Revue
DossierSusana Nunes, un impact positif par la finance
Arrivée dans le milieu de la finance un peu par hasard, Susana Nunes a longtemps cherché un moyen d’avoir un impact positif autour d’elle. Elle a co-fondé WeDoGood, une entreprise qui souhaite reconnecter la finance avec le bien commun.
De son expérience professionnelle, Susana Nunes a tiré un enseignement sans équivoque : la finance est au cœur de la transition écologique. Un citoyen qui souhaite agir à son échelle peut recycler ses déchets et se déplacer à vélo, mais sait-il que son épargne déposée à la banque sert à financer massivement les énergies fossiles, première cause du changement climatique, au détriment des énergies renouvelables ? Sur la période 2016-2017, les banques françaises ont accordé 42,9 milliards d’euros de prêts divers aux énergies fossiles, soit 71 % de leur investissement dans les énergies. Un chiffre en hausse par rapport à l’année précédente. Mais existe-t-il des alternatives ?
C’est une question à laquelle Susana Nunes a tenté de répondre par l’affirmative en créant WeDoGood en 2015. Cette plateforme permet aux particuliers de réaliser des placements en finançant des projets à impact positif. Dès 10 euros, il est possible de soutenir une entreprise, qui répond à des critères sociaux et environnementaux stricts et transparents. En se développant, celle-ci remboursera les investisseurs en reversant chaque trimestre une partie de son chiffre d’affaires en royalties. « Un véritable projet de vie, pour la co-fondatrice, sûre d’elle. »
Une rencontre comme point de départ
L’aventure débute en 2014, lorsque Susana rencontre Jean-David Bar. Son discours la passionne : redynamiser l’économie locale, impliquer tous les citoyens, rendre la finance concrète, accessible et impactante. Même si la jeune femme n’a pas d’affinités avec la finance, elle trouve le défi « hyper intéressant » et commence à participer au projet. « Au fur et à mesure, je suis tombée amoureuse de l’équipe, de la bienveillance, de la motivation, je pouvais avoir un impact au quotidien. »
S’en suivent de longues sessions de travail, épuisantes mais passionnantes, pour créer le projet dont ils rêvent. WeDoGood prend son envol. En 2015, ils financent leur premier projet, et en 2017 Susana peut se rémunérer. L’entreprise s’est formée pas à pas, en prenant en compte les expériences de chacun. Car, même si elle est optimiste, la jeune femme n’a pas connu des conditions de travail toujours faciles dans ses anciens jobs. Elle a vécu le mauvais management, celui qui fait partir ses collègues en burn-out. Dans sa vision de l’entreprise, elle accorde une grande place à la collaboration et au soutien de l’équipe, « parce que l’entreprise, ce sont surtout les gens », résume-t-elle. Un cadre de travail si idyllique qu’elle en vient même à s’inquiéter pour le futur de ses stagiaires. « Nous les formons, ils ont des responsabilités, on partage tout avec eux, même les informations financières, ils peuvent lancer des projets. Ça ne va pas être évident d’être confronté à des entreprises plus strictes après. »
Du Portugal à la France
Cette carrière était pourtant loin d’être une évidence. Susana est originaire de Coimbra, dans le centre du Portugal. Ses parents y tiennent un restaurant. Elle découvre très jeune le rythme de vie et les sacrifices qu’engendre l’entrepreneuriat. Pendant très longtemps, elle se convainc que cette vie n’est pas faite pour elle. Elle veut une vie normale, avec un salaire, des horaires et des congés payés. Mais « ma vie est faite de signes », plaisante Susana. Des signes qui l’ont conduite à Nantes, dans une « équipe de professionnels engagés pour mettre la finance au service des entrepreneurs qui changent le monde. J’ai arrêté mes activités associatives, ajoute-t-elle, car on ne peut pas être partout. Si je veux avoir un impact, il faut que je me recentre ».
Des signes, mais pas seulement. Très active, Susana a toujours travaillé. « C’est la plus bosseuse de nous tous, elle est très réactive, assure Adrien, son associé, qui loue par ailleurs ses qualités humaines. Elle est très positive. Si Susana n’aime pas quelqu’un c’est que cette personne est vraiment mauvaise. Je me moque un peu d’elle sur ce point. » Au Portugal, elle réalise quatre ans d’école de journalisme, et travaille à côté dans un journal local. Elle atterrit ensuite en France, pour un stage d’un an à Rennes, où elle se perfectionne en français, « c’était ma deuxième langue en étude, j’étais très bonne à l’écrit, je corrigeais même les fautes d’orthographe de mes collègues. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait un monde entre l’écrit et l’oral », raconte-t-elle. Forte de ses progrès, elle décroche un CDD à Paris, où elle enchaîne avec deux ans à Sciences Po. En parallèle, elle est cheffe du pôle déchet de l’asso Sciences Po environnement, un job à plein-temps ! Mais même en travaillant dans des entreprises engagées, la jeune femme, qui regorge d’idées et de projets, trouve le rythme trop lent : elle ne voit pas son impact au quotidien.
Après l’obtention de son master en communication, les signes se manifestent à nouveau. La ville de Paris ne lui correspond pas, son compagnon de l’époque déménage à Nantes, et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), pour qui elle a déjà travaillé en tant que chargée de communication, lui propose un travail sur place. Susana fait donc ses valises pour rejoindre cette ville qu’elle ne connaît pas. Repartir travailler au Portugal ? Ce n’était pas dans ses plans. La mentalité française lui plaît bien. Ici, on manifeste, on fait grève, on râle. Une vision différente du Portugal. « Quand je disais que j’étais malheureuse dans mon travail, les gens me disaient : “tu devrais être heureuse d’avoir un travail.” C’était l’excuse pour tout, on devrait tous être heureux de ne pas être dans une situation pire. J’aime bien être dans un pays où on peut contester, il y a quand même des valeurs qui sont là, qui sont historiques et qui nous sont rappelées régulièrement. Ça me correspond très bien comme état d’esprit. »
Elle participe à un « start-up week-end » dès son arrivée à Nantes, dans le but de s’intégrer et de s’investir dans son nouveau lieu de vie. Frustrée de ne pas avoir eu plus l’occasion de s’engager à Paris par manque de temps, elle rejoint plusieurs associations, liées à l’écosystème du développement durable. C’est là qu’elle rencontre Jean-David Bar. « Il nous arrivait de nous croiser deux à trois fois dans la même semaine car nous nous intéressions aux mêmes sujets, se souvient la jeune femme. » Des engagements qu’elle a, depuis, ralentis. « J’ai arrêté mes activités associatives, car on ne peut pas être partout. Si je veux avoir un impact, il faut que je me recentre un peu. Mais globalement j’ai réussi à trouver un équilibre qui me plaît. »
WeDoGood est une plateforme permettant aux particuliers de réaliser des placements en finançant des projets à impact positif. Dès 10 euros, il est possible de soutenir une entreprise, qui répond à des critères sociaux et environnementaux stricts et transparents.
Ce qui n’était pas forcément le cas durant cette période, au cours de laquelle elle se pose des questions quant à son avenir professionnel. Elle se déclare auto-entrepreneure et s’essaie au conseil, à la prestation de service… Mais la finalité n’est pas enthousiasmante. « Je savais que quelque chose se passait car j’avais envie de créer, c’est juste que je ne me voyais pas le faire seule. » La volonté de trouver du sens dans son travail et d’avoir, par ce biais, un impact positif concret dans son environnement, la mène doucement vers une vision entrepreneuriale. « Une association peut aussi répondre à des enjeux environnementaux mais ça va être plus dur car elle va dépendre d’autres secteurs pour le financement. L’État c’est long, les collectivités dès qu’il y a un changement de maire, plus rien ne se passe car il faut attendre de voir de quelle couleur sera la prochaine politique. Donc ce n’est pas évident, pour avoir une vision concrète et pratique qui permette d’avancer, il faut avoir une vision d’entrepreneur, expose Susana. On a tendance à être enfermé dans notre monde, mais plein de gens ne sont pas dans ce contexte. Parfois j’ai peur que le fait d’oublier qu’ils existent nous fasse avancer d’une manière qui n’est pas cohérente avec la réalité. »
Elle en assume tous les aspects. Au quotidien, ses tâches sont très variées et pas toujours plaisantes. Elle reconnaît d’ailleurs toucher ses limites sur plusieurs thématiques. « Elle est modeste, elle n’aime pas aller sur les sujets sur lesquels elle ne se sent pas très compétente, souligne son associé Adrien. Mais au moins si elle dit qu’elle fait un truc, ce sera bien fait. » Elle ne cache pas, par exemple, ses difficultés avec le démarchage commercial : « Je ne suis pas très douée et je n’aime pas ça. Soit les gens ont compris la valeur ajoutée, ça leur parle et ils veulent travailler avec nous, soit c’est fini, je ne veux pas insister, ce n’est pas dans mon profil. Ni d’être trompeuse dans mes arguments, j’en suis incapable. »
Ses prochains objectifs ? Passer la crise sanitaire et faire en sorte que tout le monde prenne conscience des enjeux de la finance locale. Susana est pédagogue, et elle veut l’être pour tous. Elle ne veut pas oublier toutes ces personnes qui n’ont pas le choix de se poser ces questions, ou qui n’y pensent simplement pas. « On a tendance à être enfermé dans notre monde, mais plein de gens ne sont pas dans ce contexte et parfois j’ai peur que le fait d’oublier qu’ils existent nous fasse avancer d’une manière qui n’est pas cohérente avec la réalité. Pour moi c’est important de parvenir à embarquer tout le monde. J’aimerais créer plus de ponts. C’est un défi difficile. On n’a pas encore réussi, il faut qu’on travaille. » Travailler avec le sourire, avoir un impact positif autour de soi, voilà qui résume bien l’engagement de Susana, dont l’énergie ne tarit pas alors que WeDoGood a soufflé ses cinq bougies, et a financé près d’une centaine de projets pour près de 4,5 millions d’euros. À 35 ans aujourd’hui, elle assure ne pas avoir encore « atteint la trentaine » dans sa tête.