Innovations pédagogiques : la créativité sous la contrainte du confinement

France info et We Demain ont organisé l’événement « Et si on changeait l’école ? » au studio 104 de la Maison de la radio et en streaming vidéo le 24 septembre 2020.
Le 2 février 2021

Radio France organisait en septembre 2020, en présentiel et en streaming, son premier forum Éducation baptisé « Et si on changeait l’école », consacré au partage d’innovations pédagogiques et réunissant un panel d’éducateurs, d’enseignants, et de chercheurs. L’occasion de réfléchir collectivement aux innovations pédagogiques et à l’école dans le monde d’après.

La crise sanitaire a mis crûment en lumière les difficultés, déjà anciennes, auxquelles est confronté le monde éducatif. À l’école, beaucoup d’élèves ne se sentent pas en confiance, alors qu’elle est essentielle pour une communication apaisée ; les résultats PISA2 sont médiocres en dépit des moyens importants mis en œuvre ; les parents sont angoissés, le taux de « décrochage » augmente et on a trop souvent l’impression que seuls les enfants des milieux favorisés ont toutes leurs chances.

Mais la crise sanitaire a peut-être agi aussi comme un accélérateur du changement. Aujourd’hui, rares sont ceux qui réfutent l’idée de faire évoluer l’école, de rompre avec le schéma classique d’un maître autoritaire face à un élève passif. Changer l’école, oui, mais comment ? Avance-t-on à grands pas vers l’école d’après ?

Les enseignants et les chercheurs font assaut d’imagination pour tenter d’inventer de nouvelles manières d’enseigner autour de quelques idées fortes et séduisantes d’originalité. Les maîtres-mots semblent bien être le « care » 3, la communication et l’autonomie. Dans une société fragmentée, comment motiver et donner confiance à chaque élève, comment faire de chacun un citoyen libre et émancipé ? Faut-il former les enseignants… à prendre des risques ? Peut-on aller plus loin, jusqu’à modifier sensiblement la relation maître-élève, sans aller peut-être jusqu’au concept de « maître ignorant », cher à Jacques Rancière ?

L’élève apprend autrement

Les innovations pédagogiques sont nombreuses, nous en retiendrons trois.

Les pédagogies alternatives

La piste des pédagogies alternatives est toujours à l’honneur, et les personnels de l’enseignement public sont eux-mêmes formés à la méthode Montessori. Il est aujourd’hui acquis que grâce au précepte « Apprends par toi-même » les enfants bénéficient d’un enseignement bien adapté à leur personnalité et sont plus heureux. Les résultats sont probants et les critiques de l’aspect systématiquement « positif » de l’enseignement ne se font plus guère entendre. Si la méthode Montessori semble pouvoir s’appliquer à tous les enfants, elle reste cependant réservée aux petites classes. Le matériel, les supports de travail coûtent cher mais les formateurs parviennent à trouver des solutions par le partage, l’échange, la mutualisation des moyens.

Le jeu est la forme la plus élevée de la recherche. Albert Einstein

À la base de la méthode Montessori, la pédagogie par le jeu évolue avec l’escape-game éducatif ou jeu d’évasion pédagogique qui propose une mission et des énigmes à résoudre en un temps limité. Il s’adapte à toutes les phases d’apprentissage, à toutes les matières, et peut même être utilisé pour faire découvrir un établissement en début d’année, pour le passage du CM1 à la 6e, par exemple. Il développe des compétences aussi bien disciplinaires que transversales.

Les individualités se révèlent, les comportements se modifient. Le bon élève sort de sa zone de confort et ne sera pas forcément à l’aise, l’élève introverti face au verdict du professeur ou de la classe se révélera un excellent meneur quand il ne se sentira plus observé, un élève plus difficile sera responsabilisé et motivé par l’envie d’emmener son équipe à la victoire. L’échec est valorisé, pour montrer qu’il est ce qui construit et non pas ce qui stigmatise.

Depuis près d’un demi-siècle, il se servait de son esprit comme d’un coin pour élargir de son mieux les interstices du mur qui de toute part nous confine. Marguerite Yourcenar, L’OEuvre au noir (1968)

La science et l’initiation à la recherche

Le programme éducatif Les Savanturiers, avec à sa tête Ange Ansour, repose sur l’idée du « learning by doing » (l’apprentissage par la pratique). C’est un projet d’éducation par la recherche, mené par les élèves, orchestré par un ou plusieurs enseignants et portant sur un ou plusieurs champs d’investigation scientifique : neurosciences, climatologie, high-tech, numérique, astrophysique, droit, histoire, sociologie, etc. Il s’agit d’une formidable initiation à la méthode scientifique.

L’enseignant se connecte, choisit un thème et bénéficie de la formation proposée. L’exemple en images était la réalisation d’un projet réalisé par une classe de CM2, « Le robot témoin de la Première Guerre mondiale – Recherche sur l’intelligence artificielle ». Après un brainstorming, les enfants ont souhaité travailler sur l’intelligence artificielle, et leur choix s’est porté sur un robot animal. Ils expliquent leur méthode, les étapes d’avancement du projet, avec notamment la réalisation d’un programme informatique.

Ange Ansour explique que le programme scolaire n’est pas un obstacle à l’élan créatif ; c’est un choix démocratique avec lequel il faut compter, une contrainte qui ne fait que renforcer la liberté créative. Un projet Savanturier s’insère parfaitement dans une année scolaire, en permettant à l’enfant de trouver lui-même les solutions dans une optique de partage des savoirs : il apprend à raisonner, à faire des arbitrages, pour être d’ores et déjà acteur face aux nombreux défis de demain.

La relation maître-élève évolue

La vieille représentation du maître omniscient donnant des explications remâchées à un élève passif, immobile… et rarement motivé, a vécu. La réflexion sur les pédagogies innovantes passe par un nouveau positionnement du maître face à l’élève. Le premier descend de l’estrade pour dialoguer avec le second d’égal à égal. L’élève est vu comme un interlocuteur responsable digne d’être écouté.

L’enseignant s’efface et l’élève se responsabilise

Face à la détérioration du climat scolaire, la médiation par les pairs contre la violence en milieu scolaire constitue une stratégie très efficace, sans intervention des adultes. Dans ce domaine, il n’y a pas de petits conflits ; comme pour les incendies, il faut réagir tout de suite, au risque de se trouver rapidement dans une situation immaîtrisable.

France info et We Demain ont organisé l’événement « Et si on changeait l’école ? » au studio 104 de la Maison de la radio et en streaming vidéo le 24 septembre 2020.

Les élèves volontaires reçoivent une formation aux compétences psychosociales et aux techniques de la médiation. Le jour J, les adultes donnent la clef de la salle aux élèves médiateurs, qui, toujours à deux, doivent proposer une solution. Ils ont appris à reformuler les faits, à aider les élèves impliqués à exprimer leurs sentiments, à rappeler les grandes valeurs. Ils n’hésitent pas à demander aux intéressés de quoi ils auraient besoin pour sortir satisfaits de la médiation. Médiateurs et intéressés se revoient la semaine suivante pour s’assurer que la solution a bien été appliquée et que le résultat est conforme aux attentes.

La médiation repose sur la confiance réciproque entre adultes et jeunes et sur l’effacement des premiers qui ne sont pas dans la salle de médiation ; ils sont volontaires et ne craignent pas pour leur autorité, conscients qu’il ne s’agit plus d’un rapport hiérarchique mais de personnalités qui cheminent ensemble. Un jeune qui a été médiateur n’est plus le même. Il découvrira vite que les conflits des adultes sont très semblables à ceux des enfants et se souviendra des vertus de l’écoute active, de la bienveillance et de la communication.

La classe pousse les murs : la classe mutuelle et la classe inversée

La salle de classe imaginée par Jean-Baptiste de La Salle n’a guère évolué depuis le xviie siècle. L’élève y est statique ; il lui est interdit de se lever et de parler. L’orateur a pris conscience que ses élèves utilisaient le champ lexical de la mort : « On est des corps morts, des zombis, on ne voit que des dos. »

Le principe de la classe mutuelle repositionne l’élève dans la classe : il se déplace, discute avec les autres élèves, l’apport théorique de l’enseignant y est minimal. L’orateur, Vincent Faillet, qui a développé le concept, s’est rendu compte qu’il était encore trop directif. Il accepte que ses élèves mettent en doute l’intérêt de l’exercice qu’il leur soumet et se livrent à un exercice complètement différent.

L’évolution sachant-apprenant évolue également avec le concept de classe inversée, qui a été poussé à l’extrême avec le confinement. L’idée est de traiter les tâches complexes quand l’enseignant est présent, et de déporter la réalisation des tâches simples à la maison.

Marie Soulié, professeure de français en collège et adepte de la classe inversée, reconsidère la présentation de la consigne pendant le confinement. Elle se rend compte qu’il y a un décalage entre la consigne et la réalisation de l’attendu, et met en place ce qu’elle nomme la « pédagogie des petits pas ». Au lieu de dire tout à trac « imaginez un récit d’aventures », elle poste une image qui va intriguer les enfants, puis des personnages ; elle propose alors la consigne à des élèves testeurs qui lui font un retour, et pointent, par exemple, un mot qui n’est pas clair. Les résultats sont bien meilleurs.

La réflexion sur les nouvelles pédagogies passe par un nouveau positionnement du maître face à l’élève.

L’enseignant n’est jamais exclu, il change simplement de posture. Comme le montrait Jacques Rancière, il émancipe l’élève en le contraignant à utiliser sa propre intelligence. « La pratique des pédagogues s’appuie sur l’opposition de la science et de l’ignorance. Ils se distinguent par les moyens choisis pour rendre savant l’ignorant […] La confrontation des méthodes suppose l’accord minimal sur les fins de l’acte pédagogique : transmettre les connaissances du maître à l’élève. Or, Jacotot n’avait rien transmis. Il n’avait fait usage d’aucune méthode. La méthode était purement celle de l’élève […] La comparaison ne s’établissait plus entre des méthodes mais entre deux usages de l’intelligence et deux conceptions de l’ordre intellectuel. » 4

Il aurait fallu évoquer les autres thèmes, tous passionnants et qui tous pourraient faire l’objet d’un article à part entière, comme la place du numérique à l’école ou la difficile question de la formation des enseignants. Ce fut un parti pris de porter l’éclairage sur la relation maître-élève car ils sont les héros qui marchent ensemble vers l’école de demain. On pourra former les profs à l’envi, ce sera un coup d’épée dans l’eau si l’élève n’a pas conscience et de ses propres facultés à progresser et de la plasticité de son cerveau, comme nous l’enseignent les neurosciences. C’est ainsi qu’il sortira du déterminisme et du fatalisme pour devenir un citoyen à la pensée libre et éclairée.

  1. Véronique Forsse est spécialisée dans l’édition d’ouvrages sur l’éducation au sein de la maison d’édition Berger-Levrault. Elle s’intéresse également à l’innovation dans le monde de l’éducation.
  2. Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
  3. Terme utilisé aujourd’hui dans le sens de « prendre soin de quelqu’un ».
  4. Rancière J., Le maître ignorant, 2017 (1987), J’ai lu, p. 26-27.
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