De nouvelles pistes à explorer pour les budgets participatifs

Le 26 juin 2022

Priorité donnée à la transition écologique, développement du budget participatif territorial et exploration de nouvelles pratiques : les dernières Rencontres nationales des budgets participatifs, qui se sont tenues à Angers1, ont permis d’explorer de nouvelles pistes pour travailler encore et toujours à redynamiser la participation citoyenne.

Les budgets participatifs ont connu au cours du mandat 2014-2020 un renouveau et un essor sans précédent. Cet engouement ne semble pas se démentir, au regard des collectivités toujours plus nombreuses lors des dernières Rencontres nationales des budgets participatifs, qui se sont tenues à Angers, fin 2021. Ces rencontres sont toujours un temps précieux pour la communauté des praticiens. Il s’agit de réfléchir aux méthodes, outils et perspectives en mêlant les expériences des uns aux regards des autres.

Pour cette dernière édition, la ville d’Angers a souhaité, en accord avec les précédentes villes organisatrices, s’intéresser à l’impact concret de la démarche, à travers ses projets et, en particulier ceux liés à la transition écologique, face à l’enjeu climatique, avec des retours d’expérience nationaux et internationaux. Ces retours nous informent non seulement de la diversité des projets menés, mais aussi de leur capacité à faire évoluer les politiques. À Angers, il s’agissait aussi de s’interroger sur la manière dont le budget participatif pourrait évoluer si les échelons se coordonnaient. Nous nous proposons ici d’aller plus loin dans cette réflexion alors que départements et régions montent dans le train de la délégation de la décision.

Transition écologique

Devenu un thème central dans les préoccupations des Français et alors que se déroulait à Glasgow la COP 26, les Rencontres nationales d’Angers avaient d’abord à cœur de revenir sur la prédominance des enjeux environnementaux au budget participatif et, plus globalement de la transition écologique. Cette thématique, bien que concurrencée2 dans les grandes enquêtes nationales, devient aujourd’hui centrale dans les enjeux nationaux et internationaux, depuis les dégâts sur les écosystèmes à l’apparition de nouveaux virus ou encore au regard de notre dépendance aux énergies fossiles, avec leurs conséquences géopolitiques que l’on sait.

L’enquête nationale sur les budgets participatifs menée en 2020 avait mis en avant la prédominance des projets liés à la préservation de l’environnement3. Il nous a semblé pertinent d’appeler les collectivités à participer à ces rencontres en présentant ce que la démarche avait produit de projets sur cette thématique et l’élargir à l’ensemble de la transition écologique. Il n’est pas une ville, un village, un territoire où les citoyens ne se sont pas saisis du budget participatif pour agir sur la préservation de la biodiversité, le développement de l’agriculture urbaine et d’une alimentation saine et durable ou encore encourager l’économie circulaire.

Alors que les dérèglements climatiques appellent à agir, les citoyens se saisissent par conséquent de ce pouvoir pour répondre positivement à cet enjeu. Cette dimension positive de l’action informe également sur le niveau de vulnérabilité des territoires quant au réchauffement, par exemple. Ainsi, le rafraîchissement des villes en été apparaît très concrètement dans les projets « d’oasis de fraîcheur » ou d’isolation par les toits à Grenoble, mais aussi dans la végétalisation des cours d’école à Clermont-Ferrand.

La création de zones d’agriculture urbaine, en agroforesterie par ailleurs, à Rennes, et la lutte contre le gaspillage alimentaire à Angers, sont d’autres illustrations des solutions proposées par les citoyens pour répondre à la valorisation de l’ensemble des ressources, qu’il s’agisse des friches urbaines – où ont pris place les projets bretons, ou des invendus des marchés. Ces propositions ne sont pas nouvelles. Les citoyens, organisés ou non en collectifs, n’ont pas attendu les budgets participatifs pour apporter des réponses.

Transition écologique dans le monde

Simplement, ces propositions ont trouvé un cadre d’expression et surtout de réalisation qui les conduit vers des choix collectifs et non marchands : pas de « consom’action » ici, mais des choix démocratiques. Nous le verrons plus loin, ces actions complètent ou renouvellent l’action publique locale, comme ont pu en témoigner les élus des collectivités organisatrices des Rencontres nationales. Du local au global, il n’y a qu’un pas que nous avons franchi avec Yves Cabannes4, professeur émérite au University College London, spécialiste des budgets participatifs.

L’ancien coordinateur régional du programme de gestion urbaine d’ONU-Habitat pour l’Amérique latine et les Caraïbes a publié l’étude Contribution des budgets participatifs à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique5. Elle montre comment cette démarche présente un apport réel face au changement climatique, dans le monde entier, et propose une cartographie plus fine des désastres provoqués par les dérèglements à l’œuvre : incendies à répétition, inondations, submersions des littoraux, glissements de terrain, etc.

Les projets mis en œuvre sur le terrain sont à la fois le révélateur des catastrophes et de la manière dont, sur le terrain, les citoyens priorisent les dépenses pour y répondre. Yves Cabannes a ainsi pu présenter les exemples concrets – qui ne manquent pas : avec en particulier la création de réservoirs à proximité des zones forestières au Portugal ou en Russie, dans la région de Stavropol pour préserver, là les récoltes agricoles, ou encore la reconstruction de pont emporté par les eaux et la plantation d’arbres, dans la région du Sud-Kivu, province de la république démocratique du Congo, pour tenter de freiner l’érosion. Nous pourrons encore citer une application d’alerte à la pollution au Mexique, dans la ville de San Pedro.

Comparaisons internationales et montants

Cette comparaison avec les projets internationaux ne met pas seulement en évidence un rôle différent du budget participatif selon la vulnérabilité aux changements climatiques, elle illustre des approches très différentes de la démarche selon les latitudes. D’abord, sur le plan du climat, les effets des dérèglements ne sont pas les mêmes et il est cohérent que les citoyens ne présentent pas des projets identiques. Alors que les plus vulnérables agissent ici pour se défendre ou s’adapter, les propositions françaises visent à entrer en transition ou atténuer les effets, à l’image de la lutte contre les îlots de chaleur.

Il serait difficile d’imaginer en France un budget participatif pour reconstruire la vallée de la Roya, dévastée en 2020. Et pourtant, la relative modestie des montants alloués à la démarche est aussi l’une des critiques récurrentes du dispositif et, en particulier, venant de ceux qui l’ont promu au départ. En effet, alors que ces spécialistes se sont inspirés des expériences de Porto Alegre, au Brésil, ou de Cascais, au Portugal, les montants français souffrent la comparaison, à l’exception de Paris qui, jusqu’à récemment, affichait un budget de près de 50 euros par habitant. Ainsi, selon Yves Cabannes, les habitants de Porto Alegre bénéficiaient d’environ 100 euros par habitant : de quoi mettre en œuvre de projets structurants.

Le montant du budget participatif est par conséquent un enjeu pour les années à venir. Alors qu’en moyenne, il est de 6,50 euros par habitant6 avec, naturellement, des variations à la hausse et à la baisse pour des communes de tailles similaires7. Les chiffres 2022 pourraient indiquer une hausse de cette moyenne. Cependant, il est peu vraisemblable que les villes françaises atteignent le niveau de Paris avant des années, si jamais elles devaient un jour les atteindre. Alors, comment développer l’impact du budget participatif ?

Nouvelles pratiques

Les Rencontres nationales des budgets participatifs sont un temps de partage entre les collectivités. Elles ont permis, à Angers, d’échanger au cours d’ateliers – et au-delà – sur les fondamentaux de la démarche, l’organisation du vote, l’analyse et la réalisation des projets en transversalité avec les directions techniques ou encore le cadre juridique, sur le renouvellement de la participation ou encore sur son évaluation. Elles sont aussi un temps d’exploration. Et cette année, nous avons souhaité mettre en avant une nouvelle thématique, la coordination à l’échelle locale.

La démultiplication des budgets participatifs à tous les échelons peut être perçue en négatif, c’est une juxtaposition. Elle peut aussi l’être en positif : c’est une opportunité. Il est généralement une question sur laquelle s’interrogent les citoyens : qui fait quoi entre les institutions ? Il apparaît, selon nous, que le budget participatif doit être davantage centré sur le citoyen et son aspiration à agir et dépasser les frontières des compétences qui rendent l’action difficile à mettre en œuvre. Mais ce n’est que par un organisme tiers et reconnu que cette possibilité pourrait voir le jour.

Un budget participatif territorial apparaît comme une expérience prometteuse, alors que la participation électorale faiblit. L’abstention aux municipales, celle de deux électeurs sur trois aux régionales et départementales8, appellent à des solutions radicalement nouvelles. D’après les spécialistes de l’opinion, ces collectivités ne sont pas assez perçues comme des lieux de décision, en particulier celles ayant un impact sur la vie quotidienne. Celles-ci seraient perçues comme prises ailleurs, expliquant le désintérêt, au-delà de la confiance dans les représentants9.

Un budget participatif territorial permettrait dès lors de créer un point unique d’entrée pour les citoyens et pourrait donner la capacité à des projets de grande envergure de voir le jour, en s’appuyant sur une mise en commun des crédits. Lors des Rencontres nationales, l’idée d’un abondement de l’Union européenne a par ailleurs été évoquée. Ces idées appellent bien entendu à penser la démarche d’une autre manière, en donnant davantage de place aux idées, plutôt que de s’appuyer sur les projets les mieux ficelés, mais aussi davantage de place aux techniciens pour concevoir les projets. Et enfin, donner du temps à la mise en œuvre des projets, autre grande limite actuelle du budget participatif.

Le budget participatif tel que nous le connaissons aujourd’hui est une démarche née en 2014 en France, en s’inspirant de Porto Alegre. Elle a essaimé sur l’ensemble du territoire et a singulièrement développé la participation citoyenne. Elle a également donné un nouveau levier d’action, horizontal, pour agir concrètement pour soi et les autres.

Un budget participatif territorial apparaît comme une expérience prometteuse, alors que la participation électorale faiblit.

Les exemples de projets en matière de transition écologique montrent non seulement l’inventivité des habitants, mais aussi leur capacité à orienter l’action des collectivités, via cette nouvelle forme de participation. La légitimité de l’action politique ne peut plus se limiter à l’élection de représentants. La participation des citoyens à la décision et une capacité d’agir encadrée sont aujourd’hui des fondamentaux de l’action publique. Cette action en est encore, à ce jour, à ces débuts. De nouveaux regards, de nouvelles manières d’agir ensemble pourraient voir le jour rapidement. Le budget participatif en sera probablement la matrice, car il s’agit à la base de participer à la décision des investissements des collectivités, au côté de nouvelles régulations mises en œuvre via les assemblées citoyennes. L’abstention, inquiétante, semble plus que jamais inviter à un rassemblement des volontés politiques pour dépasser des clivages.

  1. Les 6Rencontres nationales des budgets participatifs se sont tenues à Angers les 8 et 9 novembre 2021 (https://lesbudgetsparticipatifs.fr/le-programme-de-levenement-a-angers-les-8-et-9-novembre/).
  2. Sondage Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et le CEVIPOF, réalisé des 2 au 4 avril 2022 sur un échantillon représentatif (méthode des quotas) de personnes de la population française, inscrites sur les listes électorales et âgées de 18 ans et plus (de 12 600).
  3. 40 % des projets les plus votés dans les budgets participatifs en 2019 s’inscrivaient dans la thématique de la préservation de l’environnement. À ce chiffre, il faudrait ajouter l’ensemble des projets visant à développer la mobilité active ou encore une alimentation durable, le recyclage, etc.
  4. De 2004 à 2006, Yves Cabannes a également été chargé de cours en urbanisme à la Harvard University Graduate School of Design. Spécialiste international des budgets participatifs, il a assisté et contribué à leur développement depuis son poste de coordinateur régional du programme de gestion urbaine d’ONU-Habitat/PNUD pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Il a également conseillé directement la municipalité de Porto Alegre, au Brésil. Il est l’auteur de Another city is possible with Participatory budgeting, 2021, Black Rose Books.
  5. Cabannes Y., Contributions of Participatory Budgeting to Adaptation et mitigation du changement climatique : pratiques locales actuelles dans le monde et leçons du terrain, sept. 2020, OIDP-CGLU, Enda ECOPOP, FMDV, Fondation Kota Kita et University College London.
  6. Bézard A., Donner du sens au Budget participatif, févr. 2020, Fondation Jean-Jaurès (https://www.jean-jaures.org/publication/budgets-participatifs-donner-du-sens-a-la-participation-des-citoyens/).
  7. Un montant très élevé par habitant doit aussi être observé au regard du montant global. 15 000 euros ne représentent pas une capacité d’investissement élevée, même pour 1 000 habitants.
  8. 67,5 % du corps électoral s’est abstenu au second tour des élections régionales et départementales, le 27 juin 2021.
  9. Duguet M. et Le Borgne B., « Abstention aux élections régionales : pourquoi il n’y a pas eu de sursaut de participation au second tour », France info 27 juin 2021.
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