Urban Fest : place à la sobriété dans la fabrique de la ville

Métamorphoses urbaines
La revue Métamorphoses urbaines entend décrypter les tendances de fond de l’innovation urbaine et présente les solutions concrètes pour un avenir plus sobre.
©Paris&Co
Le 8 février 2023

Pour sa seconde édition, le festival des transitions urbaines organisé par l’Urban Lab, la plateforme dinnovation urbaine de Paris&Co, a été l’occasion de faire un point sur la démarche d’innovation de la ville de Paris et d’annoncer le lancement du plus grand programme d’expérimentation en zone urbaine d’Europe avec la ville de Paris, la métropole du Grand Paris, la Banque des territoires.

Lors de la conférence de presse en présence de Pénélope Komites, adjointe à la Maire de Paris chargée de l’innovation, Eric Lejoindre, Maire du 18ème arrondissement, Geoffroy Boulard, Vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à l’innovation, Loïc Dosseur, Directeur Général de Paris&Co, Marion Apaire, directrice du pôle ville durable de Paris&Co, a annoncé la sortie de la revue Métamorphoses urbaines, synthétisant une partie des travaux menés par l’organisation. Cette première revue décrypte les tendances de fond du secteur et présente les solutions concrètes pour un avenir plus sobre.

L’innovation au cœur de la capitale

Marion Apaire détaille les trois leviers d’action de l’Urban Lab : l’outillage de l’écosystème de la ville low tech, l’accompagnement à l’essor de projets vertueux, l’expérimentation.

Penelope Komites présente le renouvellement des outils d’accompagnement des entreprises, restés inchangés depuis des années. Désormais, ils s’organisent autour de deux axes majeurs: l’innovation sociale et l’innovation au service d’une ville écologique. L’élue insiste sur le changement de paradigme puisqu’il ne s’agit plus de « faire de l’innovation pour faire de l’innovation » mais d’investir dans des initiatives existantes recentrées sur une ville sociale, résiliente et écologique. Ces innovations peuvent concerner la gestion des déchets, la construction, l’économie circulaire ou encore l’accueil des réfugiés. D’ailleurs, il s’agit bien de porter des projets incitant au changement des comportements  au  niveau collectif, cela concerne aussi bien les industries présentes sur le territoire que la Ville et les Parisiens et Parisiennes.

Eric Lejoindre donne l’exemple du 18e, ce quartier aux multiples facettes, un quartier populaire en transition, un territoire où l’on peut expérimenter des modèles et travailler sur les questions de la mobilité, de la transition écologique, culturelle, de la mixité. Plusieurs secteurs sont en pleine mutation : Chapelle Internationale, Chapelle Chardon, Ordener-Poissonnier, Gare des Mines-Fillettes. Le maire du 18e rappelle que c’est dans cet arrondissement que sont nés la Caverne, premier lieu d’agriculture en sous-sol à Pari, la première centrale photovoltaïque d’Europe et la Louve, le premier supermarché coopératif parisien.

Il met aussi l’accent sur deux autres projets. Le premier, Carbone Urbain, développé à la gare des Mines Fillettes, vise à dépolluer les sols de cette ancienne gare de transport de charbon. Le second, Bavar(T), un lieu dédié à la culture travaillant avec le 104 et le Shakirail, entend favoriser l’inscription de Montmartre au patrimoine culturel de l’Unesco.

Loic Dosseur rappelle que l’Urban Lab, un espace de 8000m2, représentant un investissement de la ville de Paris, a permis d’accueillir des jeunes entreprises. La manière dont l’univers des startups s’ouvre sur la ville constitue l’un des grands défis à relever.

Selon Penelope Komites, l’objectif est de montrer aux jeunes des quartiers que l’entrepreneuriat n’est pas réservé à une élite.

Elle souligne la sensibilité des jeunes entrepreneurs aux enjeux sociétaux et environnementaux, ces derniers opteraient d’ailleurs pour des statuts à mi-chemin entre la startup et l’économie sociale, voire des statuts coopératifs.

Eric Lejoindre réfute cette opposition classique entre le monde de la tech et celui des personnes éloignées de l’emploi. En effet les quartiers populaires rencontrent les mêmes problématiques que les autres quartiers de la ville et constituent des terrains favorables à l’expérimentation. Il donne l’exemple de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD) menée dans le quartier Charles Hermite où l’on a travaillé sur la gestion des déchets à travers une Entreprise à But dEmploi (EBE). La Louve, premier supermarché coopératif parisien, issu d’un modèle étasunien, constitue un autre exemple de la porosité entre les différents univers. Dès l’origine, il visait une clientèle diversifiée, engagée en faveur de l’écologie qui voulait aussi réduire sa facture alimentaire. Selon Eric Lejoindre, la culture de « la débrouille » et celle de l’innovation, ne sont pas totalement opposées. Au contraire parfois l’on retrouve le même type d’énergie dans des populations qu’a priori tout éloigne. Il donne enfin l’exemple de la coopérative Olvo, devenue les Carbonautes, une entreprise de cyclo-logistique pionnière à Paris. C’est un logiciel qui programme les livraisons en fonction du poids des objets tout en rationalisant les déplacements à vélo. Cet exemple illustre bien, selon lui, le virage tech pris par les entreprises de l’ESS. En parallèle, les entreprises à mission, un modèle émergeant dans le privé, se rapprochent de l’ESS.

Essaimer dans le Grand Paris

Pour Marion Apaire et Loic Dosseur, 12 ans après le lancement de Paris&Co, le lancement du plus grand programme d’expérimentation en zone urbaine d’Europe est le fruit d’une méthode éprouvée, testée sur le terrain. Une innovation juste et utile place l’usager au cœur de la démarche ; l’expérimentation, par son caractère temporaire et réversible, permet de tester de nouvelles approches et solutions. Quand elles fonctionnent, on peut les déployer à plus large échelle. Cette méthode soutenue par la ville de Paris se diffuse dans deux quartiers d’expérimentation : Paris Rive Gauche dans le 13e et Chapelle Internationale dans le 18e. C’est l’occasion de travailler avec la mairie d’arrondissement, les habitants, les entreprises implantées localement.

Après 12 ans d’expérience et près de 350 projets accompagnés par la Ville, la démarche change d’échelle en s’ouvrant au Grand Paris.

Pour Geoffroy Boulard, Vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à la communication et à l’innovation, cette démarche correspond au projet que la métropole souhaite porter. Elle entend tirer parti de ce qui a été réalisé à Paris, cette idée de concentrer l’innovation à échelle d’un quartier avec une forte volonté publique. Elle souhaite déployer ce programme en partenariat avec Paris&Co, l’opérateur principal grâce à son savoir-faire en matière d’accompagnement de l’innovation et Choose Paris Région pour faire venir des innovations de l’étranger en leur proposant un terrain d’expérimentation.

Le projet consiste d’une part à sélectionner des acteurs de l’innovation et de l’autre 3 communes et 4 quartiers par commune.

Les maires sont encouragés à proposer des lieux étonnants : un terrain, un hangar, un ensemble de bâtiments, une friche.

Geoffroy Boulard souligne l’importance du partage de compétences, incarné par le réseau d’élus métropolitains. Ce réseau composé de 180 élus dont la feuille de route comprend l’innovation et/ou le numérique, vise à favoriser l’échange et la diffusion de l’esprit d’innovation. Chaque trimestre les élus visitent un lieu important d’innovation. Le second axe de ce réseau concerne la formation des agents, fonctionnaires, directeurs. Chaque promotion compte 30 agents, parmi eux notamment des chargés de mission Smart City ou des DSI. Enfin, ce réseau vise à diffuser les bonnes pratiques, en s’appuyant sur l’expérience parisienne.

Emmanuel Grégoire rappelle que le programme d’expérimentation à la ville a été lancé il y a plus de dix ans ce qui apporte une profondeur de réflexion, renforcée par la professionnalisation de Paris & Co. À l’origine, dans les années 2008, il s’agissait de faire de Paris un territoire de démonstration en accompagnant les innovations par une preuve de concept. Nombreuses étaient les startups souhaitant dans leur chemin de développement pouvoir montrer aux investisseurs le fonctionnement de leur produit ou service. À l’échelle parisienne, le premier quartier d’expérimentation s’est construit autour de l’hôpital national de la vision, des 15-20 avec l’idée de déployer les technologies au service des déficients visuels: mobilier urbain intelligent, tactile, guidage, accessibilité. Cette opération a été menée avec un réseau de partenaires, qui a lui-même gagné en maturité : des universités, centres de recherche, accélérateurs et incubateurs. La Ville de Paris porte l’idée d’une approche territorialisée désormais étendue au Grand Paris. En ce sens l’Arc de l’innovation, une approche remontant à 2010 consiste à relier les énergies, compétences et complémentarités entre pôles d’innovations, grandes écoles, universités, grandes structures d’accompagnement et parcours immobilier des entreprises innovantes.

Emmanuel Grégoire ajoute que la Métropole du Grand Paris a pris un relais extrêmement important et efficace pour développer les projets à l’image de Paris, une ville monde.

« Sobriété : sommes-nous prêts ? Des paroles aux actes »

La deuxième conférence porte sur les leviers pour mettre en place la sobriété tels que la réutilisation des espaces vacants, la mutualisation des réseaux (chaleur, eau etc), la réduction de la consommation d’énergie.

Selon Charlotte Girerd, la Directrice Transition, RSE et Innovation chez SNCF Immobilier, dans un monde de ressources finies le vrai défi consiste à trouver des formes de vie, de nouveaux modèles économiques, économisant un maximum de ressources tout en trouvant une juste technologie permettant à tous d’en profiter et de la maîtriser.

Le laboratoire d’Envie, réseau d’entreprises professionnelles qui fêtera ses 40 ans en 2024, fait figure de modèle dans sa fabrique et son usage. Jean-Paul Raillard, Président du réseau, raconte la genèse de la construction d’un bâtiment sobre, fait de matériaux réutilisés : murs en parpaings, sans peinture ou recouverts de peinture réutilisée, économie de 20 tonnes de produits non indispensables. Dans cet immeuble de 4 étages, les usages aussi invitent à la sobriété : le showroom propose des petits et gros électroménagers vendus 50% du prix neuf avec deux ans de garantie; le tiers-lieu ouvert sur les arrondissements environnants organise des ateliers apportant des solutions concrètes et faciles à appliquer (fabriquer sa propre lessive); c’est enfin le siège du carrefour des formations à la réparation.

Pour Jean Michel Kaleta, Directeur Services aux Collectivités Recyclage et Valorisation Ile-de-France de l’entreprise Suez, il convient d’associer la sobriété à la prévention et non pas à l’idée de la contrainte. Si l’entreprise travaille sur cette question depuis des années, aujourd’hui il y a un véritable enjeu d’accélération. Aux prises avec les collectivités, les entreprises, les usagers, les citoyens, habitant d’un quartier, membre de l’ESS, des startups, Suez accompagne les parties prenantes dans le montage des projets de manière concrète, notamment sur le foncier mais aussi en investissant sur des outils digitaux. Elle a notamment créé un compteur de déchets intelligent, l’équivalent d’un compteur électrique incitant à réduire la consommation énergétique. Selon le directeur des services aux collectivités, l’objectif est de réconcilier l’usager avec des notions fondamentales : sa production de déchets, son évolution dans le temps, les performances. Le contrat signé avec la ville de Montauban introduit un véritable changement de modèle contractuel, il s’agit d’un contrat de performance sur la gestion des déchets. Suez s’engage à réduire le tonnage de déchets sur la durée du contrat (10%). Pour y parvenir l’entreprise travaille avec les entreprises de l’ESS implantées localement. Les usagers ont accès à l’application, un outil pour réduire leur production de déchets. Le contrat prévoit aussi des prestations de broyage de déchets verts à domicile pour les habitants ayant des jardins, des propositions pragmatiques et concrètes, en aval ou en amont de la chaîne de production de déchets. Jean-Michel Kaleta précise que l’objectif est de généraliser ce système avec un enjeu de taille pour janvier 2024 : l’obligation des collectivités de proposer à leurs habitants la collecte de biodéchets.

Interrogée sur le groupe de réflexion consacré à l’immobilier et la construction low tech, Charlotte Girerd rappelle que l’on est entrés dans une véritable course contre la montre face aux différentes crises. D’où la création de ce groupe réunissant GRDF, Groupama Immobilier, BNP Real Estate, Paris&Co, et SCNF Immobilier dont l’objectif est de travailler ensemble dans des logiques open source. La réflexion sur la construction neuve et/ou la réparabilité d’un bâti doit tenir en compte les questions autour de la propriété, des usages et des libertés individuelles. Travailler sur la low tech consiste, entre autres à imaginer des systèmes de climatisation plus économes, remettre de la végétation dans les villes, utiliser de la peinture blanche sur les bâtiments (permettant d’abaisser la température jusqu’à 7 degrés). Selon Charlotte Girerd, les bonnes solutions seront celles qu’on sera capables nous-mêmes de réparer, de transmettre facilement à d’autres. Cela invite à réfléchir autrement en mettant en avant non pas ce que l’entreprise (ou la collectivité) dépense mais ce qu’elle économise, notamment en termes de carbone. Dans cette optique on prend en compte le système global du bâtiment, son usage, son implantation, la proximité des transports, cela conduit naturellement à planifier. Cette planification interroge la question de l’échelle, des alliances de territoire que l’on peut passer. La directrice transition chez SNCF Immobilier donne l’exemple du contrat des agriculteurs de Toulouse avec les cantines du Gers. Si de prime abord, il se présente comme une évidence, il a nécessité l’adaptation du Code des marchés.

En conclusion, Marion Apaire annonce la création d’un deuxième collectif autour des modèles hybrides de l’immobilier.

Elle souligne l’importance de faire de la place aux circuits courts, aux lieux de réparation, aux initiatives visant à adopter des pratiques plus sobres tout en rappelant les nombreuses questions que cela pose : des questions économiques, juridiques, d’espace, de loyer etc. Des questions sur lesquelles l’Urban Lab entend se pencher l’année prochaine.

×

A lire aussi