Transitions : les parcs naturels régionaux en ordre de marche

Le 1 juillet 2021

Le management de la transition offre un cadre d’analyse novateur, car encore peu mobilisé en France dans le cadre de démarches d’anticipation territoriale, qu’elles soient pratiquées sous la forme d’exercices de prospective territoriale, de planification territoriale ou autres projets de territoire. Au regard de ce cadre, les parcs naturels régionaux (PNR), avec leurs partenaires, semblent les mieux structurés pour initier et amplifier les dynamiques de transition.

La notion de transition connaît une montée en puissance et un intérêt croissant. Sur les territoires, cela se traduit à travers le mouvement des villes en transition, la multiplication des dispositifs contractuels (contrat territorial de relance et de transition écologique, contrat de transition écologique, etc.) ainsi qu’une diversité d’initiatives portées par des individus ou des collectifs. Bien que les dimensions écologique ou énergétique soient très prégnantes, les dynamiques de transition ne sauraient s’y résumer : elles sont également culturelles, sociales ou encore économiques.

Cependant, cette montée en puissance se traduit encore principalement dans le cadre de démarches sectorielles – autour de l’énergie principalement – mais plus timidement dans le cadre d’approches globales et multithématiques. Même si la question de la transition énergétique renvoie également à des problématiques de mobilités, d’activités économiques ou encore d’inégalités, l’entrée est d’abord énergétique. Les approches globales restent quant à elles circonscrites à des échelles de proximité, à l’image de villes en transition ou de collectifs. À notre connaissance, aucune intercommunalité, ni département ou région n’est globalement en transition. Si certaines de ces collectivités peuvent être engagées dans des transitions sectorielles (énergétique, écologique), elles ne sont pas globalement en transition.

Au regard de l’intérêt croissant porté à la transition, une question émerge : comment procéder pour engager ou amplifier une transition à une échelle significative ? Nous croyons peu probable l’émergence d’une génération spontanée d’acteurs qui, en dehors des sphères institutionnelles, soient capables de générer une transition globale à une échelle élargie. C’est pourquoi les collectivités nous semblent avoir une responsabilité particulière pour initier ou amplifier une telle dynamique. Mais les méthodes pour y arriver restent encore à expérimenter…

Le management de la transition : un concept fertile

Une équipe de recherche néerlandaise, réunie autour de Jan Rotmans, Derk Loorbach et René Kemp notamment, s’est interrogée sur la façon de procéder pour permettre ces transitions en faisant le pari qu’orienter de telles transitions était possible. À partir de premières expérimentations, le concept de management de la transition (transition management) a été formulé. Son émergence et son approfondissement sont le fruit d’un processus de coproduction entre les sphères de la politique et de la recherche.

Le recours au management de la transition permet de composer avec les incertitudes, de stimuler la connaissance, l’innovation et les changements ou encore d’articuler des orientations de long terme avec des actions de court terme.

Le concept tente de combler le fossé entre les démarches descendantes de la planification et les approches incrémentales ascendantes. Il cherche à mettre au profit d’une orientation plus stratégique les innovations ascendantes, par une coordination de tous les niveaux de gouvernance, en favorisant de nouvelles interactions ainsi que des cycles d’actions et d’apprentissages. Le recours au management de la transition permet de composer avec les incertitudes, de stimuler la connaissance, l’innovation et les changements ou encore d’articuler des orientations de long terme avec des actions de court terme.

Pour les auteurs, les gouvernements ou collectivités ont un rôle spécifique pour initier le processus de transition, le stimuler et lui offrir des conditions favorables. Ils peuvent servir de médiateurs entre les acteurs et bien sûr mettre l’action publique au service des transitions.

L’anticipation territoriale au service des dynamiques de transition

Le management de la transition peut être mobilisé à bon escient dans le cadre de démarches d’anticipation territoriale, qu’elles soient pratiquées sous la forme d’exercices de prospective territoriale, de planification territoriale ou autres projets de territoire.

L’anticipation territoriale permet la définition de perspectives vers lesquelles tendre ainsi que les actions à mettre en œuvre pour y parvenir. Le management de la transition permet cependant de préciser les modalités des démarches d’anticipation territoriale, pour une meilleure contribution aux dynamiques de transition. Les auteurs du concept identifient ainsi un certain nombre d’activités de gouvernance nécessaires pour orienter les transitions : les activités stratégique, tactique, opérationnelle et réflexive2. Ils identifient aussi des enjeux à relever, comme réussir à définir une perspective partagée – alors que chaque acteur a sa propre vision et ses propres perspectives – déterminer les étapes à court terme – alors que la compréhension de l’influence des étapes de court terme sur les dynamiques de long terme reste peu évidente –, éviter de s’enfermer dans des solutions qui obèreraient le développement de solutions plus optimales à l’avenir ou encore se préserver de la myopie des acteurs politiques.

Les auteurs insistent sur l’apprentissage réflexif permis par la pratique et les expérimentations, ainsi que la nécessité d’un processus permanent. Ces modalités permettent d’ajuster avec réactivité les visions et programmes d’actions en fonction des enseignements issus des expérimentations ainsi que de l’évolution des contextes territoriaux ou de l’émergence de nouveaux enjeux.

Ils insistent également sur l’élargissement des instances de gouvernance, qui gagnent à être davantage distribuées, plus ouvertes aux innovations et garantes de la bonne prise en compte des enjeux de long terme, au premier rang desquels se retrouvent nombre d’enjeux environnementaux.

Les parcs naturels régionaux : champions (potentiels) de la transition

Le management de la transition offre un cadre d’analyse novateur, car encore peu usité en France. Nous l’avons mobilisé pour analyser le potentiel de contribution aux dynamiques de transition d’anticipations territoriales de différentes natures (projets de territoire, schémas de cohérence territoriale [SCoT] et chartes de parcs naturels régionaux [PNR]).

Les exercices d’anticipation territoriale sont majoritairement conduits de façon ponctuelle et limitée dans le temps. L’élaboration des projets s’étale sur une année pour les plus rapides à deux-trois ans pour les plus longs. Mais une fois le projet élaboré celui-ci est rarement réinterrogé, lors de sa mise en œuvre, avant plusieurs années : un bilan des SCoT doit être réalisé à minima au bout de six ans, une évaluation d’une charte de PNR doit être réalisée à mi-parcours de sa durée de quinze ans… Or, comme l’a très bien analysé Hartmut Rosa3, nos sociétés sont confrontées à une accélération sociale, générant des changements de plus en plus rapides, une apparition permanente de nouveaux enjeux et un accroissement des incertitudes.

Pour les auteurs du management de la transition, les activités stratégique, tactique, opérationnelle et réflexive s’inscrivent dans des cycles en rotation permanente, dont les rythmes peuvent être différents selon la nature des actions ou des expérimentations mises en œuvre. Le processus est permanent et non linéaire. Les activités tactiques peuvent se situer sur des scènes et avec des acteurs différents, avec leur propre temporalité. Ainsi, l’ajustement de chacune des activités du cycle se fait par petites touches, en fonction des actions et expérimentations mises en œuvre et de leur évaluation. L’évaluation d’une expérimentation peut ainsi amener à corriger la perspective tout comme le nouveau programme d’actions. Ce processus permanent permet d’ajuster avec réactivité aussi bien les perspectives que les actions mises en œuvre à l’évolution des contextes territoriaux ou à l’émergence de nouveaux enjeux. Les différentes démarches d’anticipation analysées sont encore globalement loin de ce type de processus. C’est un axe de progrès à investir.

Parmi les anticipations analysées, plusieurs d’entre elles se limitent à l’énoncé d’orientations ou d’objectifs, relevant de l’activité stratégique. Les activités tactique et opérationnelle sont quant à elles absentes, aucune action ou expérimentation n’étant identifiée pour décliner ces orientations ou objectifs. C’est le cas de certains projets de territoire, mais également des SCoT. L’analyse au prisme du management de la transition de cette catégorie d’anticipation territoriale fait ressortir un potentiel de mise en transition des territoires limité. La modernisation des SCoT, à la suite des ordonnances de la loi ELAN4, devrait cependant permettre une amélioration significative de ces derniers, avec l’intégration d’un programme d’actions.

La structuration de leur gouvernance, l’implication des partenaires et acteurs dans la mise en œuvre de leurs chartes, leurs missions d’innovation et d’expérimentation, leurs responsabilités dans la prise en compte des enjeux de long terme… positionnent les PNR en pole position de la course aux transitions.

De l’ensemble des anticipations étudiées une catégorie se distingue particulièrement : les chartes de PNR. Ces dernières couvrent l’ensemble des activités du management de la transition, même si, comme vue ci-dessus, le processus n’est pas encore complètement permanent, ni l’activité réflexive très intense en dehors des évaluations réglementaires. La dimension innovation et expérimentation est bien présente, faisant partie des cinq missions attribuées aux PNR. Parmi les anticipations analysées les chartes de PNR sont celles où les partenaires sont les plus engagés : si une charte est votée par le conseil syndical du parc, elle associe de nombreux partenaires, financeurs, qui en sont aussi signataires. Les communes délibèrent individuellement sur la charte. Le conseil régional vote également la charte et pour finir, c’est au ministère que revient la décision d’attribuer ou de renouveler le label. Si l’organisation de la gouvernance ne va pas aussi loin que ce qu’envisagent les auteurs du management de la transition, ce sont cependant les PNR qui s’en rapprochent le plus.

Il ressort ainsi de l’analyse au prisme du management de la transition que les PNR, avec leurs partenaires, semblent les mieux structurés pour initier et amplifier les dynamiques de transition. Si leur potentiel est le plus élevé, des ajustements restent cependant à opérer pour nombre de parcs afin d’atteindre un optimum indispensable à des transitions d’ampleurs. Mais les bases sur lesquelles s’appuyer sont déjà solides.

Le chantier est ouvert

La structuration de leur gouvernance, l’implication des partenaires et acteurs dans la mise en œuvre de leurs chartes, leurs missions d’innovation et d’expérimentation, leurs responsabilités dans la prise en compte des enjeux de long terme… positionnent les PNR en pole position de la course aux transitions. La course n’est cependant pas encore gagnée, elle reste encore grandement à faire, mais les bases sont en place. Comme nous y invitent ses auteurs, le concept du management de la transition ne demande qu’à être enrichi des expérimentations locales pour s’améliorer. Aux PNR de poursuivre les améliorations et à l’ensemble des collectivités de s’engager à leur tour selon leurs spécificités, la structuration de leur gouvernance, leurs acteurs… pour amplifier les dynamiques de transition. Le chantier est ouvert !

  1. Il est également consultant au sein du cabinet Inddigo.
  2. Pour une présentation plus détaillée des activités, se reporter à Le Fur R., « L’anticipation territoriale au service des dynamiques de transition », Horizons publics hiver 2021, hors-série, p. 32-37.
  3. Rosa H., Accélération. Une critique sociale du temps, 2010, La Découverte.
  4. L. n2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN ».
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