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Les stations de ski : un cas emblématique d’aménagement moderne interrogé

Le 26 novembre 2021

Peut-on imaginer un cas plus emblématique de la modernité aménagiste que celui de la montagne et des stations de ski ?

Qu’on imagine un vaste plan neige porté par l’État : une exploration héliportée pour trouver les plus beaux domaines, des grands travaux d’équipement confiés à de puissants opérateurs, l’expropriation des habitants si nécessaire, pas d’études approfondies de marché ni d’impact sur l’environnement, mais une rapidité d’exécution à faire pâlir d’envie les constructeurs actuels.

Entre 1964 et 1977, six plans sont mis en œuvre aboutissant à la création de vingt-trois nouvelles stations de ski et à la modernisation de vingt existantes. C’est l’invention d’un marché et d’une économie de montagne qui érigent en modèle le tourisme de masse et son industrie. La ruée vers l’or blanc supplante l’électrométallurgie des vallées. Elle entraîne les acteurs locaux qui se positionnent jusque dans les années 1980 et le tassement d’un filon qui ne parviendra pas à se démocratiser. En 2018, selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), moins de 8 % des Français fréquentent les stations de ski chaque année et les sports d’hiver restent fortement marqués socialement. Leur succès relève d’ailleurs à près de 30 % d’une fréquentation étrangère d’autant plus appréciée que dépensière.

Soixante ans après, le secteur reste imposant : des acteurs économiques et des élus qui savent se faire entendre dans le débat économico-politique et pèsent plus de 120 000 emplois directs et indirects, 44,9 millions de journées-skieur vendues en 2018/2019, 2 milliards d’euros de contribution au commerce extérieur, 356 millions d’euros d’investissement, selon Domaines skiables de France. Le secteur n’est d’ailleurs pas oublié dans le plan de relance qui fait suite au covid-19, avec l’annonce en mai 2021 d’un versement d’aides visant à soutenir, mais aussi à engager une transformation des stations, pour un montant de 650 millions d’euros publics qui pourrait générer 1,8 milliard d’investissements au final.

De transformation, le besoin semble effectivement massif, car être emblématique de cette modernité productiviste et consumériste triomphante du xxie siècle a aussi son revers : non seulement l’or blanc, avec le changement climatique s’épuise, menaçant l’enneigement et le modèle économique de nombre de stations de moyenne montagne, mais la fuite en avant technique pour maintenir coûte que coûte l’activité et sa rentabilité – on pense en particulier à l’essor de la neige de culture qui s’étend jusqu’aux glaciers à 3 000 m d’altitude, aux infrastructures, aménagements, à l’énergie et à l’eau qu’elle requiert – devient de moins en moins compatible avec l’état environnemental de la montagne et la nécessité de la préserver, voire de la régénérer.

D’un côté donc un modèle d’aménagement et de développement économique qui, moyennant de nouveaux investissements et quelques concessions « vertes », tente de maintenir son niveau de profit. De l’autre le changement global, une fragilisation accrue d’environnements très vulnérables, des ressources en neige et eau qui se raréfient, les obligations de décarboner et de supprimer les externalités négatives sur les milieux qui s’affirment. Entre les deux, des territoires qui, après des années de vaches grasses, sont confrontés à une douloureuse impasse et obligés de se réinventer au risque sinon de s’étioler, avec les conséquences humaines déchirantes que cela provoquerait.

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