Comment préparer les populations au risque inondation ?

Escape Game Episeine
Episeine a recours à la gamification pour sensibiliser les Franciliens aux crues de la Seine et de la Marne en Ile-de-France. Un Escape Game « Mission 2072 » reposant sur différents scénarios prospectifs est proposé aux acteurs du territoire.
©Episeine
Le 13 mars 2020

La région Île-de-France est le territoire français le plus exposé au risque inondation, avec 850 000 personnes habitant directement en zone inondable (Seine et Marne) et cinq millions de Franciliens impactés indirectement. Avec la forte urbanisation, l’interdépendance des territoires et des réseaux et la vulnérabilité des réseaux enterrés, ce risque majeur s’est fortement accru et a de fortes chances de se produire à tout moment. Pour s’y préparer, l’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs, en collaboration avec les services de l’État, l’Europe et la région Île-de-France, a lancé un service public gratuit d’un nouveau genre, baptisé EPISEINE (pour Ensemble pour la prévention des inondations sur le bassin de la Seine). Ce dispositif d’information et de prévention a recours à la gamification, à la prospective et au numérique pour sensibiliser et préparer les habitants, les entreprises et les collectivités locales à la prochaine crue majeure.

Serez-vous prêt pour la prochaine inondation ? Quelles sont les caractéristiques des crues de la Seine ? Quels sont les moyens mis en place pour protéger l’Île-de-France ? Comment préparer le volet inondation du plan communal de sauvegarde ? Comment réduire les impacts d’une inondation en gestion de crise ? Mon entreprise est-elle menacée par une crue ? Combien de temps l’eau peut-elle rester dans mon bâtiment, mon appartement ou ma maison ? Mon activité est-elle correctement assurée pour faire face à une inondation ?

Quatre lacs-réservoirs sont implantés en amont de l’Île-de-France permettant d’atténuer les crues en période hivernale et de soutenir le débit des rivières en été et à l’automne.
Ils sont gérés par l’EPTB Seine Grands Lacs.

Autant de questions que l’on retrouve dans le dispositif EPISEINE. Après un an d’expérimentation, ce dispositif a été déployé en 2019 sous différentes formes : une plateforme numérique (episeine.fr), des ressources pédagogiques et des formations gratuites, des comptes sociaux dédiés (Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram). Et plus récemment un escape game « Mission 2072 » reposant sur différents scénarios prospectifs. « 2072, l’Île-de-France s’apprête à subir deux crues sans précédent… Vous avez le pouvoir de changer le cours de l’histoire… » Les joueurs, une unité d’experts sélectionnés par la fondation EPISEINE, ont une mission : préparer les populations aux crues centennales de 2072 et millénale de 2075 et ainsi éviter un exode des Franciliens. En équipe de quatre ou cinq, l’objectif est de résoudre huit énigmes en un temps limité !

Des balades urbaines sur les bords de la Seine et la Marne permettent de prendre conscience sur le terrain des enjeux des inondations et du risque majeur qui pèse sur les habitants en zone inondable. Unique en France, ce dispositif a pour objectif « d’inciter les populations à se préparer psychologiquement à la survenue de la prochaine crue majeure et au bouleversement qu’elle pourrait entraîner pour le quotidien de tous les Franciliens », comme l’explique Marion Cauvin.

Marion Cauvin : « Nous savons que la prochaine crue majeure se produira à nouveau »

Marion Cauvin est chargée de prévention des inondations en Île-de-France à l’EPTB Seine Grands Lacs.

Pourquoi avoir lancé un tel dispositif de sensibilisation et d’information, y’a-t-il un risque réel d’inondations en Île-de-France ?

Le risque d’inondation est le premier risque majeur d’origine naturelle en Île-de-France. Les crues sont des événements inéluctables, seule la date à laquelle elles se produisent, et leur importance est inconnue. On pense souvent que les avancées technologiques des xxe et xxie siècles ont permis aux hommes de supprimer tout risque, surtout dans un territoire aussi stratégique politiquement et économiquement que celui de Paris et sa région. Pourtant, malgré la réalisation de travaux permettant de limiter la montée des eaux (construction de digues et murettes anti-crue, de lacs-réservoirs, etc.), le risque inondation a été atténué mais pèse toujours. La vulnérabilité de notre territoire s’est même largement accrue depuis l’après Seconde Guerre mondiale en raison de la forte urbanisation dans les zones inondables, de la vulnérabilité des réseaux enterrés qui seront impactés par les remontées de la nappe alluviale de la Seine et de la Marne (électricité, transports en commun, eau, assainissement, Internet, etc.) et de l’interdépendance des territoires et des réseaux (si le réseau électrique ne fonctionne plus par exemple, les autres réseaux tomberont à leur tour progressivement). Aujourd’hui, en cas de crue dont la hauteur serait identique à 1910 (8,60 m), on estime que plus de 850 000 Franciliens auraient les pieds dans l’eau et que plus de cinq millions de personnes (soit près de la moitié des habitants) seraient affectées par des coupures d’électricité, d’eau potable, la perturbation des transports en commun, etc., et ce, pendant plusieurs semaines, mois, voire années, impactant ainsi non seulement la région mais aussi le fonctionnement du pays tout entier.

Cette menace est pourtant largement sous-évaluée par les Franciliens : selon un sondage IPSOS commandé par l’EPTB Seine Grands Lacs et réalisé en 2017, plus de huit personnes sur dix estiment que la durée des conséquences d’une grande crue serait de moins d’un mois, alors même que celles-ci s’étaleront sur plusieurs mois et sans doute années pour certains réseaux. Du côté des comportements à adopter face à une crue de la Seine, là encore un long chemin reste à parcourir : 65 % des sondés pensent que la première chose à faire est de se mettre à l’abri en hauteur, comme pour les crues rapides qui surviennent dans le sud de la France. Pourtant, les crues de la Seine et de la Marne sont majoritairement lentes, ce qui contraindra de nombreux Franciliens à devoir évacuer leur logement. D’où la nécessité de créer un dispositif d’information et de sensibilisation pour lutter contre les nombreuses idées reçues et former aux bons comportements avant, pendant et après les inondations.

Quels rôles peuvent jouer les habitants en cas d’inondations ?

L’existence des ouvrages de protection n’étant pas suffisante pour empêcher toutes les inondations de se produire, il est essentiel en complément, de travailler à la préparation du territoire et de ses habitants pour limiter les conséquences négatives des prochaines inondations. En cas de crue majeure, les services de secours ne pourront pas intervenir partout en même temps. Les habitants auront donc un rôle à joueur pour limiter les dégâts humains et matériels pour eux et leur entourage (famille, amis, voisins, etc.). Voici quelques exemples concrets de bons comportements à adopter en cas d’inondation :

  • l’entraide et la solidarité entre voisins : je rends visite à mes voisins, surtout aux personnes vulnérables et isolées que je connais, pour voir si je peux leur apporter mon aide (les prévenir de la situation en cours, les aider à faire leur valise avant d’évacuer, à contacter leurs proches, ou à déplacer les objets qui se trouvent dans leur cave, etc.) ;
  • éviter de s’engager à pied ou en voiture dans des zones déjà inondées, ce qui peut s’avérer très dangereux ;
  • surélever ou déplacer dans les étages les objets sensibles, précieux ou polluants stockés dans les sous-sols, les caves ou en rez-de-chaussée ;
  • faire sa valise avant d’évacuer et emporter avec soi ses papiers d’identité, ses médicaments et ordonnances médicales, ses attestations d’assurance, ses valeurs, ses objets sentimentaux, etc.

Les habitants ont également la capacité de faciliter (ou non) la gestion de la crise mise en œuvre par les autorités qui sera extrêmement complexe au regard du nombre de Franciliens touché (près de cinq millions dont 850 000 situés en zone inondable) et des moyens humains et matériels forcément limités. Par exemple, respecter les consignes données par les autorités est essentiel, notamment en termes d’évacuation préventive du logement. Certains habitants refusent d’abord d’évacuer et attendent d’avoir les pieds dans l’eau pour le faire, cela rend plus difficile et ralenti l’accès des secours et augmente les risques d’accident au cours de l’évacuation. Autre exemple : privilégier une solution alternative d’hébergement chez des amis ou de la famille plutôt que de se réfugier dans les centres d’hébergement d’urgence mis en place par les autorités. En effet, ces centres auront une capacité d’accueil limitée et seront en priorité mobilisés pour les personnes vulnérables ou isolées.

La gamification et la prospective sont au cœur votre dispositif de sensibilisation et d’information avec notamment un escape game « Mission 2072 ». Quels sont les différents scénarios possibles d’inondations et quel est le plus probable ?

La survenue des crues est une question de hasard, que l’on essaie de quantifier à l’aide des probabilités. Le terme de crue centennale (comme la fameuse crue de la Seine de janvier-mars 1910) signifie qu’elle a une chance sur cent de se produire chaque année. De même, une crue cinquantennale est une crue qui a une chance sur cinquante de se produire chaque année. La précision de ces calculs dépend beaucoup du nombre d’années de hauteurs d’eau journalières dont on dispose, (environ cent cinquante ans pour celle du bassin de la Seine, ce qui est suffisant pour approcher la réalité). Statistiquement donc, nous avons plus de chance d’avoir des crues décennales ou cinquantennales chaque année qu’une crue centennale. Pour autant, sous le règne de Louis XIV, il y a eu trois crues centennales sur une période rapprochée de dix ans (1649, 1651, 1658), et aucune ne s’est produite pendant tout le xixe siècle. Finalement, nous ne savons pas quand aura lieu la prochaine crue majeure mais nous savons qu’elle se produira à nouveau. Les crues font partie du fonctionnement naturel des cours d’eau et sont la conséquence de précipitations intenses et prolongées sur le bassin. Elles ont toujours existé et existeront toujours. La topographie du bassin de la Seine (peu de relief) et la longueur du fleuve (la Seine mesure plus de 770 kilomètres) font que celle-ci présente une cinétique lente : l’eau monte et redescend très lentement (en 1910, l’eau est ainsi restée deux mois sur le territoire !). Nous saurons donc l’importance de la crue un à deux jours à l’avance (en fonction des précipitations annoncées par Météo France, du niveau d’eau dans les cours d’eau, du niveau de saturation des sols et de la capacité de stockage restante des quatre lacs-réservoirs) et si nous aurons à faire face à une nouvelle crue majeure ! Dans tous les cas, nous pensons qu’il est toujours plus facile d’apprendre en s’amusant. La thématique des risques d’inondations pouvant être particulièrement anxiogène, nous avons effectivement pris le parti de « gamifier » nos ressources pédagogiques. Nous proposons ainsi un escape game, des jeux en ligne (« À votre sac, prêt ? Partez ! ») qui ont tous le même objectif : inciter les populations à se préparer psychologiquement à la survenue de la prochaine crue majeure et au bouleversement qu’elle pourrait entraîner pour le quotidien de tous les Franciliens.

Pour aller plus loin

 

×

A lire aussi