Revue
DossierCrise de l’attractivité : les dirigeants territoriaux en quête de solutions
Plus de 1 600 dirigeants territoriaux ont participé à l'édition 2023 des Entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS) pour réfléchir, échanger et partager les bonnes pratiques autour du casse-tête de l’attractivité dans les collectivités. Au-delà d’un constat partagé, l’enjeu est maintenant de passer à l’action et de mettre en place des solutions rapidement dans un contexte de marché du travail bouleversé et de métiers en forte tension.
Les nombreux directeurs généraux des services (DGS), adjoint (DGA) et des ressources humaines (DRH), les élus locaux et les cadres territoriaux et responsables d’associations professionnelles qui se retrouvent chaque année, en décembre, dans la capitale alsacienne, ont dressé le constat des difficultés de recrutement et tenté de redonner du souffle à l’attractivité des métiers dans la fonction publique territoriale. En effet, – comme au sein du secteur privé – le secteur public n’échappe pas à la crise du recrutement et de l’attractivité. Confrontés aux pénuries de main-d’œuvre et à la crise des vocations, les employeurs, publics comme privés, doivent repenser l’organisation du travail. Un vrai casse-tête dans un marché du travail transformé depuis la crise sanitaire du covid-19, qui voit arriver une nouvelle génération avec un autre rapport au travail et au management.
« La question de l’attractivité est multifactorielle. Nombreux sont les facteurs sur lesquels nous pouvons agir », a prévenu Belkacem Mehaddi, directeur de l’Institut national des études territoriales (INET) et DGA du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), lors de la plénière d’ouverture.
« Pour reprendre Abraham Maslow, que vous êtes nombreux à connaître pour sa pyramide des besoins : “J’imagine qu’il est tentant, si le seul outil dont vous disposez était un marteau, de tout considérer comme un clou.” Fouillons donc notre caisse à outils et nous y trouverons d’autres instruments que celui de la rémunération, qui, pour être un vrai sujet, n’est pas celui sur lequel nous pouvons, nous, dirigeants territoriaux, agir rapidement, directement et collectivement », a-t-il précisé.
Au-delà de la rémunération, « un vrai problème dans la fonction publique territoriale », François Deluga, l'ancien président du CNFPT, a aussi rappelé que « le statut fait partie de l’attractivité de la fonction publique. La création du statut a consacré le rôle et la place particulière des agents dans la société. Des devoirs, des exigences, mais aussi des droits protecteurs liés à la nature même de la fonction. Une garantie de continuité et de stabilité des services publics ». Un statut qui a déjà quarante ans1.
Ces ETS ont en tout cas permis d’explorer les nombreuses pistes pour mieux faire connaître la diversité des 240 métiers de la territoriale et améliorer leur attractivité : qualité de vie au travail (QVT), modernisation du recrutement (gamification), évolution des compétences managériales, déclinaison de la stratégie de marque par les employeurs territoriaux, campagne sur les réseaux sociaux, amélioration de la parité des équipes de direction générale, logements réservés aux agents publics à proximité de leur lieu de travail, usage des données et de l’intelligence artificielle (IA) pour décharger les agents des tâches répétitives et améliorer les conditions de travail, renforcement de l’action sociale, etc. Jamais ces ETS n’ont autant apporté de solutions concrètes pour tenter de faire bouger les lignes et réenchanter des métiers en souffrance et en tension dans la territoriale.
Des métiers en tension et en souffrance
Pour nourrir les différentes plénières et tables rondes, la direction études et prospective du CNFPT a révélé le premier jour des ETS une étude sur les métiers territoriaux en tension2.
L’étude observe que 64 % des collectivités interrogées ont identifié au moins un champ professionnel en tension. Le champ des services techniques et environnementaux (41 %) et le champ de la citoyenneté, de l’éducation, de la culture et du sport (36 %) sont les secteurs en tension les plus cités. Suivent le champ de l’organisation et de la gestion des ressources (15 %), celui du social et de la santé publique (14 %) et, enfin, celui de la sécurité (8 %).
Cette étude3 recense aussi les principaux métiers en tension dans les collectivités territoriales : les animateurs éducatifs d’accompagnement périscolaire, les agents des interventions techniques polyvalents en milieu rural, les secrétaires de mairie, les policiers municipaux, les ouvriers de maintenance des bâtiments ou les animateurs enfance-jeunesse.
Au-delà des métiers eux-mêmes, l’étude montre que 44 % des collectivités constatent chez les candidats des compétences difficiles à trouver. La limitation des ressources financières constitue le principal facteur identifié par les collectivités comme pouvant influer sur les métiers et les compétences à l’avenir. 37 % des collectivités interrogées constatent des compétences émergentes. Parmi elles, 60 % indiquent des compétences en tension dans les secteurs suivants : gestion informatique, administrative et budgétaire, conduite de projet et gestion des ressources humaines (GRH). Elles soulignent également l’importance des savoir-être dans les postes à pourvoir. Pour les collectivités qui ont répondu à cette enquête, le niveau de rémunération, l’équilibre vies professionnelle et privée, et les conditions de travail sont les trois principaux facteurs d’attractivité auxquels sont sensibles les candidates et candidats. D’ores et déjà, 48 % des collectivités estiment que la problématique des métiers et des compétences en tension impacte la qualité de leurs services publics.
Sens du collectif et capacité d’agir des agents
Pour Olivier Veber, DGS de la Seine-Saint-Denis, la crise de l’attractivité s’inscrit dans une problématique plus large que d’attirer des candidats : « En Seine-Saint-Denis, nous avons publié 1 700 offres de recrutement en 2023, nous avons eu 30 000 candidats. Les collectivités territoriales attirent toujours, mais la question est d’avoir les bonnes compétences au bon endroit. » Une autre problématique pour assurer la qualité des services publics est la fidélisation. Comment attire-t-on ? Comment retient-on ? Que faire avec le déficit de vocation pour un certain nombre de métiers ? Comment gérer le vieillissement de la population ?
Pour les collectivités qui ont répondu à cette enquête, le niveau de rémunération, l’équilibre vies professionnelle et privée, et les conditions de travail sont les trois principaux facteurs d’attractivité auxquels sont sensibles les candidates et candidats.
Pour Delphine Rouxel, DGS de la ville de Paimpol, la question du logement est prioritaire pour attirer les futurs candidats : « Nous avons plus de 1 000 familles qui cherchent à se loger sur notre territoire, la problématique des logements en résidence principale face aux résidences secondaires se pose aujourd’hui avec acuité. »
Pour Laurence Quinaut, DGS à la métropole et à la ville de Rennes, la performance du service public est avant tout la performance de la vie des équipes et d’un bon fonctionnement collectif : « À mon avis, les projets managériaux qui fonctionnent sont ceux qui misent sur la capacité des gens à s’entendre entre eux, la capacité de la hiérarchie à entendre ce que disent les agents, et pas sur la focalisation sur l’individu, surtout dans une grosse organisation. Plutôt que de recruter des gens aptes au bonheur, ce sont plutôt des gens aptes au collectif et au travail en coopération qu’il faut. »
Les politiques de QVT et de bonheur au travail, en vogue aujourd’hui, se focalisent trop sur l’individu. Elles participent à la mise en concurrence de soi-même avec chacun, cela ne va pas dans le sens du collectif.
Sociologue du travail au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Danièle Linhart est sur la même longueur d’onde. Les politiques de QVT et de bonheur au travail, en vogue aujourd’hui, se focalisent trop sur l’individu. Elles participent à la mise en concurrence de soi-même avec chacun, cela ne va pas dans le sens du collectif. Or, les collectifs sont fondamentaux, car il y a de la coopération, de l’entraide, etc. Il est nécessaire de créer du collectif, de ne pas être dans l’hyper-individualisation : « Ce que l’on voit dans le privé et qui se déverse aujourd’hui dans le public, c’est une atomisation du personnel, la fin des collectifs et la promotion de la personne et des talents. Tout ça vient se fracasser contre une organisation du travail qui reste taylorienne, fondamentalement prescrite, avec des process, protocoles, des méthodologies, des codifications, des reportings et des bonnes pratiques, concoctés par des experts de cabinets internationaux qui ne connaissent pas la réalité du travail. »
Diversifier le recrutement, éviter la mise en concurrence
Comparant la quête de l’attractivité dans la fonction publique territoriale à « un marathon », Karine Garcin-Escobar, DGA de la ville de Marseille et co-présidente de l’association des administrateurs territoriaux de France (AATF), a insisté sur la nécessaire diversification du recrutement : « Ce que j’ai retenu de ces ETS, c’est la déclinaison de l’aller-vers les jeunes, les femmes et les quartiers populaires où il y a encore trop d’autocensure et vers les personnes qui ne se projettent pas dans la fonction publique. C’est l’affaire de tous et l’affaire de chaque territoire. » Autre défi de taille dans cette recherche d’attractivité, éviter la mise en concurrence entre collectivités territoriales. Pour Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France et président de l’agglomération Foix-Varilhes, l’attractivité pose problème, car elle implique une mise en concurrence entre les territoires pour s’en sortir.
La gestion des trajectoires et des carrières est autre levier à améliorer pour rendre les métiers territoriaux plus attractifs.
« La coopération, les mises en synergie et l’importance de travailler dans la même direction, surtout dans le contexte de crise, doivent être favorisé », précise Hélène Guillet, directrice générale du centre de gestion de la fonction publique territoriale de Loire-Atlantique (CDG44), et présidente du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT). La gestion des trajectoires et des carrières est autre levier à améliorer pour rendre les métiers territoriaux plus attractifs, selon Vincent Lescaillez, DGA de Bordeaux Métropole et président de l’association des DRH des grandes collectivités territoriales, tout en faisant concilier les discours et les actes.
Des rendez-vous territoriaux sur l’attractivité en 2024
Sur toutes ces questions, le CNFPT entend jouer son rôle d’accompagnateur et de fédérateur : « Le CNFPT n’a pas à prendre le leadership sur ces sujets, mais à être un partenaire comme les autres. Nous avons un travail collectif à faire sur les corpus de compétences. Nous avons besoin de recueillir les besoins en matière de compétences d’aujourd’hui et de demain : la transition écologique, la transformation numérique ou encore l’IA qui peut rendre obsolètes certains métiers », a conclu France Burgy, la directrice générale du CNFPT, lors du clap de fin. Nous devons aussi aller vers ceux qui ne nous connaissent pas et interpeller des partenaires qui ne sont pas du monde territorial (France travail, universités, partenaires RH, etc.). »
- Pottiée-Sperry P., « Quarante ans de la fonction publique : une loi fondatrice mais à moderniser », Horizonspublics.fr 2 févr. 2024.
- CNFPT, Les métiers territoriaux en tension : attractivité et difficultés de recrutement des collectivités locales, étude, 5 déc. 2023.
- Ibid.