La coopération à l’école : il suffisait d’y penser !

Coopération école
La coopération permet de lutter contre l’échec scolaire en redonnant aux élèves du pouvoir sur leur vie. Coopérer, c’est pouvoir discuter, apprendre à argumenter et à négocier ; c’est avoir une marge de manœuvre ; c’est reprendre du pouvoir sur sa vie.
©Robert Kneschke -Adobe Photostock
Le 3 octobre 2022

La coopération en milieu scolaire ? Le fait de se parler, de s’écouter, entre enseignants et élèves, entre élèves, entre parents et enseignants, d’apprendre à se comprendre pour mettre en place des projets communs ? Mais c’est enfoncer des portes ouvertes que d’écrire sur ce thème ! Pour se comprendre, il faut parler. Pour que le collectif l’emporte sur l’individuel, il faut …décider collectivement. C’est du bon sens et c’est la règle partout, non ?

 

À l’université d’été du SNU- ipp-FSU Paris, Yves Reuter, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université de Lille et auteur de très nombreux articles et ouvrages sur les didactiques et les pédagogies, proposait le 10 juin dernier à Paris une conférence sur le thème « Intérêts et limites de la coopération pour lutter contre un échec scolaire socialement marqué » face à une assemblée de professeurs des écoles manifestement intéressés si l’on en croit l’écoute bienveillante dont ils ont fait montre et le nombre de questions posées à la fin de la conférence.

Son constat est désolant : l’origine sociale pèse lourd dans l’échec scolaire.  Professeur émérite à l’université de Lille, Yves Reuter est chercheur (et non militant, comme il le précise d’emblée) ; ses recherches portent notamment sur les pédagogies dites « différentes », « alternatives » ou « de projet » : la pédagogie Freinet et l’école Vitruve, deux pédagogies davantage axées sur la personnalité de l’enfant que la pédagogie traditionnelle.

Sans opposer frontalement pédagogies différentes et pédagogie traditionnelle, sans prendre jamais parti pour telle ou telle pédagogie alternative, il cherche à dégager ce qui, dans chacune, donne des résultats et peut être utilisé contre l’échec scolaire. Ces pédagogies alternatives reposent sur un maître-mot, la coopération.

Yves Reuter en propose une définition provisoire : un ensemble de dispositifs et de pratiques, associant plusieurs acteurs, conçus pour améliorer la vie scolaire dans ses différentes dimensions (travail, apprentissage, climat scolaire).  Autrement dit, et simplement dit, il s’agit de favoriser l’échange et l’interaction entre tous les acteurs de l’établissement scolaire à partir de la constitution de groupes de travail, constitués à partir de critères précis en fonction de la tâche envisagée.

La coopération favorise la confrontation des points de vue

A-t-on conscience que les élèves ne parlent que très rarement entre eux du contenu des cours, de la matière ? Depuis des décennies, les interactions langagières en classe fonctionnent sur le modèle question / réponse / évaluation de la réponse. Tous les échanges passent par le maître.  Or c’est une caractéristique des démarches différentes que de multiplier les échanges entre élèves qui ne passent pas par le maitre. Il ressort d’ailleurs d’études déjà anciennes que lorsqu’un élève explique quelque chose à un autre élève, ce dernier comprend souvent mieux, alors que pour le maître, l’explication donnée ne tient vraiment pas debout. C’est un peu mystérieux (et amusant) et ce serait dommage de s’en priver.

Il s’agit donc de constituer des apprentissages en dynamique collective pour permettre la diversification des circuits de parole et la confrontation des points de vue. L’élève peu à peu intègre l’idée que plusieurs points de vue peuvent venir enrichir sa réflexion.

La coopération permet de lutter contre l’échec scolaire en redonnant aux élèves du pouvoir sur leur vie

Il ressort de plusieurs enquêtes que beaucoup d’élèves ont l’impression de ne rien maîtriser, de n’avoir aucun pouvoir sur leur vie : toute la journée, du matin au soir, quelqu’un leur dit ce qu’ils doivent faire et ne pas faire. Coopérer, c’est pouvoir discuter, apprendre à argumenter et à négocier ; c’est avoir une marge de manœuvre ; c’est reprendre du pouvoir sur sa vie.  

Les règles mises en place s’appliquent aussi bien aux élèves qu’aux enseignants, ce qui permet de lutter contre le sentiment d’arbitraire et d’injustice.  Dans les écoles Freinet par exemple, les élèves peuvent parler et se déplacer, les classes se font porte ouverte. Une règle intangible cependant, valable pour les élèves, les enseignants comme pour toute personne dans la classe :  on ne crie pas, on ne parle pas avec une « grosse voix ». Les incivilités reculent plus facilement. En pédagogie traditionnelle, on ramène le calme et on se met au travail. En pédagogie alternative, on se met au travail autour de choses intéressantes à faire, et le calme revient.

La coopération favorise la responsabilisation

À chacun son rôle dans l’école ! Un nombre incalculable de « métiers scolaires » sont nés de la coopération, et il en apparait tous les jours : médiateur, ludothécaire (il propose des plans pour la récréation, s’assure que les jeux circulent, que les garçons ne monopolisent pas la cour), gestionnaire du placement à la cantine, contrôleur de vitesse dans les escaliers, ramasseur, responsable des rangements, responsable des portes et des lumières, messager, effaceur, distributeur de gel  (il faut vivre avec son temps).

La relation maître-élève se rééquilibre et le maître n’est plus tout puissant. En pédagogie traditionnelle, une fois la porte de sa classe refermée, il est maître à bord. En pédagogie alternative, il partage des mécanismes de gouvernance avec les collègues et les élèves. Il se recentre vers un rôle de concepteur de dispositifs, de garant des fonctionnements, d’aide aux apprentissages.

Les enseignants changent de classe chaque année, aucun ne reste vingt ans en CP.  Souvent les enseignants travaillent en binôme et préparent les cours ensemble. Dans les écoles classiques, le maître ne sait pas ce que l’autre fait dans sa classe et ne peut donc pas s’inspirer du travail effectué.

Par la place qu’elle laisse aux familles, la coopération est particulièrement bénéfique aux enfants issus des milieux pauvres

Il est fréquent de penser que les parents de ces enfants ne s’intéressent pas à l’école, et c’est alors que s’installe une incompréhension entre la famille et l’école, extrêmement préjudiciable à l’élève. C’est oublier que souvent ces familles ont un mauvais souvenir de l’école, voire y ont été humiliées. L’école a pu représenter pour certaines un lieu de souffrance, elles hésitent à y revenir, d’autant plus qu’elles se sentent en insécurité car elles ne parlent pas bien français. Elles ont l’impression d’être de mauvais parents, que leur culture n’est pas reconnue. Il y a de la fatigue et de la colère contre les institutions, et il faut trouver le chemin de la pacification.

Les pédagogies alternatives soignent les relations avec les parents. Celui qui reçoit doit être disponible, car pour beaucoup de parents il n’est pas facile de se rendre à l’école aux heures de l’enseignement. La notion d’invitation est très importante : l’école Freinet de Mons-en-Barœul invite en début d’année chaque famille individuellement. L’accueil est primordial, le parent est attendu, il est reçu avec un sourire. Le système scolaire apparaît aux familles moins opaque, la confiance se réinstalle.

L’enfant est moins aux prises avec les « conflits de loyauté » entre la famille et l’école. Il peut mieux faire face à la multiplicité des discours : discours de l’enseignant, du ministère, de la famille, de ses amis. Sans dispositif de coopération pour en parler, il est tiraillé entre tous ces discours, ce dont son entourage n’a souvent pas conscience.

Quelques points de vigilance cependant

On ne sait pas, d’entrée de jeu, coopérer : la coopération, ça s’apprend.

Il faut veiller à la composition des groupes, en fonction de la tâche envisagée. Pour la recherche d’idées, le groupe est plus large, pour la remédiation orthographique, il se réduit.  Si l’on a besoin d’un vote, mieux vaut un groupe impair. De façon générale, il faut varier les profils (fille /garçon, origine sociale, compétences) et ne pas maintenir les groupes trop longtemps.

Il faut éviter la spécialisation, car se spécialiser ne permet pas le développement des compétences, et prévoir la rotation sur les tâches fondamentales. Dans certaines écoles, même l’équipe de direction est tournante et intègre, chaque année, un nouvel enseignant dont les tâches sont alors allégées.  Les enseignants ont un peu le trac au début, puis ils attendent avec hâte le moment où ils vont pouvoir prendre ces fonctions. 

Au sein d’un groupe, il faut éviter que quelqu’un prenne le pouvoir et confisque la parole. S’il faut mettre en place des mécanismes de contrôle, le rôle de contrôleur doit être provisoire. 

Enfin, la mise en place de dispositifs impliquant les enseignants est essentielle. Il faut prévoir au moins une réunion de travail, organisationnelle et pédagogique, une fois par semaine. Dans beaucoup d’écoles c’est le mardi soir :  les enseignants prennent leur repas ensemble et peuvent travailler jusque tard dans la nuit. Ils ne disent pas que c’est lourd mais estiment au contraire que c’est un moment agréable.   

Sans être la panacée, la coopération a bien des atouts. Les projets en étant les supports, ils engagent les pratiques dans la temporalité et dans le devenir. Mais il faut que cela fasse sens dans l’esprit des acteurs de l’établissement. Une professeure des écoles, séduite par le concept, fait remarquer que la coopération est difficile à instaurer quand on a toujours connu une organisation verticale, en tant qu’élève, en tant qu’étudiante et en tant qu’enseignante. Yves Reuter lui répond que c’est à chacun de voir où il met le curseur.

Il n’est pas question d’envisager le tout coopération dans une école à pédagogie traditionnelle. Il faut agir par petites touches, faire des essais, tâtonner, pour re-construire une école de la confiance, où chacun se sent à la fois libre et à sa place.

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