Le secteur public, refuge ou tremplin en temps de crise ?

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La crise du Covid19 va-elle changer la donne pour le secteur public ?
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Le 26 mars 2021

Depuis la crise, ils sont prêts à rejoindre le secteur public mais à quelles conditions ? Autant dire qu’ils sont prêts à tout…ou presque. Au-delà du clin d’œil facile, comment expliquer, à l’heure où le fonctionnement du secteur public tend à se rapprocher de celui du privé, que beaucoup y voient une opportunité de reconversion salutaire propice à l’épanouissement personnel, loin des logiques de chiffres et de productivité ?

 

Le 22 novembre dernier, Sigrid Berger, Fondatrice de Profil Public, plateforme d'emploi public qui renouvelle l'approche recrutement, nous présentait par webconference les résultats de l’étude Recrutement et secteur public réalisée en partenariat avec Switch collective, makesense et la CASDEN. Elle était entourée de Sabrina Françon, Head of development chez makesense, une association qui donne à chacun les moyens d'agir pour la transition et de Pauline Rochart, consultante spécialiste du futur du travail et des organisations.

Il était intéressant pour Profil public, au lendemain du premier confinement, de sonder les nouvelles aspirations et envies professionnelles des candidats à la fonction publique, et de vérifier son intuition selon laquelle la crise pouvait changer la donne pour le service public. D’où l’idée d’une grande enquête diffusée sur les réseaux sociaux : « Depuis la crise, êtes-vous prêts à rejoindre le secteur public et à quelles conditions ? »   59 % des 642 répondants viennent du secteur privé, 16 % sont sans emploi, 71 % se disent prêts à rejoindre le secteur public.

Parmi les organisations les plus attractives, ce sont les acteurs de l’économie sociale qui tirent leur épingle du jeu (56 %) ; puis les collectivités territoriales (45 %), les institutions publiques d’État (38 %), les start-ups s’adressant au service public (37 %), les cabinets de conseil secteur public (31 %) et enfin les organisations hospitalières (15 %). Les mots clefs utilisés pour justifier le choix du secteur public sont « valeur » (« des valeurs qui me parlent »), « équilibre » (vie professionnelle – vie personnelle), autonomie, flexibilité.

valeurs étude secteur public

« Un salaire plus attractif » n’arrive qu’en 6e position, après la perspective de « Travailler en mode projet ». La sécurité de l’emploi n’est pas la première préoccupation, notamment chez les plus jeunes qui en début de carrière ne s’imaginent pas enfermés dans un emploi à vie. Loin d’apparaître comme un abri où se réfugier en temps de crise, le secteur public semble plutôt perçu comme la possibilité d’un épanouissement professionnel et personnel.

Il faut préciser que dans l’esprit des organisateurs, la notion de secteur public est beaucoup plus large que la notion de service public ; elle inclut l’État, les collectivités territoriales, les hôpitaux, mais aussi l’économie sociale et solidaire, les cabinets de conseil secteur public et les start-ups s’adressant au secteur public, c’est-à-dire tous les acteurs au service de l’intérêt général.

L’économie sociale et solidaire : tête, corps, cœur bien alignés

Très prisée des répondants, l’économie sociale et solidaire emploie aujourd’hui 2, 4 millions de salariés en France et crée 10 000 emplois chaque année. C’est un secteur dynamique et attractif.   Pour l’oratrice Sonia Françon, l’« esprit » social et solidaire implique un fonctionnement interne fondé sur la solidarité et l’utilité sociale, avec un mode de gestion démocratique et des bénéfices strictement encadrés.

L’expression -maîtresse à la mode dans ce secteur est « l’alignement tête – cœur – corps », ce concept aux fondements psys cher aux pédagogies innovantes. Ce processus vise l’harmonie entre la tête (les pensées, le discours), le cœur (les émotions, le ressenti), le corps (l’action). Il permettrait d’agir dans le respect des valeurs auxquelles on croit.

Ce cadre de valeurs est un règlement intérieur que chaque personne incarne ; cela ne signifie pas que tout le monde marche au pas, mais que tout le monde avance dans le même sens. Par ailleurs, les structures de l’économie sociale et solidaire favoriseraient plus que d’autres l’action immédiate. Elles testent des modes de gouvernance ouverts, la prise de décision est décentralisée, le pouvoir est très partagé, tous les collaborateurs sont impliqués dans le développement de l’organisation. La volonté y est souvent forte de changer ce qui relève du domaine public ou du bien commun par une approche terrain, main dans la main avec les bénéficiaires des projets.  L’expérience Emmaüs est éloquente :  il s’agissait dès le début de construire au quotidien des politiques innovantes avec un ancrage terrain très fort. Ce contact régulier avec le terrain libèrerait plus de dopamine que le salaire.

Face à des candidats en quête de sens, le service public est-il prêt ?

Selon Pauline Rochard, de plus en plus de personnes se déclarent en quête de sens, et se demandent à quoi ou à qui servent ce qu’elles font. On perçoit leur volonté d’être en phase avec les valeurs de l’organisation dans laquelle elles travaillent, d’incarner un projet, de ne pas (plus) dissocier l’identité personnelle et professionnelle. À titre d’exemple, les nombreuses reconversions vers l’artisanat sont, d’une certaine façon, révélatrices d’une certaine lassitude face à l’abstraction du travail, les notes, les slides, les réunions peu constructives.

Or le secteur public souffre encore d’un déficit d’attractivité. Les chaînes de décision sont souvent interminables, le rapport au temps très lent, ce qui peut freiner les meilleures volontés. La mobilité y est encore balbutiante, à l’heure où de plus en plus de jeunes veulent monter rapidement et acquérir de nouvelles compétences.

L’opacité des systèmes d’évolution de carrière, la méfiance face à l’évaluation dont on comprend mal les critères d’appréciation pris en compte, prouvent que souvent la culture RH n’est pas suffisamment développée.

Attention aux grosses désillusions !  De jeunes diplômés ou de jeunes « reconvertis » constatent une dissonance entre les valeurs affichées et la réalité vécue.  

L’autonomie promise ressemble à de l’abandon, alors qu’elle s’acquiert et ne se décrète pas. Sans réel accueil à son arrivée, sans encadrement constructif dans les premières semaines, le nouvel arrivé perd pied et s’interroge sur la justesse des ses choix.

Souvent, il n’y a pas de culture du conflit : on étouffe la contradiction et plus personne n’ose exprimer son désaccord. Attention également aux effets pervers des meilleurs intentions ! Plus les valeurs sont fortes, plus elles inhibent ceux qui n’osent pas aller à contre-courant. Il faut garder la culture du dialogue et du conflit, encourager l’action des organisations syndicales, et surtout, surtout, se garder de tout dogmatisme. Les convictions deviennent un poison quand elles n’admettent plus l’échange et l’argumentation contraire.

Pour le secteur public, des marges de manœuvre réelles, mais étroites

Quels leviers le secteur public doit-il actionner pour moderniser son fonctionnement ?

Les pratiques RH gagneraient à évoluer vers un management moins vertical et plus collaboratif avec une meilleure prise en compte de l’expérience collaborateur. En effet, le secteur public s’est beaucoup concentré sur l’amélioration du service aux usagers en délaissant un peu les conditions de travail des agents.  Ces derniers ont formulé des demandes de formation pendant la crise et pendant le confinement, dans le domaine du numérique par exemple, mais réclament également plus d’attention, d’esprit d’équipe, d’entraide. 

Le recrutement dans la fonction publique évolue. Le concours est remis en question depuis quelques temps déjà, mais les épreuves sont encore trop souvent théoriques et décorrélées des réalités du poste convoité. Avec la loi n° 2019-828, le recours aux contractuels s’élargit et il devient difficile pour les RH de gérer contractuels et titulaires qui relèvent de régimes différents dans beaucoup de domaines. Trop d’agents enchaînent encore les CDD sans entrevoir l’espoir d’une titularisation, ce qui est source de frustration.

Et enfin, le secteur public doit communiquer ! Quand il agit, il est en retard sur la question de faire savoir ce qu’il ce qu’il fait et comment il le fait.  C’est en communiquant qu’il créera l’émulation et progressera plus vite.  Le recours au design de service offre un bon exemple de ce déficit de communication dont souffre le secteur public : il permet de mettre en pratique des logiques de conception en se plaçant du point de vue du bénéficiaire, de l’usager final. Pour toutes les questions de formation, de management, de mobilité, de carrière, on prend en compte l’avis des agents et on les fait participer. C’est un vrai « plus » pour les collectivités et il est dommage qu’elles communiquent si peu sur ces dispositions novatrices.

En guise de conclusion

Quels conseils donner aux candidats à la reconversion sur les compétences permettant de passer du privé au public ?  Comme il peut s’avérer dangereux de tout changer du jour au lendemain, il faut se garder d’un « gap » trop important, en cherchant à valoriser et à perfectionner les compétences que l’on possède déjà. Le secteur public, comme le privé, a besoin de compétences sur les nouveaux métiers : outils numériques, système d’information, enjeux de communication. Se former aux compétences clefs de demain, comme l’innovation collaborative ou l’intelligence collective, est une excellente idée.

Pour devenir pleinement attractif, le secteur public doit trouver sa voie, une nouvelle voie qui ne sera pas celle du secteur privé, mais qui passera impérativement par une nouvelle approche RH. Au-delà des résultats un peu désincarnés de l’enquête, il aurait été intéressant de recueillir le témoignage d’un ou deux « reconvertis » en regard des principes évoqués.

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