Revue
Au-delà des frontièresComment Barcelone s’adapte au changement climatique et au tourisme de masse

Barcelone, joyau méditerranéen et destination touristique mondiale1, est confrontée à deux défis majeurs : l’urgence climatique et les impacts du tourisme de masse. Pour y faire face, la capitale catalane vient d’adopter un Plan chaleur 2025-20352, déploie une stratégie d’adaptation au changement climatique et s’engage dans un tourisme plus durable.
Sur la place des Glòries, un escalier en terrasses peuplé de cactus se dévoile en sortant du métro. Une fois en haut, la transformation urbaine saute aux yeux : autrefois carrefour routier bruyant et pollué, cette place centrale de Barcelone est devenue un symbole de renouveau pour la capitale catalane. Située au pied de la célèbre tour Agbar, gratte-ciel futuriste de 144 mètres dont la silhouette arrondie a été dessinée par Jean Nouvel, la place a été inaugurée en avril 2025 après plus de vingt ans de chantier. Conçu par l’Agence Ter, agence de paysage et d’urbanisme parisienne, et Ana Coello, ce parc, désormais le deuxième plus grand de Barcelone avec neuf hectares, est loué comme un grand poumon vert, sorte de « canopée urbaine » pour ses concepteurs, qui joue le rôle d’un « puissant régulateur climatique urbain » pour rafraîchir la ville3. Une transformation urbaine qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie d’adaptation au changement climatique de la ville.
La chaleur, la principale cause climatique de mortalité
La réalité des changements climatiques frappe durement Barcelone. L’année dernière, la ville a enregistré un nombre record de 82 nuits tropicales (plus de 20 °C) et 13 nuits torrides (au moins 25 °C), tandis que les projections estiment que les températures estivales pourraient augmenter jusqu’à + 5,5 °C d’ici la fin du siècle dans les scénarios les plus pessimistes4. La chaleur est désormais identifiée comme la principale cause climatique de mortalité, ayant déjà provoqué des centaines de décès, notamment chez les femmes et les plus de 75 ans.
Face à cette menace, Barcelone a adopté en juin 2025 un ambitieux Plan chaleur 2025-2035, doté d’un budget initial de 111,6 millions d’euros. Ce plan s’inscrit dans le cadre du Plan climat municipal et vise à réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain (ICU), ce phénomène où la température en ville est en moyenne 3 degrés plus élevée qu’en zone rurale, avec des pics pouvant atteindre 7 à 8 °C d’écart.
Barcelone a adopté en juin 2025 un ambitieux Plan chaleur 2025-2035, doté d’un budget initial de 111,6 millions d’euros.
Végétalisation, structures d’ombrages, revêtements réfléchissants…
Pour rafraîchir la ville, ce nouveau plan chaleur prévoit d’accélérer la végétalisation, les programmes d’ombrages et les revêtements réfléchissants. La ville prévoit d’ajouter 160 hectares d’espaces verts d’ici 2030 et d’étendre son réseau d’eau souterraine pour l’irrigation. La végétalisation des toitures et balcons est également encouragée. L’objectif est d’atteindre 9 hectares minimum d’ombre fixe et/ou saisonnière d’ici 2035. Des solutions variées comme les pergolas, voiles d’ombrage, auvents et abris sont déployées. Ces structures, bien qu’elles n’offrent pas l’évapotranspiration des arbres, réduisent efficacement l’exposition au rayonnement solaire direct et aux UV, améliorant le confort thermique des piétons et contribuant à une baisse de la température moyenne radiante. Elles sont essentielles là où la plantation d’arbres n’est pas possible. L’intégration de panneaux solaires sur les ombrières et les abribus végétalisés sont des exemples d’optimisation.
Barcelone expérimente des revêtements qui reflètent le rayonnement solaire pour limiter l’échauffement des surfaces, une technique qui a déjà prouvé son efficacité à Los Angeles où les « cool pavements » ont permis de baisser la température des artères de 6 à 7 °C. L’optimisation des fontaines ornementales et l’amélioration des fontaines à eau potable sont également au programme.
La protection des populations vulnérables est une priorité. Barcelone développe un vaste réseau d’abris climatiques (bibliothèques, musées, centres sportifs), avec l’ambition qu’aucun citoyen ne soit à plus de cinq minutes d’un tel refuge d’ici 2030. Le Plan climat école vise aussi à améliorer le confort thermique de 170 écoles grâce à la climatisation, aux toits verts, à l’ombre et aux points d’eau. Pour anticiper l’avenir, la ville réalisera dans deux ans une simulation à 50 °C pour évaluer sa capacité de réponse face à des températures extrêmes, comme a pu déjà le faire la ville de Paris5.
Barcelone développe un vaste réseau d’abris climatiques (bibliothèques, musées, centres sportifs), avec l’ambition qu’aucun citoyen ne soit à plus de cinq minutes d’un tel refuge d’ici 2030.
Le tourisme de masse : un modèle à réinventer
Parallèlement à la lutte contre la chaleur, Barcelone est aux prises avec les conséquences de son succès touristique. Avec plus de 170 000 touristes par jour, la ville voit son modèle touristique actuel remis en question.
Les habitants expriment un mécontentement croissant, percevant le tourisme de masse comme une menace pour leur qualité de vie. Les plaintes concernent l’explosion des loyers – les loyers ont augmenté de 68 % en 10 ans –, la disparition des commerces traditionnels ou encore le sentiment de se sentir « étrangers chez eux ». Les manifestations citoyennes sont devenues le reflet de ce malaise, réclamant des changements drastiques face à un modèle jugé insoutenable et inéquitable.
Les activistes demandent des changements structurels plus profonds prônant une « décroissance touristique » respectueuse des habitants et de l’environnement.
En réponse à cette pression, le maire socialiste de Barcelone, Jaume Collboni, promet de bloquer, d’ici 2028, la plateforme de location Airbnb – la mesure pourrait toucher 10 000 appartements Airbnb – et souhaite interdire aux navires de croisière d’accoster au centre-ville. Cependant, ces annonces sont accueillies avec scepticisme par les activistes, qui demandent des changements structurels plus profonds, prônant une « décroissance touristique » respectueuse des habitants et de l’environnement.
La polémique ne se limite plus à Barcelone : Venise, Amsterdam, Londres ou encore Paris sont elles aussi confrontées à la même pression. Si le tourisme reste une manne économique, il pèse lourd sur l’environnement et la vie locale. À l’échelle mondiale, il représenterait déjà 8 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES)6.
- Turisme de Barcelona
- Stratégie pour faire face à la chaleur. Plan Chaleur 2025-2035 (https://www.barcelona.cat/barcelona-pel-clima/ca).
- https://agenceter.com/project/place-parc-des-glories/
- Chiffres tirés du Plan chaleur 2025-2035 de Barcelone.
- Un exercice de crise appelé « Paris à 50 °C » a été réalisé en octobre 2023. Voir « Le futur de l’eau en questions », Horizons publics hors-série été 2025 : « Comment Paris s’adapte au changement climatique », interview de Dan Lert, propos recueillis par Baptiste Gapenne, p. 26-30.
- Lenzen M., Sun Y.-Y., Faturay F., Ting Y.-P., Geschke A. et Malik A., “The carbon footprint of global tourism”, Nature Climate Change 2018, vol. 8, p. 522–528.