvelle légitimation de l’action publique qui se traduit dans la capacité de mobiliser des moyens au service du territoire. Ainsi, aux modes d’actions classiques des administrations se sont ajoutés des outils qui visent à regrouper et faire sens dans un même lieu afin de garantir l’accès à un certain nombre de prestations que les différents acteurs ne peuvent plus apporter seuls et directement à la population. Ces logiques fonctionnelles prennent le pas sur l’approche institutionnelle classique, chaque institution générant son propre corpus juridique. Dans cette lignée les MFS ne sont qu’une nouvelle déclinaison d’un modèle ancien. Issues d’un volontarisme politique certain, elles reprennent un modèle déjà testé en composant entre deux alternatives. Lieux d’accueil du public, elles constituent un moyen de garantir une interface, sans – dans toutes les hypothèses – amener à un accès direct au service. Palliatif ou succédané à l’abandon du service public dans certains quartiers ou territoires, leur légitimité d’action se fera dans la durée et dans la capacité de réponse aux besoins publics.

Une territorialisation des services au public questionnée

La question de la présence des services publics dans certains territoires n’est pas nouvelle et fait partie des logorrhées politiques régulièrement affichées. Elle s’est traduite par différentes évolutions allant d’une territorialisation des politiques publiques9 à une démarche de dématérialisation de ces derniers. La territorialisation se traduit selon Jacques Moreau par « une évolution caractéristique des politiques publiques qui prennent le territoire lui-même pour cible, pour objet » 10. Elle s’est développée autour de la naissance de territoires fonctionnels, supports d’une adaptation de la règle prenant en compte la diversité des territoires. Elle connaît des développements aujourd’hui avec la différenciation territoriale, même si dans cette logique ce sont les territoires qui revendiquent leur spécificité et non l’État qui les prend en compte. L’enjeu est bien de s’adapter aux besoins des territoires et d’y répondre dans une logique fonctionnelle et décloisonnée.

Le souci de proximité prend des formes variées qui vont de l’affirmation classique d’un nécessaire maintien de certains services publics : par exemple, la loi n2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La poste prévoit le maintien de 17 000 points de contacts avec le public qui ont nécessité une véritable évolution au regard de la baisse d’activité courrier ; au développement d’outils numériques, comme cela a été le cas avec le déploiement du plan préfecture nouvelle génération et aujourd’hui d’action publique 2022, l’idée étant qu’à terme toutes les procédures des services de l’État seront dématérialisées ; en passant par des définitions de distance11 ou des affirmations de principe.

La problématique du maillage du territoire s’est traduite par le développement de schémas multiniveaux qui posent la question de la présence équilibrée des infrastructures et services. Au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires s’ajoutent toute une série de schémas sectoriels qui visent à s’assurer la présence de services à la population.

Le recours en appui à des services civiques montre bien les limites du système des MFS.
Basé essentiellement sur du redéploiement, le système ne peut fonctionner que si l’ensemble des acteurs se sent impliqué et ne profite pas du dispositif pour redéployer une partie de ses services.

Le schéma départemental d’accès aux services au public issu de la loi NOTRe de 201512 constitue la dernière mouture de ce souhait de l’État de garantir un maillage du territoire. L’article 98 de la loi NOTRe vient ainsi préciser que « sur le territoire de chaque département, l’État et le département élaborent conjointement un schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services au public, en associant les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ». Ce schéma élaboré pour une durée de six ans, présente la particularité de proposer un diagnostic de la situation du département qui doit déboucher sur la réalisation d’un plan d’actions destiné à renforcer l’offre de services dans les zones présentant un déficit d’accessibilité des services13. Il comprend un plan de développement de la mutualisation des services sur l’ensemble du territoire départemental.

Selon le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), la notion d’accessibilité mise en avant dans le cadre de ce plan doit s’analyser autour de sept dimensions :

  • le temps et la facilité d’accès ;
  • la disponibilité administrative, culturelle et sociale du service ;
  • son coût et son tarif ;
  • son niveau de qualité ;
  • la possibilité pour l’usager de choisir entre plusieurs opérateurs ;
  • l’information sur l’existence et les modalités du service ;
  • l’image du service et sa perception par l’usager.

La question de l’accès aux services est aujourd’hui une question centrale sans que la proximité géographique n’en soit la seule dimension. L’accessibilité est venue supplanter les logiques de proximité géographique. L’enjeu n’est plus dans tous les cas de maintenir un service au plus proche mais de garantir un accès qui se décline sous différents aspects. Ce souhait de maillage s’est traduit par l’apparition d’un nouveau logo : France services.

Carte interactive des Maisons France Service
Carte interactive des espaces France Services en février 2020.
©ANCT

France services, nouvel outil de présence des services au public

L’idée de créer des points d’accès aux services publics n’est pas nouvelle14. Elle s’est traduite pendant un temps par le souhait de maintien des services publics en milieu rural15 avant de prendre un tournant davantage opérationnel et pragmatique. On a ainsi vu fleurir différents labels allant des points d’information médiation multiservices (PIMMS) créés en 1995 au relais de services publics (RSP) (2006)16 en passant par les MSAP ou encore les maisons de l’État17. Chacun de ces labels obéit à une logique propre, les PIMMS se caractérisent ainsi par la fonction de médiation qui est associée au service, les MFS devenues MSAP sont des regroupements fonctionnels se situant généralement à l’échelle d’une intercommunalité ou d’une commune qui se traduit par un regroupement de certains services. Les RSP au contraire proposaient, avant tout, une interface. Les maisons de l’État sont dans une autre logique, le but étant de regrouper dans un même lieu différents services de l’État.

Dans ce paysage déjà composite différents recoupements ont été opérés, les RSP sont, par exemple, devenus en vertu de la loi NOTRe des MSAP. L’annonce de la création d’un réseau France services constitue une nouvelle tentative de rationalisation, les MSAP ayant vocation à obtenir ce nouveau label à condition de remplir un certain nombre de conditions.

France services est issue d’une annonce du président de la République le 25 avril 2019 en réaction à la fois au mouvement des Gilets jaunes et à la désaffection de certains territoires. L’objectif affiché est de faire monter en qualité les MSP existantes et de créer de nouvelles structures dans les quartiers prioritaires de la ville et en milieu rural. Le souhait est d’avoir une MFS dans chaque canton d’ici fin 2022. La logique France services se situe de ce fait dans la continuité des MFS qui se présentent comme un lieu proposant un accueil généraliste de premier niveau, par l’intermédiaire d’un agent d’accueil formé. Elle est également un lieu d’accueil spécialisé par la présence d’un certain nombre d’opérateurs en son sein. L’idée est donc bien de réunir à la fois une fonction d’interface, d’accompagnement mais aussi d’organiser des permanences pour un certain nombre de services et d’opérateurs (missions locales, pôle emploi, MSA, CAF etc.). Deux éléments caractérisent le dispositif, l’obligation d’avoir au moins deux agents d’accueil polyvalents présents en permanence et de les former, ainsi que la possibilité de mettre en place des bus itinérants pour aller vers les publics.

La circulaire du 1er juillet 201918 souligne que « les MFS devront être prioritairement accueillies dans les mairies, sous-préfectures, trésoreries, bureaux postaux, mais pourront également être instituées au sein des gendarmeries, centres sociaux, locaux associatifs et lieux culturels existants. » Un plan d’action est proposé visant à recenser la liste des MSAP existantes présentant les garanties de qualité pour être labellisées. La liste des projets de nouvelles implantations ; un plan de montée en gamme de toutes les MSAP19. La labellisation est conditionnée par la présence d’un bouquet de services et le respect des principes énoncés dans la charte d’engagement national (horaires d’ouverture, équipements et aménagements, etc.). La charte nationale vient préciser que chaque structure « est tenue d’assurer un accès libre et gratuit à un point numérique ou à tout outil informatique permettant de réaliser des démarches administratives dématérialisées. » Un accompagnement doit être offert aux usagers. Chaque maison doit être équipée en outil de visioconférence afin d’assurer une interface avec les services, si nécessaire.

Si l’initiative est louable, le déploiement amène cependant à certaines questions. Le choix du canton comme territoire de référence a pu surprendre un certain nombre d’interlocuteurs. Certaines questions demeurent par ailleurs en suspens. Si l’obligation de présence de deux agents est mentionnée, en termes de qualification il est renvoyé vers un référentiel établi par le CNFPT. Par ailleurs, la charte nationale précise que ces agents peuvent être affectés à temps plein ou à temps partiel, ce qui peut poser un problème en termes d’amplitude horaire. La charte impose pour autant une ouverture au minimum vingt-quatre heures par semaine, sur cinq jours ouvrables. Le recours en appui à des services civiques montre bien les limites du système. Basé essentiellement sur du redéploiement, le système ne peut fonctionner que si l’ensemble des acteurs se sent impliqué et ne profite pas du dispositif pour redéployer une partie de ses services. Si La Poste et la Banque des territoires de la caisse des dépôts sont parties prenantes dans la gouvernance, la question du financement est prépondérante. Chaque structure bénéficiera d’un fonds de 30 000 euros par an financé par le fonds national d’aménagement et de développement du territoire et le fonds inter-opérateurs. Pour les structures portées directement par la poste, un financement de 4 000 euros est débloqué au titre du fonds inter-opérateurs, le reste est versé par l’intermédiaire du fonds postal de péréquation territoriale. Si France services est implantée dans un service de l’État le montant est réduit à hauteur du coût des prestations mutualisées offertes.

Le déploiement des structures France services constitue très certainement un atout mais non une nouveauté. La création de ces maisons de services se situe dans la continuité d’une lignée bien établie. Le facteur humain est on l’aura compris essentiel dans la réussite du modèle, ainsi que la capacité à mobiliser sur du long terme. L’intérêt de la formule se situe très certainement dans la dynamique créée. Les territoires ruraux, périurbains et plus spécifiquement ceux qui se situent à la frange, souffrent d’un déficit de services qui pose aujourd’hui question. L’objectif est dès lors de redéployer le principe d’égalité des chances en créant des interfaces et en permettant à tout un chacun de trouver des réponses et des lieux d’écoute. Ces structures peuvent ainsi répondre au besoin de lien et de proximité lié à la désertion des services de certains territoires. Tous les problèmes ne seront pas réglés pour autant. La question de la présence de services privés et du maillage associatif, la nécessaire simplification administrative constituent d’autres priorités auxquelles il faudra s’attacher.

  1. Centre Jean-Bodin, recherche juridique et politique, UPRES EA n4337.
  2. Muller-Quoy I., « Les articulations entre territorialisation et proximité », in P.-Y. Chicot (dir.), Décentralisation et proximité, 2013, Dalloz, p. 17.
  3. Bourdin A., Lefeuvre M.-P. et Germain A. (dir.), La proximité en politique : construction politique et expérience sociale, 2005, L’Harmattan ; Le Bart C. et Lefebvre R., La proximité en politique : usages, rhétoriques, pratiques, 2005, PUR.
  4. Le Bart C. et Lefebvre R., « Le fétichisme de la proximité », in Bourdin A., Lefeuvre M.-P. et Germain A. (dir.), La proximité en politique : usages, rhétoriques, pratique, op. cit., p. 51.
  5. CGCT, art. L. 1111-9 et L. 2144-2.
  6. D. n92-604, 1 juill. 1992, portant charte de la déconcentration : JO 4 juill. 1992, n0154, p. 8898.
  7. D. n2015-510, 7 mai 2015, portant charte de la déconcentration : JO 8 mai 2015, n0107.
  8. Vincent Aubelle souligne le caractère multidimensionnel de la proximité et distingue entre une proximité de représentation, la proximité géographique et la proximité dimensionnelle : Aubelle V., « La commune, échelon de proximité, une mystification ? », Pouvoirs locaux 2009, n83, p. 75.
  9. Madiot Y., « Vers une territorialisation du droit », RFDA 1995, p. 946.
  10. Moreau J., « Esquisse d’une théorie juridique de la territorialisation », RDSS 2009, p. 16.
  11. L. n95-115, 4 févr. 1995, d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, art. 17.
  12. L. n2015-991, 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République.
  13. Le décret n2016-402 du 4 avril 2016, pris en application, précise que « le schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services au public […] porte sur l’ensemble des services, qu’ils soient publics ou privés, destinés à être directement accessibles, y compris par voie électronique, au public, celui-ci pouvant être des personnes physiques ou morales […] ».
  14. Long M., Services publics, services au public : quels services ? Pour quels territoires, 2011, Lamy Collectivités territoriales, n69, p. 60.
  15. Madiot Y., « Service public et aménagement du territoire », AJDA 1997, numéro spécial, p. 83 ; Dreyfus J.-D. « Présence des services publics dans les territoires ruraux : l’émergence d’une “loi” de proximité », AJDA 2005, p. 1274.
  16. Circ., 2 août 2006, relative à la labellisation des RSP, NOR : INTK06000073C.
  17. Long M., « Les maisons de l’État, nouvel avatar de la présence de l’État dans les territoires ? », Horizons publics été 2018, hors-série, p. 20.
  18. Circ. no RES/20190703/6, n6094/56.
  19. Les MASP ont jusqu’au 31 décembre 2021 pour obtenir leur homologation. Passé ce délai, elles ne recevront plus de financement de l’État.
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