À quoi ressemblera l'innovation publique demain ?

Le 24 mars 2023

Dans ce troisième épisode de  « Cinq ans d'explorations publiques », le podcast anniversaire de la revue Horizons publics, on va s’intéresser plus précisément à la place des chercheurs dans l’action publique mais aussi à l’avenir de l’innovation publique.

Ce troisième épisode prolonge nos réflexions tirées du hors-série « 5 ans d’explorations publiques » paru en 2022. Un numéro anniversaire qui est revenu sur les tendances marquantes de l’innovation publique qu’on a pu observer ces cinq dernières années : l’essor des « biens communs », l’innovation en temps de crise sanitaire, la place des usagers et des agents dans la fabrique de l’action publique, le recours au design de service comme méthode d’expérimentation publique, les enjeux d’adaptation à la crise climatique et la fin du dogme de l’aménagement du territoire.

Ce podcast anniversaire est aussi l’occasion de questionner l’innovation publique : où en est-elle ? où va-t-elle ? Qui sont les principaux acteurs de cet écosystème ? Quels sont les outils et les méthodes en vogue ? Quel bilan peut-on tirer des laboratoires d’innovation publique qui se sont multipliés ces dernières années ? L’innovation publique est-elle condamnée à rester en marge des grandes transformations ? Comment dépasser « l’innovation washing » qui consiste à utiliser l’innovation pour communiquer plutôt que pour transformer ! Allons-nous vers une nouvelle séquence de l’innovation publique avec une approche plus systémique et plus en phase avec les mutations du monde moderne ?

Justement, dans ce troisième épisode d’« Horizons publics, le podcast anniversaire », on va s’intéresser plus précisément à la place des chercheurs dans l’action publique mais aussi à l’avenir de l’innovation publique.

Comment faire tomber les murs entre les chercheurs/chercheuses et les décideurs publics ? C’est le titre d’un grand entretien que j’avais pu réaliser avec Agathe Cagé dans la revue Horizons publics en avril 2019. Dans un essai percutant Faire tomber les murs entre intellectuels et politiques, Agathe Cagé, énarque et normalienne, appelle à une meilleure collaboration entre chercheurs et politiques pour relever les multiples défis de la transformation publique. Selon elle, universitaires et politiques doivent retisser des liens pour conduire autrement les politiques publiques. Voilà ce qu’elle nous expliquait en 2019, des propos qui s’avèrent toujours d’actualité encore aujourd’hui.

Responsables politiques et intellectuels doivent, pour filer une métaphore théâtrale, accepter de jouer chacun leur rôle à l’intérieur d’une pièce commune. Il n’appartient pas aux chercheurs de fixer les termes du débat politique. Mais, d’une part, il leur appartient de produire une pensée critique que les responsables politiques doivent accepter comme une contribution à l’amélioration de leur action, et d’autre part, les chercheurs en sciences humaines et sociales conçoivent des analyses de la réalité sociale et des grilles de compréhension – mais aussi d’évaluation – des phénomènes sociaux, sociétaux, économiques, géopolitiques, historiques, etc., qui sont susceptibles de constituer pour les responsables des politiques publiques, dès lors qu’ils savent s’en saisir, un éclairage extrêmement précieux. De plus, certains d’entre eux choisissent d’être également des forces de proposition.

Le thème de la place de la recherche dans l’action publique, régulièrement traité dans la revue Horizons publics, nous semble être l’un des angles morts de l’innovation publique. Les chercheurs en sciences humaines, sociologues, anthropologue, mènent en effet des enquêtes de terrain, souvent en immersion, qui peuvent nourrir les politiques publiques. Ce sont deux mondes qui ne se parlent pas assez… Les décideurs publics ont plutôt tendance à aller voir du côté des… consultants. La Commission d’enquête du Sénat l’a bien rappelé cette année 2022 avec son rapport polémique qualifiant l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques de « phénomène tentaculaire » !

Le journaliste Philippe Guichardaz qui collabore activement à la revue Horizons publics, sollicite très régulièrement le monde de la recherche pour remettre en perspective des enjeux de politiques publiques. Le rôle des chercheurs est majeur pour éclairer les politiques publiques, nous explique-t-il.

Il ne s'agit pas que les sociologues et les anthropologues prennent des décisions, mais en tout cas ils ont, ils font un travail de fond et ils ont quelque chose que les politiques n'ont pas. C'est le temps. Ils n'ont pas d'injonction de temps alors qu'effectivement le temps électoral et le temps d'un chercheur, forcément ce n'est pas le même. Mais quand tu veux, quand tu réalises un programme de transformation aussi important et aussi transversal que la dématérialisation qui touche tous les Français. 

A quoi ressemblera l’innovation publique demain ? C’est aussi cette question de fond qu’on a voulu explorer dans ce troisième épisode, avec celles et ceux qui font la revue Horizons publics. Et c’est clairement l’enjeu climatique qui va redistribuer les cartes de l’innovation, qu’elle soit publique ou privée. L’innovation publique va devoir s’aligner sur la transformation écologique… et s’attaquer aux vrais problèmes, plus systémiques… Question de survie !

L’innovation publique de demain passera par des formes de renoncement, c’est la conviction de Nicolas Kada. On y est déjà aujourd’hui en quelque sorte avec la sobriété…

L'innovation publique est contrainte et condamnée à se mettre au service de cette cause qui est la lutte contre le dérèglement climatique. (…) L'Occidental, au XXIᵉ siècle, est il prêt à renoncer à un certain nombre de biens qui contribuent aujourd'hui à son confort, tout simplement pour sauver la vie humaine ou préserver l'habitabilité de la planète ?

Face à l’urgence climatique, les acteurs publics ont justement un rôle essentiel à jouer. Mais leur mobilisation est-elle à la hauteur ? C’est ce qu’exprime Stéphane Cordobes, le directeur de l’Agence d’urbanisme de Clermont-Ferrand, lorsqu’il s’est confié à notre micro.

On a déjà parlé précédemment de la mobilisation des acteurs publics autour de ces problématiques de changement global. Ils sont en train de se mobiliser. Cette mobilisation, elle s'accroît chaque jour davantage. Néanmoins, on ne peut pas dire aujourd'hui que cette mobilisation est suffisante et qu'elle a atteint un niveau qui permet de faire face aux enjeux qui sont les nôtres. Donc, il y a une évolution rapide, il y a un partage, une sensibilité de plus en plus importante de l'ensemble des agents publics à ces problématiques. Mais on est très clairement pas encore au niveau pour pour y faire face. On peut aussi s'interroger sur sur la place de l'action publique dans les actions à mener, ce qui est un peu différent je crois. C'est une intime conviction, c'est même une force. C'est même plus que ça que l'action publique va être absolument centrale pour faire faire, pour faire face à ce changement global. Tout simplement parce que ce qui est menacé, ce n'est pas simplement un modèle économique, ce n'est pas simplement une ressource économique, c'est tout simplement le monde commun dans lequel nous habitons.

Protéger les ressources naturelles de son territoire, ce sera peut-être  ça l’innovation publique de demain en temps de crise écologique. C’est aussi la conviction de David Le Bras, le délégué général de l’ADGCF, qui a mis en place un comité scientifique pour sensibiliser les DGS à ces enjeux.

À mon sens, le vrai enjeu de demain, c'est la question de la protection. Un bon élu, un bon élu, ce ne sera pas l'élu qui développe son territoire ou en tout cas pas de façon traditionnelle. Mais ce sera l'élu qui parvient à protéger son territoire, son territoire. Entendu au sens large, la population. La biodiversité, les ressources naturelles, et cetera Etc. C'est à partir de Où il préservera ce territoire qu'il arrivera évidemment à répondre aux besoins de sa population en termes de services publics, mais dans une logique de préservation, dans une logique de développement, on va dire alternative.

Une approche plus systémique, c’est vers ça que doit tendre l’innovation publique, au risque de s’essouffler… L’avenir de l’innovation publique repose sur ce changement de paradigme, bref, il faut maintenant qu’elle s’attaque aux questions de gouvernance et de comptabilité, pour « compter vraiment ce qui compte » - pour reprendre l’un des titres d’un dossier Horizons publics publié en 2022… Voilà ce que nous a confié Stéphane Vincent, le délégué général de la 27e Région :

Les tendances telles que je le ressens d'abord. Il y a de façon de façon un peu générale, d'abord, il y a une forme d'épuisement des formes classiques de l'innovation publique. Je pense qu'il y a des gens qui aussi attendent de comprendre quelle est la vision qu'il y a derrière. Innover, c'est bien, mais avec quel, avec quelle finalité ? Et du coup, en ce moment, il y a un réalignement de l'innovation avec les sujets de sobriété, de redirection écologique, de justice sociale. Et ça, ça pourrait devenir, j'allais dire enfin intéressant. Peut être qu'il y a enfin des des finalités de transformation publique qui qui font corps avec les besoins de la société d'aujourd'hui. Mais puis, après les tendances que je ressens, ça peut dans deux directions et il y a à la fois une direction d'approfondissement. On a, J'ai un collègue en Angleterre qui parle de l'innovation, c'est maintenant. On a attaqué la surface visible de l'iceberg, mais maintenant il faut attaquer sous l'iceberg. Et donc c'est aussi l'innovation réglementaire, c'est l'innovation de gouvernance, c'est l'innovation comptable.

Giulia Reboa est sur la même longueur d’onde que Stéphane Vincent. L’innovation publique telle qu’elle est pratiquée jusqu’à présent ne fait qu’effleurer la surface, ne s’attaque pas aux enjeux structurels : l’égalité femme-hommes, la reconnaissance de la diversité et du genre, la lutte contre les injustices sociales ou encore les discriminations dans la fonction publique… Pour cette fonctionnaire engagée, les labos d’innovation servent à encadrer l’innovation au lieu de la libérer ! Mais surtout l’avenir de l’innovation passe avant tout par le pouvoir d’agir des agents et cadres intermédiaires.

Bah encore une fois, c'est ce que je disais tout à l'heure, je crois c'est que pour moi, la plus belle perspective de l'innovation publique, ça reste le principe de stabilité du service public. Ça reste ces agents publics qui, au quotidien, font un peu plus que leur travail, font un pas de côté, font différemment, sont profondément engagés en fait. Donc ça pour moi, enfin, je veux dire, quand on voit comment l'hôpital public a fonctionné au moment de la crise, les aides-soignants, les infirmiers, les médecins. D'ailleurs, je mets tout ça au masculin, mais en fait il y avait quand même beaucoup de femmes. Ça c'était de la stabilité et on n'a pas appelé ça une innovation publique. Mais pour moi, ça, c'est le plus bel espoir.

Pour Elisabeth Dau, ce sont les partenariats publics-communs, des formes réinventées d’agir collectif – voire d’auto-gouvernement – qui débordent souvent le cadre associatif, qui sont une voie d’avenir innovante. C’est en quelque sorte l’administration partagée d’espaces ou de services urbains, avec les habitants, comme a commencé à le faire l’Italie. La France reste encore largement à la recherche des bonnes formules juridiques mais aussi de la juste distance entre les différents acteurs.

Les partenariats Public commun, c'est une façon de valoriser la démocratie contributive, c'est à dire la participation des habitants. Je vais dire des habitants parce qu'il ne s'agit pas seulement de citoyens avec la catégorie citoyenneté officielle. Donc ça peut être aussi des migrants qui n'ont pas la nationalité ou qui n'ont pas leurs papiers forcément en règle. Donc des habitants à la gestion et l'organisation de l'administration publique locale face à des défis qui sont qui sont nombreux, qui peuvent être la gestion d'un urbanisme fait, d'un patrimoine urbain, culturel, qui décrépit et que la municipalité ne peut plus préserver et conserver. Réparer seul, ça peut être de l'urbanisme transitoire aussi. Ça peut être des chantiers ouverts au public, comme l'ont entrepris les élus de Grenoble notamment. Et il est important de reposer cette démocratie contributive et donc les partenariats public commun, comme une façon d'organiser une administration partagée comme quelque chose qui ne vient pas seulement compenser les lacunes ou les fragilités de l'administration, mais comme une capacité à mieux faire face à la complexité du monde moderne. Donc, ce n'est pas numérisé, ce n'est pas déléguer des fonctions de service public à moindre coût sur les citoyens, c'est faire mieux avec eux.

 

Bref, l’innovation publique n’a pas fini de faire parler d’elle !

Ce podcast anniversaire a été réalisé par Julien Nessi, rédacteur en chef d'Horizons publics, avec le concours de Louie Média, qui en a assuré la post production et la création musicale. Avec la participation de Lydie Margery, Alexia Decaix, Stéphane Vincent, Stéphane Cordobes, Giulia Reboa, Nicolas Kada, Elisabeth Dau, David Le Bras et Philippe Guichardaz.

Pour suivre l’actualité d’Horizons publics : horizonspublics.fr / https://twitter.com/HorizonsPublics

La revue est disponible par abonnement, ou au numéro en librairie et sur notre boutique en ligne.

 

 

 

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