La prospective ouverte et délibérative à l'échelle de la métropole nantaise

Le Grand débat de la Transition
©Nantes Métropole
Le 24 mai 2018

Penser le futur dans la perspective de l’intérêt général ne peut plus constituer un exercice solitaire ou expert. Le Grand débat citoyen intitulé « La transition énergétique, c’est nous ! », mené par la métropole nantaise, a permis d’associer les citoyens à la réflexion sur la transition énergétique, débouchant récemment sur une feuille de route adoptée par le conseil métropolitain.

Comme le soulignait Nicolas Rio, à l’occasion des « Rencontres des métropoles participatives », en novembre 2017 à Grenoble, ces territoires réinventent d’une certaine façon l’exercice de la prospective. Dans un contexte de transition avec des défis – démocratiques, écologiques, démographiques, numériques, etc. – les métropoles tentent d’expérimenter de nouveaux modèles de développement. Pour ce faire, penser le futur dans la perspective de l’intérêt général, ne peut plus constituer un exercice solitaire ou expert. Le parti pris adopté par la métropole nantaise et ses élus est de proposer à travers la démarche des « Grands débats citoyens », un exercice de prospective ouverte et délibérative. Ouverte, car elle repose sur l’association de toutes les parties prenantes dont les citoyens et le choix de méthodes permettant de recueillir les points de vue experts, d’usages, sensibles, etc. Délibérative, car elle a vocation à soutenir une décision publique enrichie du débat démocratique et issue de l’instruction de différents points de vue1.

Dans cette perspective, un Grand débat citoyen intitulé « La transition énergétique, c’est nous ! » qui s’est inscrit dans la continuité de la démarche « Ma ville demain, inventons la métropole nantaise de 2030 » et d’un premier grand débat « Nantes, la Loire et nous », a eu lieu du 13 septembre 2016 au 31 mars 2017. Il a abouti à l’élaboration d’une feuille de route adoptée à l’unanimité par le conseil métropolitain du 16 février 2018. Le récit des étapes et des modalités de ce grand débat propose de rendre compte d’une expérimentation inédite à cette échelle pour penser collectivement l’avenir d’un territoire.

Pourquoi débattre de la transition énergétique ?

Les métropoles sont de grandes consommatrices d’énergie ; elles consomment à elles seules 80 % de l’énergie mondiale. En France, plus de 80 % de la population habite en ville et les grandes aires urbaines concentrent aujourd’hui plus de 2/3 de transports automobiles. S’interroger aujourd’hui sur la transition énergétique, c’est répondre aux grands défis énergétiques et climatiques mondiaux, repenser la facture énergétique de la France, s’intéresser au coût de l’énergie mais aussi à son prix, analyser sa production, son stockage et sa distribution pour amorcer un changement de modèle, qui passera inévitablement par les territoires. Aujourd’hui les métropoles et leurs citoyens ont les moyens d’agir et d’accélérer cette transition énergétique. Quelle(s) énergie(s) demain ? Pour quoi faire ? Pour qui ? Avec quelles opportunités ? Autant de questions à débattre avec l’ensemble des parties prenantes du territoire.

Malgré des engagements forts de Nantes métropole et ses 24 communes pour la transition énergétique, notamment au travers de son Plan Climat ou encore de sa politique énergie, la construction d’un nouveau modèle de métropole sobre et durable invite à de nouveaux arbitrages et à instruire de manière plus approfondie les différents scénarios de réponses aux enjeux du territoire.

Un débat contextualisé autour de quatre thèmes

La transition énergétique est à contextualiser en fonction des caractéristiques d’un territoire : son climat, sa géographie, les modes de vie, les dépenses et ses ressources énergétiques, etc., on ne fait pas la transition énergétique de la même manière dans toutes les agglomérations de France. Pour en faciliter la compréhension et répondre à l’ensemble des enjeux qui lui sont liés, quatre grands questionnements ont été soumis au regard des citoyens et des acteurs :

- Question 1 : Quelles transitions des modes de vie ?

Mots-clés : Maîtrise de l’énergie, consommation, sobriété, éducation.

- Question 2 : Territoire en transitions : quels paysages et nouveaux usages ?

Mots-clés : Sources et production de l’énergie, anticipation des fonctions urbaines.

- Question 3 : Quelle appropriation citoyenne et locale de l’énergie : de la production à la consommation ?

Mots-clés : Coût de l’énergie : du financement de la production à l’accessibilité pour tous.

- Question 4 : Transition et économie : quelles opportunités d’innovation, emploi et insertion ?

Mots-clés : Filières économiques (dont agriculture), innovation-recherche, formation et emploi.

Ces questionnements sont le fruit d’une réflexion politique, issus d’un atelier prospectif (trois séminaires) qui a rassemblé en amont du débat une trentaine d’élus de la métropole. La mise à l’agenda de « l’énergie » comme sujet de débat est en soi une première étape de réappropriation démocratique du sujet, ouvrant la perspective que l’échelle des métropoles est certes celle des questionnements mais aussi celle des solutions. En soi, l’offre des Grands débats métropolitains est un acte politique qui autorise la réappropriation démocratique des enjeux d’avenir et affirme en même temps la capacité collective à penser, agir et décider localement. C’est donc un exercice de confiance a priori.

Un débat du « faire » pour soutenir la capacité d’agir de tous

Forte des enseignements du premier Grand débat sur la Loire, cette deuxième édition a été pensée et construite pour favoriser une connaissance partagée de la transition énergétique par les citoyens, soutenir la capacité d’agir des plus éloignés et du plus grand nombre, de fonder les synergies entre acteurs impliqués et nouveaux participants. Pour cela, en plus des modalités de participation existantes2 pour « Nantes, la Loire et nous », deux ambitions ont été exprimées : créer une démarche qui soit plus proche des citoyens, car l’énergie est un sujet qui nous concerne tous, et favoriser les expérimentations en inventant un débat du « faire ». Dans cette optique, la collectivité a choisi à l’issue d’un travail avec les élus des communes d’être concertées avec les acteurs du territoire, d’expérimenter plusieurs modalités d’ingénierie de la participation et de renouveler la relation avec les citoyens au service de ces deux ambitions.

Au total, ce grand débat a permis d’offrir des expériences multiples et innovantes de participation : 10 auditions publiques, des séminaires d’acteurs, la possibilité pour tout collectif (associations, entreprises, institutions, syndicats, etc.) de rédiger un cahier d’acteurs – 160 cahiers reçus – ou pour tout individu de poster une contribution sur le site internet du Grand débat – 760 contributions écrites individuelles, la labellisation de 80 événements, un container qui a pu faire 18 escales dans les quartiers ou les communes, enfin la participation ouverte à tout citoyen de s’investir dans une des 6 communautés du débat du « faire ».

Le débat du « faire » proposait de laisser une large place aux expérimentations et aux actions concrètes des acteurs et des territoires. Il s’est traduit par 6 communautés qui ont rassemblé plus de 500 citoyens :

- les activateurs : 10 porteurs de projets qui se sont formés aux campagnes de financement participatif ont rassemblé 150 000 € ;

- les évaluateurs : une évaluation citoyenne par 50 habitants de 12 projets publics et communaux de transition énergétique ;

- les arpenteurs : 160 participants à 3 expéditions urbaines pour découvrir où se cache l’énergie dans la métropole ;

- les précurseurs : 150 « familles à énergie positive », 80 familles « zéro déchets », 13 écoles en défi éco-mobilité, 10 écoles en Class’énergie, 15 PME-PMI dans le parcours à énergie positive ;

- les défricheurs : 50 participants lancés dans des défis personnels et collectifs pour vivre la transition (alimentation, déchets, énergie dans l’habitat, déplacements, etc.) ;

- les astucieux : 50 personnes en vulnérabilité énergétique qui rédigent un guide de retour d’expériences « Maîtrisez votre énergie ».

Le débat « La transition énergétique, c’est nous ! » a donc duré 7 mois, soit 200 jours, et a pu proposer une diversification des offres de participation. Il a été suivi par 53 000 personnes, avec une implication particulière de 11 000 d’entre elles. Ces chiffres témoignent de la dynamique démocratique du débat, d’une diversité de participants mais aussi d’une montée en compétences et en actions du territoire.

Le sujet du débat, jugé complexe, ou trop militant a poussé à mettre en place des modalités d’expressions comme des retours d’expériences ou des expérimentations grandeur nature. Cette stratégie a été construite pour permettre au plus grand nombre de participer selon sa préférence : s’exprimer ou agir. Les Grands débats ont ouvert une prospective démocratique qui prête attention autant à l’expression, l’expertise et l’action comme éléments utiles et complémentaires de projection dans l’avenir.

Une commission citoyenne et indépendante, garante du débat

Le bon fonctionnement démocratique du débat a été confié à une commission citoyenne et indépendante. Constituée de 4 citoyens bénévoles, cette commission avait pour mission de garantir le bon déroulement du débat, d’en assurer la transparence et la neutralité, de favoriser la diversité des contributions, de rendre compte des avancées du débat et de conclure par l’écriture d’un rapport final en réponse aux questions posées au lancement du débat. Ce rapport a été remis aux élus de la métropole en septembre 2017. Synthèse de l’ensemble des contributions, le rapport repose sur une lecture exhaustive de toutes les contributions qui ont été produites au cours des 7 mois du débat. Le rapport de la commission propose 12 accélérations déclinées en 60 actions concrètes. Une présentation publique du rapport a été organisée en invitant l’ensemble des contributeurs (200 présents).

Une feuille de route partagée à l’issue du Grand débat

À partir d’octobre, Nantes métropole a organisé une phase d’instruction des préconisations de la commission en mobilisant à la fois les directions métropolitaines, les communes et les acteurs. Ces derniers ont été invités à un temps fort de co-construction de la future feuille de route transition énergétique du territoire le 7 décembre avec 350 participants.

La feuille de route a été adoptée à l’unanimité par le conseil métropolitain le 16 février 2018. Elle s’appuie ainsi sur trois singularités du territoire et issue du débat pour incarner une « transition énergétique à la nantaise », faire en sorte qu’elle soit profitable à tous, qu’elle mobilise tous les acteurs du territoire pour inventer de nouveaux modèles et penser l’avenir en rupture :

- une transition au bénéfice de 100 % des habitants sur 2 leviers principaux : le logement et la mobilité ;

- vers un territoire 100 % ressources : énergies renouvelables locales, nature en ville, agriculture et alimentation, déchets ;

- faire ensemble, la métropole, les communes, les acteurs et les citoyens expérimentent le chemin de la transition énergétique.

La feuille de route propose 15 engagements déclinés en 33 actions concrètes portées à la fois par Nantes Métropole, les 24 communes, les acteurs et le citoyen, une dynamique partenariale forte appelant à installer une gouvernance ouverte et inédite en 2018.

La prospective comme exercice démocratique

Les grands débats expérimentés par la métropole nantaise apportent une première réponse au désir de démocratie directe de ces territoires et institutions que sont les métropoles. Débattre ensemble,  – ville centre, quartiers, communes – est une façon de faire grandir le sentiment et la pratique de citoyenneté des métropolitains. L’approche prospective des grands débats permet aussi de dépasser les sollicitations à l’adresse seulement de l’usager, du contribuable qu’est l’habitant métropolitain. Penser un avenir commun, en prenant connaissance de la diversité des territoires et des situations de chacun, en montant en compétence sur les enjeux d’avenir3, en pouvant participer/agir à sa façon… peut s’entendre comme fondement des métropoles demain participatives et citoyennes.

1. Blondiaux L., « Prendre au sérieux l’idéal délibératif », Revue suisse de science politique 2004.

2. Document socle, site internet, auditions d’acteurs, cahiers d’acteurs, journée citoyenne, comité citoyen.7. Un troisième grand débat en 2019 portera sur la transition démographique/vieillissement.

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Par
Sandra Rataud

Sandra

Rataud

Co-directrice du Pôle Dialogue citoyen, évaluation et prospective

Nantes métropole

et
Francine Fenet

Francine

Fenet

Co-directrice du Pôle Dialogue citoyen, évaluation et prospective

Nantes Métropole

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