Revue
Grand entretienLes territoires en rupture transforment-ils l’action publique ?
Dans le cadre du lancement du 6e ouvrage de la chaire Transformations de l’action publique, Les territoires qui disent non ! Mobilisations et mutation de l’action publique (Berger-Levrault), la Public Factory de Sciences Po Lyon1 a organisé le 10 juin dernier une soirée-débat à bâtons rompus.
Les codirecteurs de l’ouvrage, Renaud Payre, Christian Paul et Christophe Parnet, ainsi que de nombreux contributeurs, ont discuté de l’évolution des relations entre mobilisations territoriales et action publique, dépassant la seule logique conflictuelle.
De Creys-Malville aux zones d’aménagement différé (ZAD), en passant par les oppositions aux projets d’énergies renouvelables, ce livre examine la façon dont les territoires réagissent aux projets, qu’il s’agisse de manifestations contre des infrastructures ou des énergies renouvelables. Il explore les méthodes d’appropriation et de protestation employées, ainsi que la réponse des autorités publiques à ces oppositions. Horizons publics vous en restitue les principaux échanges.
Participants :
- Renaud Payre : professeur de science politique à Sciences Po Lyon, vice-président de la Métropole de Lyon, codirecteur de l’ouvrage ;
- Christian Paul : administrateur de l’État, ancien ministre, coordonnateur de la chaire Transformations de l’action publique de Sciences Po Lyon, codirecteur de l’ouvrage ;
- Christophe Parnet : docteur en science politique, spécialiste du pouvoir local et de ses contestations, codirecteur de l’ouvrage ;
- Baptiste Colin : docteur en histoire contemporaine, maître de conférences en urbanisme et aménagement à l’université de Bretagne occidentale, membre du laboratoire Géoarchitecture, contributeur à l’ouvrage ;
- Laurent Thiong-Kay : maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à Sciences Po Lyon, contributeur à l’ouvrage ;
- Louis Poidevin : chargé de la concertation et des relations institutionnelles à SNCF réseau Auvergne-Rhône-Alpes, contributeur à l’ouvrage ;
- Cyril Bousquet : membre d’Extinction Rébellion Dijon, chef de projet pour Médecins Sans Frontières, contributeur à l’ouvrage.
Ce livre explore les mobilisations territoriales et leur impact sur l’action publique, un sujet au cœur des discussions actuelles sur l’avenir de la démocratie et la vie citoyenne dans nos territoires...
Renaud Payre – En effet, cet ouvrage aborde les mobilisations territoriales qui dessinent aujourd’hui une géographie des luttes partout en France. Des exemples comme les luttes contre les mégabassines à Sainte-Soline, le stockage de déchets nucléaires à Bure ou les éoliennes offshore en Bretagne s’inscrivent dans une longue histoire de résistance axée sur le territoire, qui a vu le jour dans les années 1970 contre des projets industriels tels les centrales nucléaires ou le TGV. Aujourd’hui, ces mobilisations contestent des projets liés à la transition écologique, à la gestion forestière ou aux transformations urbaines. Le livre cherche à analyser l’évolution des relations entre ces mouvements et l’action publique, allant au-delà de la simple logique conflictuelle.
Christian Paul – Précisément. Si la répression et le maintien de l’ordre sont souvent des réponses fréquentes, ils ne résument pas l’ensemble des interactions. Notre ouvrage, en combinant contributions de chercheurs et témoignages d’acteurs de terrain, explore ces dynamiques, mais éclaire aussi les espaces possibles de dialogue et de transformation. L’idée est de proposer une réflexion croisée pour un large public afin de comprendre les enjeux actuels et leur impact sur l’action publique. Il est important de rappeler que, comme le clivage, le conflit est nécessaire dans notre démocratie. On a trop voulu nous faire croire ces dernières années qu’il pouvait être dépassé, alors qu’il prend simplement d’autres formes de mobilisation. Le conflit est socialisateur et le clivage permet à notre communauté politique de tenir, à condition de savoir prendre en compte le point de vue de l’autre et de se confronter.
Christophe Parnet, vous êtes également codirecteur de cet ouvrage et spécialiste du pouvoir local et de ses contestations. Comment cet ouvrage aborde-t-il la diversité des « territoires qui disent non » ?
Christophe Parnet – L’ouvrage est structuré pour justement rendre compte de cette diversité et du dialogue entre le monde académique et les acteurs de terrain. Il est divisé en trois parties principales : la première, « Occupy ! », se penche sur les nouvelles formes d’action collective basées sur l’occupation. La deuxième, « Au-delà du conflit entre mobilisation et acceptation », explore la notion d’acceptabilité et le rapport entre mobilisation et action publique. La troisième, « Faire avec quand la mobilisation territoriale redéfinit le projet », analyse comment les mobilisations peuvent redéfinir le projet public. Nous avons voulu aussi, avec la Fondation Sciences Po Lyon et les chaires, envisager une suite à cet ouvrage, peut-être sous la forme d’un festival, pour continuer à poser la question du conflit et du clivage, et réapprendre à débattre et à se confronter dans un contexte de post-vérité.
L’une des richesses de ce livre réside dans la variété des points de vue, incluant ceux de chercheurs et d’acteurs. Nous accueillons ce soir plusieurs contributeurs. Pourriez-vous vous présenter brièvement et nous parler de votre contribution ?
Baptiste Colin – Je suis historien et sociologue de formation, enseignant à l’Institut d’urbanisme de Lyon (IUL). Ma contribution porte sur les mouvements squatteurs dans une perspective historique et comparative, en analysant le continuum de ces mouvements et leur présence actuelle, avec un exemple dans la métropole de Lyon.
Laurent Thiong-Kay – Je suis enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à Sciences Po Lyon. Mon travail, issu de ma thèse, portait sur la production médiatique de l’opposition au barrage de Sivens. Dans ma contribution, je prends du recul pour analyser comment le déroulé de la controverse recode les significations que l’on peut associer à la notion de territoire, de l’aménagement à la répression, en passant par la ZAD.
Louis Poidevin – Je suis diplômé de Sciences Po Lyon et travaille pour SNCF Réseau. Ma contribution est un témoignage de mon expérience en matière de concertation comme maître d’ouvrage, expliquant comment les remarques ou la contestation du public sur un projet d’infrastructure sont prises en compte. Il s’agit d’une réflexion sur la participation citoyenne à l’élaboration des projets d’infrastructures.
Cyril Bousquet – Je suis activiste, membre d’Extinction Rébellion Dijon et chef de projet pour Médecins Sans Frontières. Ma contribution partage des retours d’expérience autour de Dijon sur des luttes réussies ou non, en abordant la place de la démocratie citoyenne, le rôle de la science et la confrontation avec les impératifs financiers.
Merci à vous. Abordons maintenant une question centrale qui traverse l’ouvrage et notre discussion ce soir : le rôle du conflit. Quelles sont les vertus, mais aussi les limites du conflit dans les mobilisations territoriales et leurs rapports avec les pouvoirs publics ?
Cyril Bousquet – Une vertu majeure du conflit est qu’il rassemble. Être ensemble contre un projet, qu’il soit écocide ou de destruction sociale, crée du lien, même entre personnes de milieux différents qui ne se connaissaient pas. C’est ce lien, ces amitiés qui durent, qui est pour moi la plus grande vertu. À l’inverse, le conflit peut être destructeur. La répression subie par les mouvements récemment est un gros enjeu, elle a cassé une partie du mouvement.
Louis Poidevin – Les projets d’infrastructure ont un intérêt public (décarbonation, mobilité accrue) mais génèrent des nuisances, pas seulement pour l’environnement naturel mais aussi pour l’environnement humain (bruit, visuel, modification des déplacements). L’opposition est légitime. Le conflit est aussi l’occasion pour le maître d’ouvrage d’informer et de prendre en compte les expressions du public. C’est un passage obligé, non comme un mauvais moment, mais comme une étape dans la construction du projet, qui doit s’adapter au territoire qu’il impacte.
Laurent Thiong-Kay – À Sivens, nous avons pu observer que c’est paradoxalement le conflit qui génère de la reconnaissance. Au début, une poignée d’écologistes locaux étaient relativement ignorés par les élus et la presse locale. C’est quand les travaux ont démarré et que des militants avec leurs réseaux et répertoires d’action (comme l’idée de ZAD) sont arrivés qu’il y a eu du conflit, que la presse et les élus ont commencé à s’intéresser. Le conflit permet aussi de politiser et de faire des liens avec d’autres luttes, même si cela peut risquer de déterritorialiser le conflit initial. La limite est la radicalisation des représentations des deux côtés. À Sivens, le conseil général refusait de s’asseoir avec les « zadistes » et certains militants rejetaient toute forme d’institution. La répression, une autre étape, peut rapprocher les différents collectifs militants par solidarité mais complique la résolution institutionnelle.
Baptiste Colin – Le conflit peut être destructeur et démobilisateur car les mouvements peinent à en maîtriser la temporalité, ce qui peut aussi conduire à leur déclin. Mais il est aussi formateur et rassembleur. On tire toujours quelque chose d’une lutte, même perdue, par les héritages qu’elle génère. Les conflits font toujours bouger les lignes, même discrètement. Dans l’analyse du conflit, il y a une part d’inconnu, notamment le point de vue des forces de l’ordre, l’action publique en charge du contrôle de l’ordre public et de la répression, dont les données sont difficiles d’accès. Comprendre comment l’État essaie de contrôler le conflit reste difficile. Le conflit exacerbe les oppositions mais peut aussi faire émerger des solidarités. Il y a souvent différentes « fractions » dans les mouvements, des plus radicales aux plus légalistes, qui doivent cohabiter.
Au-delà du conflit, comment un « non » devient-il audible et obtient-il une reconnaissance institutionnelle ?
Louis Poidevin – Pour moi, un élément très important est la relation interpersonnelle. Dans les projets, surtout les plus petits, le représentant du maître d’ouvrage est en lien direct avec les gens. Le « non » devient audible quand une relation de confiance s’établit et que le maître d’ouvrage voit qu’il a des marges de manœuvre, à la fois dans le projet et dans la relation avec l’opposition. J’ai en tête un exemple de développement d’une plateforme de transport combiné près de Lyon (c’est-à-dire une zone de manutention de containers depuis des camions vers des trains et vice versa) où une opposition ancienne mais bien identifiée et avec des demandes perçues comme « absorbables » a conduit à modifier l’accès routier pour résoudre les nuisances. La composante politique est aussi cruciale : quand un conflit atteint les élus, qui sont souvent financeurs et décideurs de ces projets d’aménagement, cela a un fort impact sur la façon dont le projet est porté.
Baptiste Colin – La représentation est essentielle. Compter un grand nombre de personnes mobilisées donne de la légitimité. Avoir un porte-parole identifié paraît plus efficace que de changer constamment de représentant, quoique les interlocuteurs changent aussi dans la temporalité des mouvements et des conflits. Proposer des alternatives, des contre-projets, est également un élément clé. L’histoire des mouvements squatteurs montre que plaider pour la réhabilitation plutôt que la destruction a permis de préserver des quartiers. Un autre facteur est la visibilité de la précarité : les acteurs publics sont plus à l’écoute de formes de précarité que de revendications trop ouvertement militantes. Ceux qui ne revendiquent pas une étiquette trop radicale sont souvent mieux écoutés et entendus. C’est en fait une limite et un biais (institutionnel) de gouvernance, car les mouvements sont souvent prêts à construire.
Cyril Bousquet – Le rapport avec les médias n’est absolument pas à sous-estimer. Créer une relation de confiance avec les journalistes peut mener à une couverture médiatique positive qui influence l’opinion publique et force les élus à ne pas ignorer le mouvement. Les « coups d’éclat » fonctionnent bien. L’action contre le projet EACOP2, coordonnée par Romain Olla3, a utilisé des coups d’éclat artistiques et via les réseaux sociaux, mettant le projet sous les projecteurs et compliquant son financement. Malheureusement, la répression ou même un décès peuvent aussi créer un « coup d’éclat » médiatique, rendant la lutte audible, comme à Sivens. Les luttes contre les mégabassines montrent aussi que la science et les demandes des opposants sont de plus en plus entendues, au point que les promoteurs y réfléchissent à deux fois.
Laurent Thiong-Kay – Oui, l’enjeu médiatique est vital. À Sivens, les journalistes ne s’intéressaient pas aux rapports d’experts tant qu’il n’y avait pas d’images à associer à la retranscription écrite ou à la couverture télévisuelle du conflit. La ZAD, en tant que lieu physique et symbole du conflit, a offert cette valeur d’information et ces images permettant aux militants de faire connaître leurs arguments. Savoir intéresser la presse est un répertoire d’action fondamental pour les mobilisations environnementales.
Nous allons maintenant ouvrir la parole à la salle. Une première question porte sur la possibilité que les « territoires qui disent non » soient aussi des institutions, comme les collectivités territoriales, et sur leurs modes d’action face aux reculs de l’État.
Renaud Payre – C’est une question extrêmement intéressante, même si ce n’était pas le thème principal du livre, qui a plutôt envisagé les mobilisations citoyennes face aux pouvoirs publics. Il y a toujours eu des résistances de collectivités, par exemple des grèves de maires contre la fusion communale. On peut se demander s’il n’y a pas une contradiction avec certains principes républicains. Les collectivités peuvent utiliser le droit, faire des recours contre l’État, par exemple sur la question de l’hébergement. Il y a des exemples de territoires, au sens de collectivités, voire d’états fédérés, qui résistent. C’est un angle mort dans notre approche dans le livre, mais il serait très intéressant d’explorer ces exemples. Il y a bien une inégalité, car les compétences ne sont pas les mêmes, l’État a la souveraineté sur des domaines comme la politique migratoire où les collectivités n’ont pas de marge. Mais symboliquement, des formes de « non » existent.
Laurent Thiong-Kay – C’est très pertinent. Sur l’A69, il y a un certain nombre d’élus locaux contre. Leur force est débattue, ils semblent parfois associés mais disqualifiés. Une tactique est d’aller chercher l’Europe pour faire pression sur l’État.
Louis Poidevin – De mon expérience, les maires ont une compréhension du fonctionnement administratif de la France et savent que leur marge de manœuvre est limitée sur le plan institutionnel. Ils s’opposent souvent en ayant cela en tête, se concentrant sur la manière dont le projet sera réalisé, pas toujours sur son existence. Cependant, il y a des cas où l’opposition d’une collectivité peut mener à la mise en pause ou à l’arrêt d’un projet, comme dans le cas de la ligne nouvelle Paris-Normandie : le conseil régional d’Île-de-France, pourtant financeur du projet, a voté une motion s’opposant au projet en l’état. L’opposition des collectivités peut se manifester de différentes manières.
Une autre question porte sur les grands projets comme Lyon-Turin : est-ce que les liens interpersonnels fonctionnent quand on veut annuler un projet, et existe-t-il des outils/niveaux de gouvernance pour remettre en question ces grands projets ?
Louis Poidevin – Je ne connais pas de martingale (solution miracle) pour arrêter les grands projets. L’exemple de la centrale de Plogoff, projet abandonné après une forte opposition, est souvent cité, mais le choix d’une opposition « musclée » ne marche pas à tous les coups. Parfois, un drame comme la mort de Rémi Fraisse est nécessaire. C’est souvent une conjonction de facteurs et une décision politique qui font basculer un projet. Le Lyon-Turin, pour reprendre l’exemple que vous citez, rencontre de l’opposition mais aussi un soutien transpartisan très large et relativement constant qui explique sa continuité.
Que se passe-t-il lorsque, malgré les mobilisations, le projet ou l’infrastructure est quand même réalisé ? Y a-t-il des répercussions politiques ou sociales dans ces territoires ?
Cyril Bousquet – Le cas des Jardins de l’Engrenage à Dijon est pertinent. La lutte a été perdue, la ZAD évacuée, le site détruit pour un écoquartier. Mais la communauté créée a perduré, ils ont sorti un livre sur leur expérience4. D’anciens membres sont maintenant actifs dans d’autres mobilisations et ont poursuivi des actions en justice victorieuses. Les amitiés créées dans ces luttes portent leurs fruits ailleurs.
Laurent Thiong-Kay – Il y a l’anecdote du barrage de Fourogue, déclaré illégal après sa construction mais qui est resté en place. Cela montre que, même après réalisation, le débat juridique peut continuer.
Baptiste Colin – Pour les squats, l’expulsion et la destruction des locaux occupés rendent les mouvements invisibles localement. Mais cela mène souvent à un renouvellement ailleurs. De telles procédures administratives et mutations territoriales peuvent aussi engendrer des actions punitives violentes en réaction.
Il y a aussi une exposition en bas sur les « territoires qui disent oui » à des solutions alternatives. Sont-ce les mêmes processus d’opposition et de proposition ? Est-ce que les mouvements qui disent « non » s’associent pour dire « oui » ?
Baptiste Colin – L’idée de s’opposer implique souvent de proposer de faire différemment. Historiquement, les mouvements squatteurs, en luttant contre la destruction, ont souvent proposé la réhabilitation, la rénovation autogérée et la sobriété. Les formes d’association pour dire « oui » existent, par exemple pour créer des espaces collectifs. C’est un continuum où la lutte contre quelque chose pousse à imaginer et construire des alternatives. L’exemple de l’Îlot à Villeurbanne montre une tentative de régularisation basée sur une alternative proposée par les habitants, qui a duré un temps avec négociation mais a finalement échoué.
Les « territoires qui disent non » peuvent-ils réellement changer l’action publique locale ou sont-ils condamnés à agir à la marge ?
Christian Paul – Cette question est au cœur de nos réflexions. Nous nous interrogeons si les procédures de concertation actuelles, comme les enquêtes publiques, répondent aux besoins face aux aménagements et à l’état de notre démocratie. Mon expérience tend à dire non. Les mobilisations arrivent souvent quand l’enquête publique est close, prouvant qu’elle n’a pas détecté ou informé correctement. Il y a aussi la question du statut des expertises : l’expertise d’État contre les expertises citoyennes. Peut-on dépasser cette opposition ? Y a-t-il de l’expertise indépendante ? Les conventions citoyennes pourraient être une piste.
Laurent Thiong-Kay – Sur la concertation, il y a une question de temporalité. Pour les grands projets, il serait bon de faire la concertation sur l’opportunité même du projet, pas seulement sur les détails techniques, et ce, bien en amont. Il y a un fossé entre les élus et les électeurs/habitants. Les élus, légitimes par le vote, se perçoivent parfois moins comme des animateurs que comme des administrateurs du territoire. Il faudrait que la concertation devienne un grand moment d’animation où les impacts et opportunités sont discutés, et où les élus se confrontent à l’altérité. Cela demande de réapprendre à débattre.
Louis Poidevin – Les formes institutionnelles de concertation comme les réunions publiques sont peut-être datées, souvent dominées par quelques personnes expertes, et elles sont parfois peu satisfaisantes. D’autres formats comme les visites de site peuvent libérer la parole. L’inclusivité est un autre défi majeur. Le rôle des élus locaux est hyper important dans la mobilisation des territoires ; un maire peut grandement influencer la participation à une réunion publique en mobilisant ses réseaux locaux. Quand les élus jouent leur rôle d’animateur, la concertation fonctionne mieux.
En conclusion, Frédéric Gilli, dans l’ouvrage, distingue deux écueils démocratiques : la « démocratie d’élevage » trop encadrée, et la « démocratie sauvage » conflictuelle. Il appelle à une « démocratie de partage »…
Christian Paul – En effet, Frédéric Gilli propose cette « démocratie de partage » où citoyens, élus et experts construiraient le débat ensemble, sur des bases transparentes. L’objectif n’est pas forcément la réconciliation, mais une confrontation enrichissante des points de vue, basée sur l’information partagée et la reconnaissance mutuelle des légitimités. Les mobilisations des « territoires qui disent non » nous invitent précisément à explorer ces nouvelles formes du politique, qui réinventent l’action collective et élargissent les frontières du politique. Elles constituent une opportunité d’enrichir nos démocraties en ouvrant des espaces de dialogue pour une action publique plus ouverte. L’ouvrage espère y apporter sa modeste contribution.
Renaud Payre – C’est aussi pour nous l’intérêt de continuer à objectiver ce qui constitue des freins et d’essayer, modestement, d’imaginer des solutions. Ces conflits vont continuer à apparaître si on reste sur une configuration descendante de l’aménagement, sans écouter et comprendre les spécificités territoriales et sociales.
- Nessi J., « La Public Factory entend bousculer les codes de l’innovation publique », Horizons publics nov.-déc. 2023, no 36, p. 14-15.
- Eacop (East African Crude Oil Pipeline) est un projet de construction d’un oléoduc chauffé de 1 400 km qui doit permettre de transporter le brut extrait dans la région du lac Albert, en Ouganda, jusqu’au port de Tanga, en Tanzanie, pour être exporté. Un projet mené par TotalEnergies.
- Activiste pour la justice sociale et climatique et coordinateur de la campagne STOPEACOP.
- Gaheu C. et Guy Barozai G., Graines d’Engrenages, 2023, Les Éditions Mutine.