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Claire Baritaud et Guillaume Roger : «La gouvernance territoriale des mobilités doit devenir invisible pour l’usager»

Claire baritaud et Guillaume Rogier
©DR
Le 28 mars 2023

Penser les solutions de mobilité de demain (air, mer, terre), accompagner les innovateurs et structurer un écosystème des transports qui fonctionne encore trop en silos, c’est la raison d’être de l’Agence de l’innovation pour les transports (AIT), le laboratoire du ministère des Transports constitué d’agents des directions générales des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) et de l’aviation civile (DGAC).

 

L’AIT a justement tenu les 7 et 8 février 2023, à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, son premier forum. À l’issue de ce forum ont été annoncés les dix-huit lauréats de Propulse, le programme d’accompagnement et d’accélération de projets d’innovation dans le secteur des transports, et le lancement d’un futur billet unique dans les transports, fruit d’un hackathon sur le « titre de transport de demain ».

 

Guillaume Roger (DGAC) et Claire Baritaud (DGITM), coordinateurs de l’AIT, reviennent pour Horizons publics sur l’importance des démarches d’innovation, le rôle de l’agence, les enjeux de ce premier forum et réagissent à notre dossier sur les mobilités.

Quel rôle entend jouer l’Agence pour l’innovation dans les transports ?

Claire Baritaud – Le monde des transports est en pleine mutation dans un contexte d’urgence climatique. L’empreinte carbone des transports de personnes ou de marchandises continue à augmenter, il n’y a pas de décroissance significative. Il ne nous reste plus que dix ans pour rentrer dans une trajectoire bas carbone. C’est maintenant qu’il faut accélérer ! L’AIT a été créée pour accompagner les innovations de rupture tant privées que publiques dans le secteur des transports. Pour réussir cela, nous avons besoin d’embarquer tous les acteurs de l’écosystème : entreprises, acteurs publics, collectivités, start-ups, etc. Notre rôle est de favoriser les échanges entre ces différents acteurs. L’agence pilote notamment un programme d’accélération Propulse1 et contribue aux réflexions sur les enjeux d’avenir des mobilités.

Nous avons mis en place une plateforme France Mobilités pour aider les communautés de communes à se saisir de la compétence d’AOM.

Guillaume Roger – L’agence a été lancée en novembre 2021 pour relever quatre grands défis dans le secteur des transports : la transition écologique et énergétique, la révolution digitale qui génère de grands volumes de données à protéger et valoriser, la nécessité de résilience des services de transport et de logistique en temps de crise, et enfin la cohésion des territoires en offrant de nouveaux services de transports adaptés.

Claire Baritaud – Nous avons aussi besoin de détecter les innovations et de les faire rayonner au niveau national et international. Faciliter l’expérimentation et le passage à l’échelle dans les territoires fait partir de nos missions. Le hackathon sur le « Titre de transport de demain », organisé durant les deux jours du forum, s’inscrit bien dans cette logique et a permis d’y associer des usagers. Passer du concept à un prototype qui marche et enfin déployer la solution innovante à plus grande échelle ne sont souvent pas choses faciles. Nous avons développé le programme Propulse pour justement accompagner au passage à l’échelle. Le cadre réglementaire est souvent un irritant pour les innovateurs. Un autre irritant qui freine souvent l’innovation porte sur la méconnaissance des dispositifs de financement et de soutien. Nous allons proposer une cartographie plus fine de ces dispositifs et nous appuyer sur les réseaux sociaux (communauté de 7 100 abonnés) pour les expliquer. Nous venons de lancer un club des financeurs publics et privés pour confronter les besoins des innovateurs avec les financements publics et privés existants.

Guillaume Roger – L’Agence n’est efficiente qu’avec les partenaires de l’écosystème du secteur des transports. L’un des enjeux est de fédérer cet écosystème comme nous venons de le faire avec le premier forum de l’AIT.

Avec la loi d’orientation sur les mobilités de 2019, les régions sortent confortées. Quel regard ou retour sur la mise en œuvre des bassins de mobilités et des contrats opérationnels associés ?

Claire Baritaud – Nous ne sommes pas totalement satisfaits en termes de dynamique, nous n’avons pas suffisamment avancé vite, le Gouvernement réfléchit à créer une instance de dialogue État-autorités organisatrices de la mobilité (AOM) pour engager un dialogue continu et dépassionné afin de répondre aux besoins de mobilité.

Les mobilités sont dites plurielles ; dans cette trajectoire, la question du numérique et du titre unique progresse à grands pas. Qu’attendez-vous du hackathon sur le titre de transport du futur et quelle implication dans la durée ?

Claire Baritaud – L’idée de créer un billet unique, comme cela se développe dans différents pays européens, est de sortir de la complexité de devoir acheter plusieurs titres pour voyager dès qu’on change de territoires. Ce hackathon sur le titre de transport de demain a permis de challenger 10 équipes, 70 personnes, expertisées par un comité scientifique de 20 membres et un grand jury politique de 6 membres présidé par le ministre Clément Beaune. Dix équipes représentant l’ensemble de l’écosystème des transports se sont mobilisées pour lever les freins techniques afin de concevoir un titre unique de transport : AOM, opérateurs de transport, éditeurs de solution billettique et application de services numériques, bureaux d’études, représentant des usagers et étudiants. Le jury, constitué du ministre des Transports, des élus représentants de régions de France, du Groupement des autorités responsables de transport (GART) et de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), a choisi les solutions lauréates France Moov’ et Carte LEM. Ces solutions vont être accompagnées par l’AIT pour étudier leur déploiement ; des expérimentations pourront avoir lieu avec les collectivités volontaires dès les prochains mois.

L’AIT, un laboratoire pour favoriser l’innovation dans les transports

Annoncée en avril 2021 et lancée à la fin de la même année, l’AIT est gérée conjointement par deux des cinq directions générales du ministère de la Transition écologique : la direction générale des transports, des infrastructures et des mobilités (DGITM) et la direction générale de l’aviation civile (DGAC).

Cette initiative témoigne de la volonté de l’État de coordonner l’ensemble des actions d’innovation au service des grandes politiques publiques de mobilité dans une approche en écosystème. Un protocole d’accord spécifique entre l’AIT et la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) permet d’appliquer cette allégation à tous les modes de transport.

L’AIT a pour missions :

  • d’entretenir une veille de l’innovation, identifier, capter, référencer les projets innovants portés par les acteurs privés et publics dans les territoires ;
  • d’impulser et animer une culture d’innovation ouverte dans l’écosystème des transports (industriels, opérateurs, territoires, administration), casser les silos entre les différents modes et favoriser l’émergence d’idées nouvelles pour les services de transport de demain, par des workshops, groupes de travail innovant notamment ;
  • d’établir des partenariats avec les acteurs de l’écosystème innovation, dans le secteur des transports, mais aussi en dehors vers des secteurs qui peuvent bénéficier aux services de transport, en apportant des technologies et des services nouveaux ;
  • d’accompagner les porteurs de projets innovants : entreprises, chercheurs, collectivités locales, associations, pour accélérer la levée de points de blocage, ou en apportant des ressources nécessaires à leur développement (accès à des données, partenariats, aide à la constitution de dossiers pour l’obtention de financements) ;
  • de soutenir le développement de prototypes et lancer ou faciliter des expérimentations.

Le Gouvernement réfléchit à créer une instance de dialogue État-autorités organisatrices de la mobilité (AOM) pour engager un dialogue continu et dépassionné afin de répondre aux besoins de mobilité.

Le dossier Horizons publics est très orienté sur la gouvernance ; l’enjeu des coopérations est crucial. Quel peut être le rôle de l’État pour favoriser les avancées, les appels à projets, la contractualisation, les structures dédiées ?

Claire Baritaud – Nous avons mis en place une plateforme France Mobilités2 pour aider les communautés de communes à se saisir de la compétence d’AOM comme souhaité à l’issue des Assises de la mobilité. De nombreuses ressources sont disponibles précisant le périmètre des compétences AOM entre région et communauté de communes et un mode d’emploi pour se lancer. Des événements sont également organisés au niveau national et local. Des cellules régionales d’appui furent aussi mises en place dès 2019 pour accompagner l’innovation dans les territoires « peu denses » : territoires ruraux, villes petites et moyennes, espaces périurbains des agglomérations.

  1. Propulse est un programme d’accompagnement et d’accélération de projets d’innovation dans le secteur des transports. Ce programme accompagne le passage à l’échelle de tous les types de projets (service, usage, technologie, social, etc.) avec le soutien des administrations de l’État chargées des transports et des partenaires de l’AIT. Les projets lauréats bénéficient d’un accompagnement complet d’une durée de neuf mois visant à accélérer et faciliter leur mise en œuvre. Pour sa seconde édition, le programme comporte quatre appels à projets : « Transports durables », « Partage de données », « Aménagement des espaces pour un usage multiple : multimodalité et intermodalité », et « Intrapreneuriat ».
  2. https://www.francemobilites.fr/
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