Comment les Hauts-de-France se préparent à 2040

La rupture climatique
Deux scénarios de rupture (rupture sanitaire et rupture climatique) ont été élaborés à l’issue du travail prospectif sur l'avenir des centres-villes à l'horizon 2040, en lien fort avec l’actualité au moment de leur réalisation. Le scénario de la rupture climatique montre l'adaptation des centres-villes au fort réchauffement climatique en 2040.
©Agence Hauts-de-France 2020-2040
Le 15 juin 2022

L’Agence Hauts-de-France 2020-2040, lancée à l’initiative de la région des Hauts-de-France, mène un travail de fond pour imaginer le territoire à l’horizon 2040. L’avenir de l’industrie régionale et des centres-villes ont été les deux premiers chantiers prospectifs de cette agence qui s’inspire des missions de l’ex-délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) pour les appliquer au niveau régional et qui met la participation des acteurs locaux et des habitants au centre de sa démarche. La question de l’attractivité du littoral fait l’objet d’un nouvel exercice prospectif en 2022. Retour sur la spécificité de cette agence, sa démarche et ses premiers chantiers prospectifs.

« Pourquoi un enfant qui naît aujourd’hui dans la région voudrait-il rester y vivre dans vingt ans ? Pourquoi un jeune, d’une autre région, pourrait-il se projeter dans les Hauts-de-France ? Comment rendre notre territoire plus attractif à l’horizon 2040 ? Pour construire l’avenir de nos territoires, la région crée une nouvelle agence de prospective et d’innovation : l’Agence Hauts-de-France 2020-2040. Cette démarche invite citoyens et experts à travailler ensemble sur tous les aspects de la vie quotidienne : emploi, économie, mobilité, aménagement du territoire, environnement, culture, etc. » Voilà ce qu’on pouvait lire au sein du texte introductif dans l’invitation adressée à la presse pour assister au lancement officiel de cette nouvelle agence, initialement prévu le 5 mars 2020 à la serre numérique de Valenciennes, et qui n’a finalement pas pu avoir lieu en raison du choc de la première vague de la crise sanitaire qui s’abattait alors sur la France : « Il faut repenser l’aménagement du territoire en réseaux », estimait à l’époque Martin Vanier, le géographe et professeur à l’École d’urbanisme de Paris, qui devait tenir une conférence-débat autour du thème « Territoires et transitions : nouveaux enjeux, nouvelles pratiques d’aménagement » lors de l’inauguration officielle1. C’est précisément ce rôle de mise en réseaux qu’entend jouer cette agence, qui compte aujourd’hui une équipe de 60 personnes, et qui malgré le contexte sanitaire et un territoire déjà en souffrance avant le covid-19, marqué par les effets de la crise de 2008 et de la désindustrialisation, entend mettre tous les atouts de son côté pour aborder différemment l’horizon 2040.

« La crise sanitaire nous a bousculés, comme beaucoup d’autres organisations. Nous avons dû adapter notre mode de fonctionnement et notre méthode d’élaboration pour mener à bien nos deux premiers chantiers prospectifs », explique Pierre-Jean Lorens, son directeur adjoint, qui interviendra le 22 juin 2022 au Xe Printemps de la prospective organisé par la Société française de prospective (SFP) sur le thème « Territorialiser la prospective, nouvelles dynamiques ».

Un chantier dédié à l’avenir de l’industrie régionale

Lancé en décembre 2019, le premier chantier de l’Agence Hauts-de-France 2020-2040 a porté sur l’avenir de l’industrie régionale, qui représente aujourd’hui encore un emploi sur cinq dans la région. Malgré des signes de reprise en 2017 après une longue phase de déclin (métallurgie, caoutchouc, plasturgie, matériels de transport, textile, bois, etc.), elle a été de nouveau bousculée par la crise sanitaire liée au covid-19. Une pandémie qui a révélé aussi l’importance de conserver des actifs physiques industriels sur le sol français et régional :

« Notre industrie régionale est à un tournant de son évolution. Nous avons souhaité avec ce premier travail d’ampleur mené pendant deux ans comprendre les mutations en cours, identifier les forces et les faiblesses de ce secteur et surtout imaginer les trajectoires d’évolutions possibles en impliquant tous les acteurs du territoire : les entreprises, les habitants, les élus, etc. », explique le directeur adjoint de l’agence.

Il en ressort un rapport de près de 250 pages publié en décembre 2021, qui apporte un éclairage complet sur la question destiné aux décideurs publics. Vingt-neuf facteurs principaux de changement ont été identifiés comme ayant une influence directe ou indirecte sur l’industrie, lors d’une première phase d’ateliers participatifs (un seul atelier aura pu se tenir en présentiel à Dunkerque, les autres à distance en raison de la crise sanitaire). Ces réflexions ont permis de mettre en évidence les principaux défis auxquels seront confrontés demain les industriels et les territoires.

C’est à la fois un outil d’aide à la décision et une grille de lecture utile pour les décideurs régionaux, dans un contexte marqué par des changements rapides et des incertitudes radicales. Citons chacune des hypothèses tendancielles qui ressortent : une reprise rapide de l’activité industrielle qui peut faire naître de nouvelles tensions sur les ressources mondiales ; un changement de modèle complet qui permet de concilier demande des clients et préservation de l’environnement ; une intégration progressive des enjeux environnementaux dans les modèles économiques ; une stratégie ambitieuse qui s’appuie sur un projet global partagé ; la maîtrise de la chaîne de valeur numérique pour de nouvelles créations de valeur et le retour en grâce de l’industrie.

Quels centres-villes à l’horizon 2040 ?

C’est le deuxième chantier prospectif de l’agence qui a engagé dès 2019 une réflexion prospective sur l’avenir des centres-villes pour les vingt prochaines années : « Les centres-villes français sont soumis depuis plusieurs années à une triple mutation : transformation de l’offre commerciale (e-commerce, évolution des attentes des consommateurs, développement du low cost, etc.), évolution de la notion de chef-lieu (rationalisation des cartes administratives, judiciaires ou hospitalières, etc.) et périurbanisation croissante de l’habitat et des commerces, mais aussi des services administratifs, des équipements sportifs ou culturels, des lieux de santé, etc. Ces mutations entraînent une dilution de la centralité qui fragilise les centres-villes, leur dynamique commerciale et leur attractivité résidentielle. Cette vulnérabilité est particulièrement élevée dans les centres-villes et centres-bourgs de la région Hauts-de-France, où elle se traduit par une vacance commerciale et résidentielle forte », peut-on lire dans la synthèse du chantier, diffusée le 3 mai 2022. Procédant de la même démarche que celle adoptée sur le chantier prospectif de l’avenir de l’industrie, vingt-deux facteurs de changements ont été identifiés lors des ateliers collectifs impliquant les parties prenantes.

L’identification des facteurs de changement

Afin d’identifier les facteurs de changement à l’œuvre dans les centres-villes, deux ateliers ont été organisés début 2020. Ce travail collégial a abouti à l’identification de 22 variables clés, porteuses d’évolutions majeures pour les centres-villes régionaux. Ensemble, ces variables forment un système, fait d’influences plus ou moins réciproques, sur lequel des explorations de trajectoires tendancielles ou de ruptures ont été édifiées.

Un collège de prospective pour assurer une démarche collaborative

L’Agence Hauts-de-France 2020-2040 a mis en place un collège de prospective pour mettre en place ces deux premiers chantiers prospectifs sur l’avenir de l’industrie régionale et des centres-villes. Il offre un cadre d’échanges, de production et de créativité autour des enjeux du futur. Articulés autour de quatre piliers, les chantiers confiés au collège de prospective visent à :

  • produire de la connaissance, systémique et pluridisciplinaire, qui irriguera les réflexions régionales ;
  • offrir un espace d’expression au profit de l’intelligence collective, facilitant la capacité des acteurs à se repérer mutuellement, à dialoguer, à faire émerger des idées, à conduire ensemble des actions. Les acteurs territoriaux (collectivités territoriales, services de l’État, acteurs économiques, organisations professionnelles, consulaires, universités, etc.) sont mobilisés au sein du collège pour faire valoir leurs expériences, expérimenter et ainsi contribuer à l’attractivité régionale ;
  • capitaliser et connecter l’information recueillie, à identifier des problématiques émergentes et/ou innovantes ;
  • diffuser, valoriser et partager la connaissance, en structurant des réseaux d’acteurs, en communiquant via différents médias de diffusion (publications, webinaires, sessions de formation, ateliers prospectifs, etc.).

Ce collège est piloté par Karen Maloingne, responsable adjointe du service observation et prospective de l’agence, lui-même dirigé par Stéphane Humbert.

Ces facteurs de changement ont permis de dégager les cinq grands défis qui attendent les centres-villes à l’horizon 2040, selon les auteurs :

  • attirer les résidents (adapter les centres-villes au vieillissement de la population, renforcer l’attractivité des logements, prendre en considération les aspirations des habitants en matière de qualité de vie, répondre aux besoins de nature et de végétalisation) ;
  • capter les flux (diversifier les usages des centres-villes, favoriser la mixité commerciale et l’implantation des générateurs de flux, encourager les développements des tiers-lieux, développer l’attractivité touristique, faire de la vie nocturne un facteur d’attractivité) ;
  • gérer les déplacements (favoriser le développement des mobilités actives, apaiser l’espace public et organiser la cohabitation et la mixité des modes de déplacement, limiter les nuisances engendrées par la logistique urbaine) ;
  • impliquer les usagers (adapter les centres-villes à l’individualisation des temps de vie, impliquer les habitants dans l’aménagement de leur territoire, accompagner les initiatives citoyennes) ;
  • anticiper le changement climatique (anticiper l’adaptation des centres-villes aux principaux risques, participer aux mesures d’atténuation du changement climatique et accompagner la transition).

Deux scénarios de rupture (rupture sanitaire et rupture climatique) ont été élaborés à l’issue de ce travail, en lien fort avec l’actualité au moment de leur réalisation. Ces scénarios « évoquent plutôt la réactivité et les marges de manœuvre disponibles pour adapter les centres-villes et maintenir ces espaces patrimoniaux essentiels à nos modes de vie et à nos territoires. Pour cette raison, il ne s’agit pas de scénarios “inacceptables”, mais plutôt de scénarios de la “résilience”, qui dessinent des centres-villes ayant certes subi de fortes transformations, mais toujours présents, toujours centraux, précise le document de synthèse. « Cette démarche prospective sur les centres-villes se poursuit en 2022 dans le cadre du dispositif régional Les résidences qui vient en appui à certaines communes lauréates de l’appel à projets régional Redynamisation des centres-villes et centres-bourgs. Comme c’est le cas dans les communes d’Audruicq de Péronne et de Tergnier », explique Pierre-Jean Lorens. En février 2022, l’Agence a lancé un nouveau chantier de réflexion prospective sur l’attractivité du littoral des Hauts-de-France à l’horizon 2040, en lien avec le parlement de la mer.

Une agence qui s’inspire des missions de l’ex-DATAR

L’Agence Hauts-de-France 2020-2040 est une direction de la région Hauts-de-France, au sein du pôle Équilibre des territoires. Elle a plusieurs objectifs : assurer la coordination des différentes politiques régionales qui concourent à un aménagement et à un développement équilibré des territoires, proposer et piloter des expérimentations pour améliorer la lisibilité de la stratégie et de l’action régionale en matière d’aménagement du territoire, auprès des acteurs et des habitants ; organiser la réflexion prospective sur les grands enjeux régionaux, dans un cadre partenarial associant des experts et ouvert au grand public à l’occasion de consultations et d’événements. Dans le cadre de ses missions, elle développe de nouveaux outils à disposition des territoires et des partenaires, en particulier : le collège de prospective, les ateliers régionaux des acteurs de l’aménagement et la plateforme Géo2France. Elle est à la fois un centre d’intelligence territoriale, et un outil de réflexion et d’action au service de l’avenir des Hauts-de-France. Dirigée par Sébastien Alavoine, l’Agence Hauts-de-France 2020-2040 s’inspire au niveau régional des missions de l’ex-DATAR. L’équipe est composée de soixante collaborateurs et collaboratrices.

Pour aller plus loin

https://2040.hautsdefrance.fr/observation-et-prospective/

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