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Redonner du sens à l'action publique

Le 16 avril 2018

Les valeurs et les principes républicains doivent aujourd’hui être clairement réaffirmés pour répondre à la crise de confiance et de légitimité des élus et des fonctionnaires. Face à la profusion des repères terminologiques et au flou des notions, il est nécessaire de dresser une typologie précise de valeurs et des principes républicains.

Donner du sens à l’action publique, c’est penser, s’interroger, réfléchir aux valeurs, principes et responsabilités qui la définissent et la constituent : c’est, à la lumière des finalités, revenir sur son essence même à travers les notions fondamentales qui en constituent le socle et le fondement. Donner du sens, c’est aussi dégager la part de responsabilité au cœur de l’action publique : en matière d’agir humain, la notion de responsabilité a une portée plus que digne d’intérêt. Particulièrement, au sein de l’action publique locale, si les responsabilités respectives des élus et des fonctionnaires sont fondées sur des légitimités différentes, elles sont de natures complémentaires et concourent à l’intérêt général (qu’il s’agisse des responsabilités sociétales, déontologiques et de gestion). Or les repères terminologiques sont devenus instables et les notions sont devenues floues (comme en témoignent à titre d’exemple les débats sur la laïcité ou la déontologie), ce qui est un inconvénient considérable pour donner des points de repères clairs aux principaux intéressés : les fonctionnaires et les titulaires de fonctions électives.

Les valeurs et les principes républicains, des notions devenues floues pour les acteurs et une source de défiance des citoyens

Penchons-nous donc sur ce qui fait sens dans les valeurs de l’action publique à travers une vision comparée des notions. À l’échelle internationale, les valeurs essentielles sur lesquelles s’appuie le service public reflètent des approches sensiblement différentes mais assez convergentes. Par exemple, prenons le Code européen de bonne conduite administrative. Ce Code européen – non contraignant mais toutefois approuvé par le Parlement européen dans sa résolution du 6 septembre 2001 – énonce un certain nombre de principes applicables aux fonctionnaires européens, parmi lesquels la légitimité, l’absence de discrimination, la proportionnalité, la cohérence, l’absence d’abus de pouvoirs, l’impartialité et l’indépendance, l’objectivité, l’équité, la courtoisie et l’obligation de répondre aux lettres dans la langue du citoyen. Cet instrument comprend également des règles de procédure importantes telles que l’obligation de notifier les décisions à toutes les personnes concernées et l’obligation de tenir des registres et de garder une trace des processus administratifs. De manière plus générale, à l’échelle internationale, la notion de « valeurs » se compose d’une multitude d’éléments, parmi lesquels on compte, le plus souvent, les principes suivants : la responsabilité ; la transparence ; la capacité à répondre aux besoins des citoyens ; l’efficience, l’effectivité, l’ouverture, la participation, la prévisibilité, l’État de droit, la cohérence, l’équité, le comportement éthique, la lutte contre la corruption, la conclusion des procédures dans des délais raisonnables, la protection des droits de l’Homme, la simplification des procédures. Les approches anglo-saxonnes, elles, et en particulier canadiennes, reposent sur des recommandations comportementalistes.

En France, les valeurs et principes sont cités de manière confuse, comme en témoignent ces trois constats :

• une typologie proposée en 2008, dans le cadre d’un rapport sur la fonction publique, distingue les valeurs républicaines (Liberté, Égalité, Fraternité), les valeurs professionnelles (la légalité, l’efficacité, l’adaptabilité, la continuité, la probité, l’exemplarité) et les valeurs humaines (l’engagement, le sens de la solidarité) ;

• dans son ouvrage sur la déontologie des fonctions publiques1, Christian Vigouroux propose « trois
principes fondamentaux : probité, impartialité et efficacité », et parle de « trois valeurs fondamentales qui sont la probité, l’impartialité et l’efficacité » ;

• deux récentes lois et une votée en avril 20162 explicitent les principes déontologiques applicables aux acteurs publics : l’article 1er de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui concerne les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d’un mandat électif local ainsi que celles chargées d’une mission de service public ; la charte de l’élu local figurant à l’article 2 de la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice par les élus locaux, de leur mandat ; la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. En les examinant de manière synoptique, il apparaît que ces dispositions mêlent sans les distinguer les valeurs et les principes. De plus, ces textes n’emploient pas tout à fait les mêmes notions ce qui peut laisser penser qu’il y aurait une dissymétrie entre les exigences applicables à chacune des catégories en question : les membres du Gouvernement, les élus et les fonctionnaires. Ainsi, le principe de « laïcité » n’est pas explicitement mentionné dans la loi du 11 octobre 2013 ni même dans la charte de l’élu local. L’exigence de « dignité » n’est pas mentionnée dans la charte de l’élu local. La notion d’« impartialité » n’est pas citée dans la loi du 11 octobre 2013. Le terme « diligence » n’est présent que dans la charte de l’élu local.

Il n’est donc pas aisé de s’y retrouver. Or, valeurs et principes donnent du sens à l’action publique, d’où l’importance d’en faire une typologie précise.

Car aujourd’hui, la réalité de la vie en société et le poids des contraintes dans l’action publique peuvent laisser penser que la thématique des valeurs a peu de portée concrète et n’est qu’une incantation de « joueur de pipeau ».

Alors, en quoi les valeurs et les principes sont-ils essentiels au service public ?

À l’heure où les particularités de la fonction publique sont contestées, seul un statut peut garantir les protections nécessaires à l’exercice d’une fonction publique mais aussi imposer les
devoirs inhérents à leurs prérogatives. Dans une nation qui a besoin d’institutions publiques et dont le développement repose sur des interventions publiques, une armature statutaire est indispensable pour exiger des comportements déontologiques et espérer que les agents publics servent l’intérêt général. Ces particularités sont pleinement compatibles avec les exigences les plus profondes en matière d’efficacité, de réactivité, d’économie, de transparence, d’innovation et autres caractéristiques de gestion responsable de l’argent public.

À l’heure où les mandats d’élus sont dévalorisés, la déontologie de la fonction élective constitue un des plus forts motifs par lesquels les représentants, issus du suffrage universel, retrouveront la confiance des citoyens à leur égard.

Les services publics produisent de la valeur et ne peuvent être appréhendés exclusivement comme une charge pour la collectivité. Ils produisent de la sécurité, de la solidarité, de l’utilité économique, de la régulation, de l’attractivité, du lien social et de la cohésion. La qualité de ces services publics trouve ses ressources dans des moyens financiers, techniques et humains ou des processus, et trouve sa source dans des valeurs de service public et des principes déontologiques qui sont source de motivation mais aussi induisent un certain niveau d’exigences pour les acteurs publics.

La lente construction des principes déontologiques propres aux fonctionnaires et aux élus locaux

La déontologie de la fonction publique s’est forgée, pour l’essentiel, au cours du siècle passé. Elle a connu cependant d’importants développements au cours des deux dernières décennies. Les plus symboliques de ces étapes sont les suivantes :

• la loi de 1905 a mis en place les conditions d’exercice de la laïcité et contribué à articuler la valeur de liberté d’opinion avec les obligations d’impartialité ;

• le délit de prise illégale d’intérêt a émergé d’une loi de 1919 ;

• un décret-loi de 1936 a contribué à affirmer la notion d’activité exclusive pour la fonction publique par souci d’indépendance par rapport aux intérêts privés ;

• les statuts de la fonction publique dans leurs versions de 1945, 1958 et 1983 ont affirmé les droits et obligations propres à la fonction publique ;

• la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

• la loi no 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;

• la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique ;

• la loi no 94-530 du 28 janvier 1994 qui encadre les départs des agents publics vers le secteur privé ;

• les lois no 95-65 du 19 janvier 1995 et no 93-122 du 29 janvier 1995 relatives au financement de la vie politique, les marchés publics et les délégations de service public ;

• la loi organique no 2013-906 et la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ;

• la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ;

• la loi no 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Ce mouvement français de renforcement des principes déontologiques a rejoint une tendance internationale prônant la construction d’une administration intègre et efficace (ONU, OCDE, Conseil de l’Europe, Union européenne ou des associations telles que Transparency International). Un accord-cadre pour un service de qualité dans les administrations de l’Union européenne, signé le 12 décembre 2012 par les représentants des employeurs publics européens (EUPAE) et des agents (TUNED) mentionne les valeurs de références dans lesquelles « les différents acteurs se reconnaissent, qui engagent et responsabilisent et constituent des points d’ancrage pour l’action publique et une source de motivation pour les employés et les employeurs publics ».

Aller des droits et obligations aux responsabilités déontologiques

Le législateur fixe clairement le principe de la responsabilité personnelle de l’élu local, d’une part, et celle du fonctionnaire territorial, d’autre part. Ces responsabilités sont exercées évidemment au sein d’un collectif – l’institution publique à laquelle ils appartiennent – mais aussi en propre pour ce qui a trait à l’exercice de leurs missions personnelles. Elles peuvent être mises en cause en matière administrative, pénale, financière ou encore de gestion. Il est désormais possible d’affirmer que la fonction élective locale repose sur des principes déontologiques pouvant, comme pour les fonctionnaires, être classés en deux catégories de devoirs et de droits qui s’équilibrent mutuellement.

Les normes de comportement que les élus doivent adopter dans l’exercice de leurs fonctions et que les citoyens sont en droit d’attendre de la part de leurs représentants sont désormais formalisées par le Parlement sous la forme d’une charte de l’élu local (voir ci-dessous). Ce document consacre des principes déontologiques (obligations d’impartialité, de diligence, de dignité, de probité et d’intégrité) mais aussi prescrit des règles de comportement, notamment dans certaines situations de conflits d’intérêts.

D’autres obligations, qui ne figurent pas dans cette charte, pèsent sur les élus locaux et revêtent un caractère déontologique :

• les obligations liées aux comptes de campagne ou au financement politique ;

• la prise en compte des obligations en matière de gestion publique, notamment dans le champ de l’examen de gestion par les chambres régionales des comptes ;

• les responsabilités résultant des exigences d’exemplarité des employeurs publics.

1. Vigouroux C., Déontologie des fonctions publiques 2013-2014, 2012, Dalloz.

2. L. no 2016-483, 20 avr. 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

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