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La Fabrique des transitions : naissance d’une alliance d’acteurs

Cartographie des 10 territoires pilotes
Cartographie des 10 territoires pilotes accompagnés par la Fabrique des transitions.
©Horizons publics
Le 29 août 2022

Tout au long de ce hors-série, vous allez entendre parler de La Fabrique des transitions. Nous avons souhaité commencer par revenir sur les origines de la démarche de ce groupe d’acteurs qui a fait un choix : se réunir autour d’une charte dont chacun partage les principes et les disciplines, plutôt que s’enfermer dans des statuts.

La Fabrique des transitions tire sa source à Loos-en-Gohelle, commune minière qualifiée de « démonstrateur » par l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) en 2015, terrain d’innovation en termes d’action territoriale depuis les années 1980.

Une évaluation pose alors trois questions :

  • existe-t-il une « méthode loossoise » de conduite du changement ? Nous avions qualifié un code source en analysant nos pratiques sur plus de trente ans, mais l’évaluateur souhaitait pouvoir le confronter à son propre système de preuves ;
  • si la méthode existe, est-elle vraiment efficace ? Il s’agissait de démontrer les effets d’une telle approche et d’en pointer les limites.
  • enfin, si cette méthode est efficace, est-elle reproductible ? Et si oui à quelles conditions ? On touchait ici aux enjeux du changement d’échelle…

L’évaluation répond « oui » aux deux premières questions : il existe bien une méthode loossoise de conduite du changement, caractérisée dans plusieurs documents et repérable dans la culture partagée des acteurs locaux. Et elle est efficace pour améliorer et étendre la portée des politiques municipales. Cependant elle bottait en touche sur la troisième. Réplicable, certes, mais à condition de trouver les mêmes conditions favorables : effondrement du système économique et social, leadership et continuité politique sur le temps long, etc. Une manière de dire qu’elle ne l’était pas vraiment ou que le travail évaluatif ne permettait pas d’y répondre.

Nous en avons tiré nos conclusions et c’est alors que deux démarches complémentaires ont été mises en place. L’une pilotée par l’ADEME, l’autre directement par Loos-en-Gohelle, avec le soutien du laboratoire d’intervention et de recherche Atemis. La première visait à confronter le code source loossois et les enseignements de son évaluation à d’autres démarches territoriales, repérées par l’ADEME comme innovantes. Cette initiative, bien que très riche en termes de résultats, allait un peu vite en besogne, car elle comparait une démarche locale, portée au sein d’une ville de 6 500 habitants à des démarches intercommunales où la fabrication des transitions se pose en d’autres termes.

Nous nous sommes demandés si, pour sortir de nos silos et dépasser le plafond de verre sous lequel nous agissions, nous n’avions pas quelque chose à faire ensemble ?

Pour ces raisons, la deuxième démarche a développé une autre approche, en trois étapes. D’abord, en 2017, l’objectif était de rassembler les maires et élus, cadres territoriaux et agents, acteurs socio-économiques de quatre villes en transition de moins de 20 000 habitants (tailles équivalentes à Loos-en-Gohelle), repérés pour leurs résultats tangibles, leur action au long cours, mais aussi leurs contextes socio-économiques différents du substrat loossois afin de chercher les « invariants » (voir encadré), les « principes directeurs communs ». Et nous les avons identifiés ! Ensuite, en 2018, une fois cette première étape franchie, nous avons réuni une dizaine de territoires d’échelle supérieure afin de vérifier que les élus, agents, acteurs locaux ou usagers partageaient ou se retrouvaient dans ces mêmes invariants : plusieurs intercommunalités (grande métropole française, région, etc.) et des territoires qui n’étaient pas directement administrés par des collectivités (grandes universités, associations foncières privées, etc.). Et c’était bien le cas ! Enfin, en 2019, dotés d’un « référentiel partagé » ancré dans l’expérience d’une quinzaine de territoires extrêmement variés, nous avons organisé un groupe miroir en conviant réseaux engagés pour la transition, acteurs de la transformation de l’action publique, chercheurs et intervenants sur les nouveaux modèles économiques territorialisés, institutions étatiques et nous nous sommes demandés si, pour sortir de nos silos et dépasser le plafond de verre sous lequel nous agissions, nous n’avions pas quelque chose à faire ensemble ?

Cartographie des 10 territoires pilotes

Cartographie des 10 territoires pilotes accompagnés par la Fabrique des transitions.

C’est ainsi qu’est née la Fabrique des transitions. La question s’est alors posée de savoir comment organiser cette dynamique d’acteurs, collective et expérimentale, très innovante politiquement bien que transpartisane. C’est à ce moment que Pierre Calame, membre du groupe miroir, est intervenu en sortant – de son chapeau et de sa longue expérience – la notion d’alliance : la démarche de se réunir autour d’une charte dont on partage les principes et les disciplines, plutôt que dans des statuts qui enferment. La charte d’alliance fixe nos objectifs, notre gouvernance organique. Elle confie à l’association de promotion de la Fabrique des transitions la responsabilité de développer l’alliance et de créer les modalités d’accompagnement de territoires dans cette logique.

Depuis 2020, la Fabrique des transitions forge une « ingénierie tierce » de la conduite du changement : acteurs publics, ingénieries privées, communautés de pairs s’épaulent et interagissent, en sortant des logiques de compétition classiques et en faisant apparaître des modalités opérationnelles de coopération.

Les « invariants » ou principes directeurs de la conduitedu changement repérés par la Fabrique des transitions
dans les territoires pionniers

Principe no 1 : d’abord, créer les conditions d’engagement des acteurs, de leur engagement dans la durée et accueillir les formes d’engagement qui se manifestent sous forme d’opposition ou de résistances au changement.

Principe no 2 : créer et tenir les modalités de coopération en prenant en charge les contraintes des acteurs, en mettant les différends et les conflits éventuels au travail, en tenant compte des différentes dimensions de la coopération : horizontale, certes, mais aussi verticale et transverse.

Principe no 3 : développer une approche systémique, en tirant le fil, en ayant une approche intégrée d’enjeux pouvant apparaître a priori contradictoires voire antagonistes, en étendant progressivement le périmètre des acteurs et des parties prenantes, en ayant une approche en termes de compétences partagée et non de partage cloisonné des compétences.

Principe no 4 : évaluer les effets de l’action (utiles, bénéfiques ou négatifs, pensés ou impensés) sous forme, d’une part, d’une évaluation de la valeur créée ou détruite sur le plan social, environnemental et économique et, d’autre part, d’une célébration (droit à l’erreur), en intégrant l’évaluation aux modalités mêmes d’organisation de l’action : sortir d’une évaluation unique de contrôle a posteriori pour développer des formes d’évaluation in itinere. Porter une attention particulière à l’évaluation des modalités mêmes d’organisation de l’action et de la coopération (réflexivité), afin de soutenir les conditions d’engagement.

Ces principes sont faciles à proclamer, mais bien plus difficiles à tenir en pratique. Surtout qu’ils s’appliquent à des écosystèmes d’acteurs qui n’ont pas nécessairement les espaces de pilotage démocratiques adaptés pour les mettre en application : élus, agents de collectivités, acteurs socio-économiques privés, agents de l’État territorial.

Mais que sont ces principes quand tout le monde cherche des boîtes à outils ? Ils sont des manières de soutenir le geste nécessaire à la mise en œuvre de démarches puissantes de transition. Et pour faire un clin d’œil à Oscar Wilde : appuyez-vous sur ces principes, ils finiront bien par « s’aider » ! C’est en tout cas de cette manière que des démarches vertueuses, progressives, de long cours ont été engagées et développées dans les territoires pionniers de la transition

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