Revue
Ils nous étonnentDIHAL : quel bilan pour les quinze ans de lutte contre le sans-abrisme ?
Le 14 juillet 2025, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) a soufflé en toute discrétion ses quinze ans d’existence. Que faut-il retenir de son action ?
« Ce 14 juillet, c’est aussi… les quinze ans de la création de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL). Que retenir, au-delà de cette aventure administrative singulière qui a vu une petite structure de quelques personnes devenir en peu de temps l’administration chargée de l’ensemble de la lutte contre le sans-abrisme et le mal-logement ? », a posté, sur le réseau LinkedIn, Jérôme d’Harcourt, délégué interministériel en poste depuis mars 2024 après un passage à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP).
Un constat alarmant sur le terrain
Alors que 350 000 personnes1 sont sans domicile en France, un « niveau inédit » selon le dernier rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre)2, et que le taux de pauvreté a atteint 15,4 % en 2023 – du jamais vu depuis 1996 – selon l’Insee3, l’ampleur du défi reste immense pour la DIHAL. D’autant plus qu’en février 2025, le Collectif des associations pour le logement, avec ses 40 associations membres, a lancé une action juridique inédite contre l’État pour « non-assistance à personnes mal logées » 4.
Malgré la réalité criante du terrain et la pression des associations, qui aurait cru qu’une petite « administration de mission » se hisserait en quinze ans au rang d’une administration d’État en mesure de déployer une stratégie nationale ? C’est pourtant l’itinéraire qu’a accompli la DIHAL engagée depuis 2005 contre le sans-abrisme. Aujourd’hui, elle est devenue centrale dans la coordination et l’animation de tous les acteurs (services déconcentrés de l’État, collectivités, opérateurs, associations, bailleurs, etc.), selon Jérôme d’Harcourt, le délégué interministériel, qui a accordé un long entretien à Horizons publics.
Des tentes sous les ponts au pilotage stratégique
C’est en réponse à une urgence humanitaire – celle de l’affaire des « Enfants du Canal » 5 – que la DIHAL voit le jour en 2010. À l’époque, quelques agents seulement tentent de créer un pont entre urgence sociale et accès durable au logement. Quinze ans plus tard, la mission a changé d’échelle et de rôle. « Nous ne sommes plus une mission ponctuelle, nous portons aujourd’hui l’ensemble de la politique de lutte contre le sans-abrisme », souligne Jérôme d’Harcourt. Depuis 2021, la DIHAL est en effet chargée du pilotage complet de la politique d’hébergement d’urgence et de son programme budgétaire, fort de 3,1 milliards d’euros en 2024. Une transformation de fond, qui permet à l’institution de couvrir tout le « continuum de la rue au logement », avec une équipe étoffée d’environ 70 collaborateurs.
« Logement d’abord » : des résultats, des preuves, une doctrine
C’est l’un des tournants majeurs de ces quinze dernières années : l’adoption du plan « Logement d’abord », lancé en 2017 par le président Emmanuel Macron. L’idée ? Renverser la logique classique de l’hébergement temporaire en proposant un accès direct au logement, accompagné d’un suivi social adapté. « Ce modèle est à la fois plus efficace pour les personnes, plus pérenne et moins coûteux pour les finances publiques », résume le délégué. Citant quelques chiffres : 650 000 personnes ont accédé à un logement en sortie de rue ou d’hébergement depuis 2018, et les attributions de logements sociaux aux publics précaires ont bondi de 50 % entre 2017 et 2024.
Nous ne sommes plus une mission ponctuelle, nous portons aujourd’hui l’ensemble de la politique de lutte contre le sans-abrisme, souligne Jérôme d’Harcourt.
Face à la montée des besoins et à l’apparition de nouveaux profils – jeunes sortant de l’Aide sociale à l’enfance, personnes avec troubles psychiques, publics en grande détresse mentale –, la DIHAL a aussi adapté son approche. Le second plan « Logement d’abord » met l’accent sur la prévention et sur le renforcement des dispositifs d’orientation et d’aller-vers.
Innover, expérimenter, bousculer les cadres
Dans les prochains mois seront dévoilés les résultats de la grande enquête conduite par l’Insee et la Drees sur les sans-domiciles pour mieux comprendre et anticiper leurs besoins. Fidèle à son ADN d’« administration de mission », la DIHAL continue à expérimenter. Post-covid, elle a lancé des dispositifs pour les personnes en grande marginalité qui peuvent notamment y venir avec leur animal de compagnie. Cette expérimentation, basée sur la réduction des risques et le respect de la liberté des personnes, a été concluante et la majorité des sites ouverts seront pérennisés au-delà de 2025. « L’expérimentation permet de faire évoluer les pratiques professionnelles sur le terrain », insiste Jérôme d’Harcourt, qui voit dans l’innovation sociale une condition nécessaire pour répondre à la complexité croissante des situations de mal-logement.
- Ce chiffre regroupe à la fois des personnes dites « sans-abri » qui passent la nuit à la rue, les personnes en habitat précaires et les personnes en hébergement.
- Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre), L’état du mal-logement en France, 30e rapport annuel, 2025.
- Rieg C. et Rousset A., « Niveau de vie et pauvreté en 2023. Taux de pauvreté et inégalités s’accroissent fortement », Insee Première 7 juill. 2025, no 2063.
- Ané C., « L’État attaqué en justice pour non-respect des lois sur l’hébergement des sans-abri et le logement opposable », Le Monde 13 févr. 2025.
- Les Enfants du canal, émanation des Enfants de Don Quichotte, qui avaient obtenu la création du Droit au logement opposable en 2007 après avoir installé quelque 200 tentes pour les sans-abri sur le canal Saint-Martin à Paris.