Les 10 propositions du Comité 21 pour faire face à la "Grande Transformation"

Comité 21 prospective
Présentation du rapport sur "La Grande Transformation. Freins, leviers et moteurs" du Comité 21 lors du sommet Changenow, au Grand Palais, à Paris, le 30 janvier 2020.
©J. Nessi
Le 5 février 2020

Le Comité de prospective du Comité 21 a rendu public son rapport intitulé "La Grande Transformation. Freins, leviers et moteurs" le 30 janvier dernier à l'occasion du sommet Changenow, le rendez-vous annuel de l'innovation environnementale, organisé durant trois jours au Grand Palais à Paris.

 

Selon Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de Haute finance et président du Comité de Prospective du Comité 21, « la décennie 2020-2030 sera cruciale pour relever l’immense défi historique et incroyable du changement climatique ». Fruit de deux ans de travail et animé par un comité composé d'une trentaine de chercheurs, d'experts et d'administrateurs, ce rapport prospectif de près de 200 pages invite à repenser le futur et préconise dix propositions concrètes pour changer le système.

 

Le rapport souligne aussi la force transformatrice des territoires, des villes et des régions qui apparaissent les mieux placés pour s'organiser face aux chocs socio-économiques et environnementaux.

Le Comité 21, le Comité français pour l'environnement et le développement durable crée en 1995 dont la mission est d'accompagner les acteurs publics comme privés dans la mise en place de l'Agenda 21, frappe un grand coup avec la publication de ce rapport. Au-delà de l'analyse des points de blocage et des freins (techniques, économiques, sociétaux, politiques) qui expliquent l'insuffisance des mesures prises voir l'impression d'immobilisme des acteurs de nature diverse pour engager un changement de logiciel, le rapport identifie des leviers de transformation et propose 10 solutions concrètes pour passer à l'acte.
« Ce rapport veut aussi refléter à la fois la voix de ceux qui considèrent que l’humanité est menacée par des risques d’effondrements divers, mais aussi que les défis pour surmonter ce moment critique sont à portée de la capacité humaine de transformation», est-il précisé en introduction.
Nous préférons employer le terme de "Grande Transformation" plutôt que celui de "transition" trop doux, oserais-je dire trop mou. Lorsque nous parlons de "Grande Transformation", c’est aussi une manière de remettre en cause les anciens modèles des grandes révolutions industrielles, explique Philippe Dessertine, le président du Comité de Prospective du Comité 21, durant la présentation au Sommet Changenow.

Pourquoi l'objectif de la "Transformation" ne percole pas ?

La difficulté à changer d’échelle et la méthodologie de la transformation sont deux motifs généraux qui pourraient expliquer l’impasse d’aujourd’hui. Selon les auteurs, le changement d’échelle est incontournable à cause de la montée des risques et de l’universalité de ceux-ci. Or, pour l'instant, les initiatives restent trop isolées les unes des autres, l'enjeu consistant à passer de la petite à la grande échelle. 

Le monde global est soumis à un nouvel impératif catégorique : le changement d’échelle. Il faut des généralisations, mais adaptées à chaque pays, à chaque ville, à chaque territoire, à chaque groupe de population. Cela induit une vraie méthodologie, peut-on lire à la page 34 du rapport.

Justement, en ce qui concerne la méthodologie de la transformation, les auteurs estiment qu'elle s'est jusqu’ici avérée insatisfaisante et incertaine quant à ses résultats, compte tenu de la gestion des urgences et de l’accélération des phénomènes. Et pour engager cette "Grande Transformation", ils suggèrent tout simplement de changer radicalement de méthode.

Une transformation « radicale » est sans doute la seule à même de se révéler plus bénéfique, sous condition que cette radicalité soit définie d’abord, et socialement acceptable et démocratiquement partagée. Et, il ne faut pas négliger non plus le fait que ce changement de méthode nous sera peut-être imposé par l’histoire, est-il clairement écrit dans le rapport.

Les auteurs passent également en revue les autres freins qui favorisent l'immobilisme actuel à engager cette "Grande Transformation" : des freins techniques, économiques (l'inadéquation des moyens budgétaires et financiers, la force de "l'imaginaire de la croissance"), sociétaux (difficulté à changer de comportements, les freins psychiques, la pauvreté et les inégalités) et politiques (instabilité politique externe et interne, le doute et la défiance dans les relations entre les décideurs politiques et la société civile, la question de la construction d'un « récit positif » qui accepte le fin du mythe de la croissance).

Quatre principaux leviers de transformation

Face à ces freins, le rapport du Comité de prospective identifie quatre vecteurs de transformation :

  • les mutations technologiques et techniques « qui doivent impérativement être mises au service de l'amélioration environnementale et climatique », particulièrement pour la transformation numérique, l'intelligence artificielle et l'énergie;
     
  • les mutations économiques, en émergence ou se manifestant depuis de nombreuses années (les nouveaux modèles économiques, la transformation de l'entreprise, l'investissement pour la transition climatique et écologique, la taxation du carbone, la finance durable, la comptabilité publique;
     
  • le changement des modes de vie à travers "la citoyenneté écologique", la sobriété, la réduction des inégalités;
     
  • une meilleure gouvernance des biens communs grâce aux Objectifs du développement durable, au nouveau "pacte vert pour l'Europe" présentée en décembre 2019, dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, à la gouvernance du développement durable et au "green budgeting".

La force transformatrice des territoires

Les territoires, les villes et les régions apparaissent les mieux placés pour s’organiser face aux chocs socio-économiques et environnementaux, à travers la planification territoriale, la déclinaison territoriale des Objectifs du développement durable (ODD), la déconcentration et la décentralisation, l'expérimentation et l'appropriation culturelle.

Les forces vives sont dans les territoires. Aujourd’hui, le local est un terreau vivant pour engager cette Grande Transformation, comme l'a fait par exemple la Nouvelle Aquitaine, région pionnière avec sa feuille de route régionale dédiée à la transition énergétique et écologique baptisée « Néo Terra »1. Les Objectifs du développement durable (ODD) doivent être territorialisés, les « révolutions minuscules » à l'échelle des individus peuvent aussi faire avancer les choses », explique Bettina Laville, présidente du Comité 21.

Parmi les 10 propositions préconisées par le rapport pour entamer la bascule, la proposition numéro 6 "Vers une loi 5D" invite le gouvernement à penser non pas une loi 3 D (Déconcentration, Décentralisation et Différenciation) mais une loi 5 D prenant en compte le Développement Durable. Une piste intéressante pour permettre aux collectivités territoriales d'engager dès maintenant cette "Grande Transformation".

L'occasion de rappeler que le Comité 21 a publié en novembre 2019 lors du Salon et Congrès des maires de France un guide pratique « Pour l’appropriation de l’Agenda 2030 par les collectivités françaises » afin d'inciter les collectivités à mettre en œuvre localement les 17 (ODD).

Le territoire est l’espace où l’on vit, dans sa « chair territoriale », les risques majeurs de notre époque, où l’anxiété est incarnée dans les changements climatiques, l’effacement des saisons, les inondations, les incendies, la sécheresse, les pertes agricoles, les pollutions, etc. Bruno Latour a bien identifié cette peur du « hors sol », au sens propre comme au sens figuré, qui caractérise de plus en plus notre époque, est-il écrit page 106 du rapport.

Le rapport souligne donc l'importance d'enclencher cette "Grande Transformation" dans les territoires, lieux d'expérimentation et d'appropriation culturelle par les habitants.

 

Parmi les 10 propositions préconisées par le rapport pour entamer la bascule, la proposition numéro 6 "Vers une loi 5D" invite le gouvernement à penser non pas une loi 3 D (Déconcentration, Décentralisation et Différenciation) mais une loi 5 D prenant en compte le Développement Durable. Une piste intéressante pour permettre aux collectivités territoriales d'engager dès maintenant cette "Grande Transformation".

 

Les 10 propositions du Comité 21 pour changer le système

  1. Mobiliser la sphère Enseignement Supérieur de la Recherche (Proposition 1)
    La recherche scientifique et l'éducation permanente des citoyens sont la base de la transformation et de son acceptabilité : il faut amplifier l'éducation au développement durable et mobiliser les acteurs de l'enseignement supérieur.
     
  2. Une Chambre du futur (Proposition 2)
    La prise en compte du long terme est encore insuffisante dans les décisions publiques et privées : il faut renouveler la prospective comme perspective de sens et créer une Chambre du futur.
     
  3. L'Agenda 2030 pour et par tous (Proposition 3)
    L'Agenda 2030 est la feuille de route universelle adoptée par la communauté internationale, mais elle est encore insuffisamment appropriée par les différents acteurs et les citoyens. Cette appropriation est un préalable à l'engagement sociétal de la société civile : il faut l'accompagner.
     
  4. Des sociétés de bien commun (Proposition 4)
    La notion d'intérêt général fait progressivement place à celle de bien commun. La constitution de "sociétés de bien commun" permettrait, dans un premier temps à titre expérimental, d'associer des collectivités et des entrepreneurs, autour de projets environnementaux, sociaux, numériques...
     
  5. Un revenu vital universel (Proposition 5)
    La lutte contre les inégalités est une priorité  pour une véritable transformation. Il est suggéré de regrouper les aides publiques pour les plus pauvres dans un esprit d'accès à un "Revenu Vital Minimum adapté".
     
  6. Vers une loi 5D (Proposition 6)
    Le projet de loi 3D intègre de façon pertinente les trois vecteurs de transformation que sont, pour les collectivités territoriales, la déconcentration, la décentralisation et la différenciation. Mais il oublie de les placer sous le timbre du développement durable : il faut donc passer d'une loi 3D à une loi 5D.
     
  7. L'économie d'usage (Proposition 7)
    L'usage prend progressivement le pas sur la propriété. Afin de promouvoir l'économie de la fonctionnalité, il est proposé de lui donner un cadre de régulation innovant et de créer un statut juridique supérieur à la notion d'usage.
     
  8. Investir avec des indicateurs d'impact (Proposition 8)
    Des investissements massifs sont à faire et leurs choix est lié à la définition préalable d'indicateurs d'impact, scientifiquement fondés. Il faut s'engager dans ce processus financier vital et, parallèlement, supprimer toutes les dépenses budgétaires et fiscales défavorables à l'environnement.
     
  9. Compter ce qui compte (Proposition 9)
    La prise en compte des externalités et du long terme soit entrâinée une révision des normes comptables et une nouvelle comptabilité patrimoniale.
     
  10. La Grande Adaptation (Proposition 10)
    Accélérer la transformation en adaptant les secteurs qui le peuvent aux nouvelles conditions climatiques annoncées, en mobilisant par une loi cadre sur l'adaptation.

1. « Néo Terra » constitue la feuille de route régionale dédiée à la transition énergétique et écologique en Nouvelle-Aquitaine. En juin 2018, cette Région devenait la première région française à publier une évaluation du risque climatique, avec le projet « AcclimaTerra », alors présenté comme une déclinaison régionale du rapport du GIEC.

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