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La Métropole européenne de Lille en mode innovation

La Métropole européenne de Lille
©Vincent Lecigne - Mel
Le 21 février 2018

Depuis sa création le 1er janvier 2015, la Métropole européenne de Lille (Mel) est engagée dans une série de réformes internes et externes. Nouvelle organisation des services au 1er janvier 2015, essor d’un Bureau des temps, transformation des compétences et des lieux de travail, dématérialisation de la commande publique, création d’une culture managériale, expérimentation du télétravail en 2018, accélération de la stratégie open data et projet d’un laboratoire de design des politiques publiques… La Mel multiplie les initiatives pour transformer ses pratiques, son organisation, ses méthodes de travail, son management. Objectif : être une organisation plus agile, favoriser le changement de culture d’action publique et être plus à l’écoute des habitants de la métropole. Reportage dans les coulisses de la métropole, implantée à deux pas de la gare Lille Europe, qui fête ses 50 ans en 2018.

« L’innovation est aujourd’hui partout. L’enjeu pour nous, c’est de savoir comment l’utiliser au mieux pour transformer progressivement nos pratiques et nos méthodes pour devenir une administration plus agile », confie Thomas Vincent, dans la partie zone calme de ses bureaux. À la tête de la direction « Recherche et développement » depuis 2015, cet ancien de la maison – plus de 20 ans d’ancienneté, plusieurs services à son actif – parle avec enthousiasme des missions de sa direction, avec un petit côté geek tendance lead-user. « Notre pôle a carte blanche pour être force d’actions et de propositions pour favoriser l’intelligence collective, faire bouger les lignes et véhiculer la transformation en interne », explique-t-il avec ardeur. Sa direction, rattachée directement au pôle « Innovation et dialogues » de la Direction générale des services (DGS), a été créée en avril 2015, pour accompagner la naissance de la nouvelle métropole et les services dans leur démarche d’innovation. Elle planche en ce moment entre autres sur deux chantiers importants : la stratégie d’ouverture des données publiques et la diffusion d’une culture de l’innovation en interne.

Transparence publique et changements de méthode

L’open data reflète bien les changements de méthode de la Mel, selon Thomas Vincent. « Nous sommes partis tardivement, mais nous souhaitons aller plus vite et plus loin sur l’ouverture des données publiques », explique-t-il. Lancé en novembre 2016, l’open data de la Mel met aujourd’hui à disposition du grand public 160 jeux de données variés en lien avec les compétences de l’institution (transports, environnement, urbanisme, sport, eau, déchets, tourisme, etc.) et dans des formats ouverts et exploitables par tous (données brutes, cartographies, graphes, analyses, etc.). Grâce à cette ouverture rapide, les habitants de la métropole ont aujourd’hui accès à une dizaine d’applications et de services (comme Melcome, Handisco, Garmin, HereWeGo,

La Mel, qui compte près de 3000 agents, répartis sur 90 communes, fait partie des plus gros employeurs locaux

V’Liller, V’Lille Checker, Justin Biker et Waze avec qui un véritable partenariat a été créé pour améliorer la gestion du trafic en temps réel). La Mel expérimente également sa démarche open data avec ses communes en leur proposant un accompagnement dans l’ouverture de leurs données. Une démarche qui vise toujours plus de transparence publique. 4 des 90 communes sont déjà impliquées : Armentières, Ennetières-en-Weppes, Lille, Villeneuve d’Ascq. « Nous n’aurions pas pu aller aussi loin en si peu de temps sans changer notre façon de travailler et nos pratiques collaboratives en interne comme en externe », précise le patron de la recherche et du développement. À terme, l’objectif est de proposer un véritable service public de la donnée aux métropolitains, nouvelle compétence de la Mel.

Diffuser la culture de l’intelligence collective

Peinture de couleur vive encore fraîche, mur d’expression, écran numérique, mobilier de récupération, large baie vitrée : bienvenue à la « Créa’box », lieu de l’innovation maison, situé au rez-de-chaussée du bâtiment principal de la Mel. Inaugurée en novembre 2016 par les équipes de la direction Recherche et développement, la Créa’box a pour objectif de « favoriser la créativité des agents, le travail collaboratif et de libérer la parole ». Espace à la mode, inspiré de l’univers des start-up, cette Créa’box est-elle une vitrine pour la communication de la direction ou une vraie rupture dans la démarche d’innovation ? Malgré des réticences au moment de son installation, certains agents la comparant à un « bocal à poissons », cette salle de créativité semble avoir trouvé son public et son utilité. « En 2017, un tiers du temps a été utilisé sur le planning de réservation. Ce qui est plutôt un bon signe. Je sens une vraie envie en interne de faire évoluer les choses », estime Thomas Vincent. Plus récemment, la Mel a conçu un deuxième espace de convivialité, le « carré vert », un jardin aménagé en extérieur, avec du mobilier en bois, connecté en wifi, pour pouvoir y travailler différemment. En été, le lieu est un peu pris d’assaut, des réunions de service s’y tiennent. Ce nouvel espace s’inscrit dans la politique innovation de la Mel, comme le lancement d’une boîte à idées en ligne pour recueillir et partager l’avis des agents. Dans le même ordre d’idées, la Mel a lancé une conciergerie offrant un bouquet de services aux agents de la métropole ou encore des
espaces de co-working avec bureau de travail et ordinateurs connectés en libre accès au rez-de-chaussée du bâtiment principal pour les agents en mobilité.

En avril 2015, la Mel a mis en place un Bureau des temps, qui vise à prendre en compte la question des rythmes individuels (loisirs, famille, etc.) et collectifs (travail, déplacements, etc.) pour mieux les articuler dans l’ensemble des politiques publiques.

« Mel et Nous », une stratégie de marque employeur interne

« Un agent doit se sentir Mel, il doit vivre Mel », précise Laurence Bourgeois, la directrice de la culture interne et managériale. Chargée d’orchestrer l’évolution de la nouvelle culture interne, l’une des orientations stratégiques du projet d’administration de la métropole, elle a créé en 2015 un nouvel univers « Mel et Nous », marque employeur, et a lancé, avec ses équipes (une vingtaine de personnes), la « communauté des managers », au cœur d’un dispositif managérial innovant, baptisé « Mel management ». Objectif : faire émerger un nouvel état d’esprit, corollaire de la réorganisation des services, parmi les 420 managers de la métropole. « Nous avons créé une marque pour accompagner le changement de culture interne et une communauté avec une offre de services sur mesure pour outiller nos managers », confie-t-elle. « Rendez-vous grands témoins » pour échanger avec des intervenants extérieurs, « campus Mel managers » pour former les encadrants, « coaching individuel » pour accompagner une prise de poste, séminaire de la communauté des managers quatre fois par an pour prendre du recul et partager les bonnes pratiques, etc. Cette offre de services orientée management, davantage répendue dans les entreprises privées, est plutôt originale pour une administration publique. « Et toi, c’est quoi tes idées folles ? », thème du dernier séminaire de la communauté des managers organisé en octobre 2017, avait pour objectif de faire émerger de nouvelles idées pour moderniser les méthodes et les pratiques internes en matière de management et de ressources humaines. Une expérience qui a permis de faire ressortir 5 « idées folles » : tester le management visuel, créer un poste de « chef happyness officer » (le bien-être au travail), tester les autres métiers (« Vis ma vie »), décorer différemment les lieux de travail, faire évoluer les réunions d’équipe avec plus d’outils d’animation.

Vers une expérimentation du télétravail en 2018

La Mel, qui compte près de 3 000 agents, répartis sur 90 communes, fait partie des plus gros employeurs locaux. En avril 2015, la métropole a mis en place un Bureau des temps, qui vise à prendre en compte la question des rythmes individuels (loisirs, famille, etc.) et collectifs (travail, déplacements, etc.) pour mieux les articuler dans l’ensemble des politiques publiques (culture, sport, mobilité, urbanisme, etc.). Elle anime aussi un projet pour accompagner le développement du télétravail dans la métropole. « Nous avons publié en 2016 un guide Adopter le télétravail destiné aux employeurs et salariés du territoire, avec des fiches pratiques, pour inciter à mettre en place ce dispositif. En tant qu’employeur modèle, la Mel se devait également d’expérimenter cette nouvelle organisation du travail », explique Thomas Lefetz, chargé de mission Bureau des Temps, au sein de la direction relations avec les usagers. À l’issue d’un dialogue social interne, la direction va tester la formule en 2018 auprès de 150 agents volontaires. Les atouts du télétravail ne sont plus à démontrer aujourd’hui (enjeu de performance, bien-être au travail, réduction du stress, régulation des déplacements, préservation de l’environnement), entreprises privées et collectivités locales commencent à s’y mettre. En France, le pourcentage de télétravailleurs est encore très faible, estimé entre 8 % et 17,7 % selon l’observatoire du télétravail, créé par le Gouvernement pour informer et promouvoir le télétravail en France. « En matière de télétravail, la métropole de Strasbourg, déjà bien engagée dans cette démarche, a servi un peu de modèle référent. Ce qu’il en ressort, c’est que malgré la volonté affichée par la direction de développer le télétravail, celle-ci ne donne pas suffisamment de moyens aux agents pour la mettre en place », nuance Clément Masclef, le représentant FSU au Comité technique (CT), l’instance de dialogue social au sein de la Mel.

L’innovation publique, pilier du projet d’administration 2016-2026

Bruno Cassette, l’actuel directeur général des services de la Mel, reçoit dans son bureau. Adepte des rapports d’étonnement sur son organisation administrative, il retrace avec fierté le travail déjà accompli en matière de management, d’innovation et de transformation numérique. « L’innovation publique est l’un des 7 piliers de notre projet d’administration 2016-2026. Elle vient nourrir le changement de culture d’action publique », précise ce sous-préfet en détachement, ancien secrétaire général à la préfecture de Lot-et-Garonne. Arrivé en décembre 2014 au moment d’un changement de présidence et du nouveau statut de métropole européenne, il a contribué à une vaste réorganisation en interne. C’est lui qui est à l’origine de la création de la direction « Recherche et développement » pour porter et diffuser des pratiques innovantes au sein de l’administration. « Nous allons lancer cette année le programme expérimental « La Tranfo », avec la 27e région, pour créer à terme notre propre laboratoire d’innovation. 20 agents de la Mel vont participer à cette expérimentation », précise-t-il. Une démarche qui s’inscrit aussi dans le cadre de « Lille Métropole, capitale mondiale du design en 2020 », compétition remportée face à Sydney, et qui prévoit de créer un grand laboratoire du design des politiques publiques.

Bruno Cassette : le décideur public de demain sera augmenté

Quelle est votre vision du design des politiques publiques ?

Dans la continuité des sujets sur l’innovation, la question du design des politiques publiques consiste à réinterroger notre façon de faire pour servir l’usager, le citoyen. Nous avons réinvesti cette sphère du design dans nos politiques publiques et dans nos territoires ; nous avons été élu capitale mondiale du design en 2020. C’est important le design, car au-delà de l’effet de mode, c’est surtout un processus de réflexion, de redéfinition et de co-construction avec les usagers finaux, notamment les habitants et citoyens de ce territoire, pour rediscuter les objectifs, les modalités et les résultats de nos politiques publiques. Nous mettons en œuvre cette méthode avec la 27e région depuis plusieurs mois.

Quelle sera la vocation du futur laboratoire de design des politiques publiques prévu dans le cadre de Lille Métropole, capitale mondiale du design en 2020 ?

Une des contributions de la Mel à cette capitale mondiale du design 2020 est de créer un grand laboratoire de design des politiques publiques. L’objectif est d’avoir un banc d’essai grandeur nature de nos propres politiques, mais aussi de travailler avec d’autres administrations françaises et européennes, pour avoir un lieu privilégié pour dialoguer, échanger sur les nouvelles façons de faire de la politique publique. Ce laboratoire sera aussi un lieu d’expertise de design des politiques publiques à l’échelle européenne, pour façonner, améliorer, créer, inventer de nouvelles actions publiques pour demain.

Où en est la transformation numérique au sein de la Mel ?

Elle revêt plusieurs dimensions. D’abord, nous développons un environnement totalement dématérialisé ; nous sommes une collectivité pilote en France sur la dématérialisation de toute la chaîne comptable. Nous sommes référents au niveau national pour tester des dispositifs avec Bercy. La dématérialisation, c’est aussi rendre beaucoup plus fluide l’ensemble des processus lourds voire bureaucratiques, pour que les agents puissent se consacrer à des missions avec plus de valeur ajoutée et plus d’imagination pour améliorer la qualité de nos processus. L’open data est un autre exemple de la stratégie numérique de la métropole. Nous mutualisons avec nos 90 communes pour apporter une réponse globale d’ouverture des données publiques de territoires et sommes la première métropole au monde à avoir noué un partenariat de très grande ampleur avec l’application Waze.

Quelle est votre vision du décideur public de demain ?

Le décideur public de demain sera un élu ou un partenaire-développeur augmenté, capable d’avoir une expertise, une compréhension de son environnement et à l’écoute du citoyen. La révolution vient par la co-construction de cet espace public, par la reconnaissance de l’ensemble des acteurs publics. Demain le décideur public, c’est quelqu’un qui sera à la fois dans une logique de verticalité (savoir tirer profit de l’expertise de ses collaborateurs pour produire une pensée) et d’horizontalité (consulter l’ensemble des autres partenaires : privés, publics et opinion publique).

La Mel, une montée en compétences

La loi no 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et la loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ont élargi les compétences des métropoles. La métropole européenne de Lille organise ses services autour de 11 pôles gérant l’ensemble de ses compétences et intervient aujourd’hui dans 20 domaines essentiels au service de ses usagers.

La Mel est compétente dans les domaines suivants : aménagement du territoire (schéma directeur d’aménagement du territoire, plan local d’urbanisme, urbanisme commercial, ville renouvelée, etc.), culture (soutien aux structures culturelles, animation du réseau des fabriques culturelles, des conservatoires, etc.), déchets ménagers (collecte, traitement et valorisation des résidus urbains par le biais de délégataires, sensibilisation au tri, au recyclage et à la revalorisation, etc.), développement durable (adoption et mise en œuvre de l’agenda 21 et du plan climat-énergie territorial, etc.), eau et assainissement (traitement des eaux usées, stockage des eaux pluviales, production et distribution d’eau potable, etc.), économie et emploi (accompagnement des projets des entreprises et des filières d’excellence, développement de parcs d’activités, animation économique locale en partenariat avec la Région, etc.), espace public et voirie (création et entretien de la voirie communautaire, aménagement des centres-villes, parcs de stationnement, etc.), Europe et international (développement des relations européennes et internationales, animation de la SSI à l’échelle du territoire, etc.), habitat et logement (constitution de réserves dédiées à l’habitat, programme local de l’habitat, résorption de l’habitat insalubre, aménagement d’aires d’accueil pour les gens du voyage, etc.), politique de la ville (la Mel, chef de file de la politique de la ville sur le territoire de la Mel et pilote du contrat de ville), nature et cadre de vie (création et gestion du patrimoine naturel et paysager par le biais de l’ENLM, déploiement des trames verte et bleue, etc.), sport (promotion de grands événements, soutien des clubs de haut niveau, création et soutien des équipements sportifs du territoire, etc.), tourisme (pilotage de la cohérence de l’action et de l’image du territoire, soutien du développement du tourisme d’affaires et du tourisme d’agrément, etc.), transports ete mobilité (aménagement et gestion des transports en commun, développement des déplacements actifs, etc.), accessibilité handicap (sensibilisation aux différentes formes du handicap, aménagement du territoire pour le rendre accessible à tous les usagers, etc.), crématorium (gestion des crématoriums du territoire : Herlies et Wattrelos), énergie (distribution d’énergie sur la métropole), aménagement numérique (accès pour tous aux technologies numériques), Fonds d’Aide aux Jeunes, Fonds de Solidarité Logement.

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