Revue
Au-delà des frontièresD’Amsterdam au cercle polaire, tour d’Europe du Nord de quelques villes cyclables
Amsterdam (Pays-Bas), Copenhague et Malmö (Danemark), ou encore Oulu (Finlande) sont les villes les plus avancées en matière de politique publique pour favoriser la mobilité à vélo. Il y a indéniablement des idées à prendre, ou matière à penser pour les villes françaises où le vélo connaît un boom.
Amsterdam, capitale historique du vélo et inspiratrice
« Eerst mijn fiets terug ! » : « D’abord, rends-moi mon vélo ! » C’était longtemps l’invective que les Hollandais utilisaient volontiers contre leur voisin allemand lors des confrontations sportives. En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’occupant allemand avait massivement confisqué les vélos des Néerlandais. La rancune qui en était restée témoignait de l’attachement ancien des Hollandais à leurs bicyclettes.
Aujourd’hui, la ville d’Amsterdam est une réussite cyclable bien connue des Français. La part modale du vélo y est de 32 % 1, même si, désormais, d’autres villes des Pays-Bas – comme Utrecht – l’ont surpassée.
Dans les années 1960, le paradigme automobile avec de grands projets d’autoroutes urbains dominait le pays. L’opposition à la voiture était portée par une mobilisation citoyenne contre l’insécurité routière, mais aussi par une contre-culture alternative et anticonformiste avec le mouvement anarchiste Provo. Ces provocateurs, à l’esprit précurseur de notre Mai-68, furent aussi de grands promoteurs de la cause cycliste avec le plan Vélo blanc, pour le vélopartage, dès 1965.
Le choc pétrolier de 1973 – suivi de près par l’arrivée à la mairie d’une nouvelle génération d’élus – conduit très tôt la ville à de nouveaux choix en matière de transports avec les transports en commun et le vélo, sans dégrader la qualité de vie des habitants. Dans les ruelles étroites et les canaux du vieil Amsterdam, tout fut fait pour limiter l’essor de l’automobile et faciliter les autres mobilités. Des voies cyclables bilatérales séparées forment un réseau parallèle aux circulations automobiles, s’étendant très loin dans l’ensemble du pays.
L’enjeu actuel aux Pays-Bas, tandis qu’il est de plus en plus difficile de se loger près de son lieu de travail, est le transport combinant vélo et train avec la multiplication de gigantesques parkings à vélos proches des gares, à l’instar du parking flottant géant de la gare centrale d’Amsterdam pour 11 000 vélos, inauguré en 2023.
Copenhague, la chalengeuse
Moins connu des Français, le vélo à Copenhague a eu aussi ses heures sombres pendant l’essor du modèle des Trente Glorieuses. Là aussi, une forte mobilisation citoyenne contre les violences routières et l’impact de la crise pétrolière font évoluer les mentalités et bloque l’émergence des mégas projets routiers urbains.
Le schéma cyclable hollandais fait penser à une ruche bourdonnante, alors que le schéma danois est plus proche de la fourmilière, où les insectes se suivent en lignes.
Dès les années 1980, les premiers aménagements cyclables commencent à être installés sans toujours une grande cohérence. Au début des années 1990, alors que Copenhague se prépare à être capitale de la culture (1996), ses équipes de la ville font le voyage à Amsterdam pour s’inspirer des réussites néerlandaises. C’est cependant d’autres choix techniques qui vont prévaloir.
La force du réseau de Copenhague est la combinaison :
- d’un macro-design cohérent avec des voies de trafics rapides et systématiquement équipées de pistes cyclables unilatérales, séparées par les voitures garées, et des voies locales criblées de ralentisseurs où la vitesse lente ouvre la rue à tous ;
- du micro-design, somme des minuscules aménagements qui facilitent la vie des cyclistes, comme les feux adaptés à des ondes vertes à 20 km/h, des mini plans inclinés pour faciliter l’insertion sur les pistes, des repose-pieds aux feux, etc.
Les rues avec des pistes cyclables unilatérales systématiques sont les grandes rues les plus passantes, généralement limitées à 50 km/h pour les automobiles, entourant des quartiers qui sont eux pacifiés, où la vitesse est limitée à 30 km/h.
Dans ces quartiers, les trafics ont été revus pour ralentir et limiter la circulation de passage (chicanes, impasses voitures, nombreux ralentisseurs, passage piéton sur ralentisseur, etc.). L’ambiance y est beaucoup plus calme et la qualité de vie s’en ressent très positivement : les enfants peuvent y marcher seuls en rentrant de l’école, sans danger. Les rues piétonnes, peu nombreuses hors du centre-ville, ne sont pas organisées en plateau, mais en arborescence qui permet les circulations cyclables dans les parallèles.
Dans les grandes avenues, les voitures peuvent circuler et elles ne s’en privent pas, au bénéfice des habitants des banlieues lointaines. Le modèle n’est donc pas hostile à la voiture, mais évite que celle-ci n’envahisse l’ensemble des espaces et la canalise en s’assurant qu’elle reste un mode de transport moins efficace que les transports en commun, ou le vélo. En conséquence de cet excellent réseau, dans la commune de Copenhague, près de 30 % 2 des déplacements se font à vélo et 60 % dans le centre3.
Pourquoi les Copenhaguois font du vélo ?
- 59 % parce que c’est plus pratique ;
- 50 % parce que c’est plus rapide ;
- 48 % pour la santé ;
- 28 % parce que c’est confortable ;
- 25 % parce que c’est plus économique ;
- 20 % parce que c’est plus écologique.
En conclusion : les Copenhaguois sont davantage pragmatiques qu’écologistes…4
Qui gagne le match du meilleur modèle cyclable ?
Au niveau européen, en matière de cyclisme urbain, Copenhague et Amsterdam dominent les débats. Leurs « ambassades cyclistes » 5 sont les fers de lance de leur influence. Cependant, ces deux modèles cyclables ont des points communs dans leur histoire, mais des différences dans leur organisation.
Tout d’abord, les ressemblances tiennent aux histoires :
- arrêt du déclin du vélo, puis nouvel essor suite aux chocs pétroliers des années 1970 ;
- rôle crucial des mobilisations de la société civile et des associations ;
- mise en place ensuite d’infrastructures qui deviennent des modèles, voire un produit d’exportation et de soft power à l’échelle mondiale.
Cependant, il y a de nombreuses différences :
– sur l’organisation du réseau :
- au Danemark, le schéma est cohérent et logique, modulé selon la vitesse de la rue et répliqué partout dans le pays, avec des pistes le long des grandes avenues. Le modèle cherche à avoir une approche équilibrée pour les automobilistes,
- aux Pays-Bas, une structuration du réseau moins cohérente, plus souvent séparée des logiques du réseau routier. Il y a une plus grande « hostilité » vis-à-vis des voitures compte tenu de la densité ;
– sur les carrefours :
- au Danemark, très peu de ronds-points, jugés trop accidentogènes. Aux carrefours, le « tourne à gauche » se fait en deux temps, car cela limite les conflits. Des bandes bleues prolongent les pistes,
- aux Pays-Bas, le « tourne à gauche » est possible, mais les cycles de feux sont plus longs. Les ronds-points sont fréquents ;
– sur la multimodalité :
- au Danemark, on peut prendre son vélo dans les transports en commun (métro, bus, trains, bateaux, etc.). C’est même gratuit dans les RER de Copenhague. La voiture peut circuler presque partout, même si cela n’est pas encouragé par l’infrastructure,
- aux Pays-Bas, il est difficile de prendre son vélo dans les transports en commun, d’où des parkings à vélos géants près des gares. La voiture est exclue des centres-villes autant que possible.
En somme, pour reprendre l’expression de l’urbaniste dano-canadien Mikael Colville-Andersen qui a décrit avec brio le modèle cyclable danois6, « le schéma cyclable hollandais fait penser à une ruche bourdonnante, alors que le schéma danois est plus proche de la fourmilière, où les insectes se suivent en lignes ».
À Malmö, quel modèle choisir ?
Située en face de Copenhague, à une quarantaine de minutes en train, Malmö est l’autre capitale nordique du vélo. Cette capitale de la Scanie, au sud de la Suède, possède un réseau dense et bien construit pour cette ville de tradition ouvrière, dans une agglomération dépassant le demi-million d’habitants. La Suède, grand pays producteur d’automobiles pendant longtemps – où la taille du pays et sa faible densité rend quasi obligatoire la possession de voiture – montre ici qu’il est tout à fait possible d’avoir beaucoup de vélos et une ville accessible aux nombreuses voitures. En effet, la part modale du vélo à Malmö est autour de 30 %. On retrouve la combinaison harmonieuse du macro-design cohérent, liée à la structuration cohérente du réseau cyclable de la ville et du micro-design qui facilite les vies des cyclistes.
Pour le macro-design, la solution suédoise ressemble à un mélange des méthodes hollandaises dominantes (voies bilatérales et organisations des ronds-points) avec des influences danoises (parfois des pistes unilatérales). La ville compte plus 500 kilomètres de pistes cyclables. L’organisation des carrefours est renforcée avec des cycles de feu dédiés.
Dans le micro-design, nous pouvons distinguer :
- la multiplicité des pompes à vélo publiques ;
- des barres d’arrêts aux feux ;
- des feux avec des boutons pour un déclenchement plus rapide des cycles ;
- de nombreuses possibilités de parking avec des variétés de supports fixes, Malmö étant moins sûre que Copenhague.
Outre les vélos en libre-service, qui ont des aires dédiées pour éviter d’envahir l’espace, la ville a encore un système de partage de vélos, tandis que cela est en train de disparaître du Danemark. Il est passionnant de constater la coexistence, à si peu de distance, de deux villes qui ont su trouver des solutions différentes à un même enjeu !
Oulu, ou pédaler par -20 °C sous les aurores boréales
La ville côtière finlandaise d’Oulu, quatrième ville la plus septentrionale du monde, avec plus de 210 000 habitants, se situe à seulement 100 kilomètres au sud du cercle polaire arctique7. Oulu, qui se présente fièrement comme « la capitale mondiale du cyclisme en hiver », est recouverte de neige cinq mois par an. Au cœur de l’hiver, les températures peuvent descendre jusqu’à -30 °C, avec seulement quatre heures de lumière du jour.
Malgré ces conditions difficiles, 12 % des déplacements hivernaux s’effectuent à vélo dans la ville d’Oulu. L’été, la proportion de cyclistes connaît presque un triplement. Dans toutes les écoles d’Oulu, en moyenne 50 % des enfants effectuent le déplacement à vélo, ce qui constitue le taux le plus élevé de Finlande8.
Ville industrielle très maltraitée pendant la Seconde Guerre mondiale, la cité a pris le virage du vélo en 19729 en adoptant un premier plan de développement cyclable, partiellement inspiré d’Amsterdam, mais adapté au climat subarctique. Aujourd’hui, la ville compte 930 kilomètres de pistes cyclables10. Ce qui rend Oulu unique en son genre sont les presque 300 petits tunnels de béton sous la chaussée. Cette ingénieuse initiative permet aux cyclistes de contourner les véhicules automobiles, garantissant la sécurité des usagers qui s’évitent des freinages périlleux.
L’enjeu essentiel pour Oulu est d’encourager sa population à utiliser son vélo tout au long de l’année. Outre le réseau, la ville a une stratégie d’éclairage des pistes en hiver quand un épais manteau recouvre tout. La signalétique est donc projetée pendant la longue nuit polaire et facilite la sécurité des cyclistes. Cependant, c’est la mi-saison avec ses risques de verglas qui impose le plus d’entretien avec le dépôt régulier de graviers.
Maintenant reconvertie dans les hautes technologies, et demain (en 2026) capitale européenne de la culture, la qualité du réseau de transport vert d’Oulu est un argument de choix dans son attractivité.
Avec ces différentes expériences cyclables d’Europe du Nord, il y a indéniablement des idées à prendre ou matière à penser pour les villes françaises, où le vélo connaît un boom. Ces exemples nous prouvent que le climat froid n’est pas un frein à la pratique, quand l’ambition des élus locaux est là.
- https://ecf.com/cycling-data/netherlands/north-holland-noord-holland/amsterdam
- https://ecf.com/cycling-data/denmark/capital-region-denmark-region-hovedstaden/copenhagen
- The Bicycle Account 2022. Copenhagen City of Cyclists, rapport, 2022, Administration technique et environnementale de Copenhague.
- Ibid.
- https://cyclingsolutions.info/cycling-embassy/ ; https://dutchcycling.nl/
- Il faudrait traduire son excellent ouvrage Copenhagenize. The Definitive Guide to Global Bicycle Urbanism, 2018, Island Press.
- https://www.ouka.fi/en/information-oulu
- https://www.traficom.fi/fi/julkaisut/henkiloliikennetutkimus-syksy-2022-suomalaisten-liikkuminen
- https://mspace.lib.umanitoba.ca/server/api/core/bitstreams/73dfec70-158a-4d5e-b047-801705a6bc8b/content
- https://www.ouka.fi/pyoraily