Zéro artificialisation nette : le Gouvernement suivra-t-il le Sénat ?

Village de Baroville, Aube.
Village de Baroville dans le département de l'Aube.
©Fotolia.
Le 19 janvier 2023

La mission de contrôle du Sénat a remis sa proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN. Elle réclame une démarche ascendante qui parte des territoires. Détricotage, réalisme ? Notre enquête.

Avec la loi Climat et résilience du 22 août 2021, le zéro artificialisation nette (ZAN) est rentré dans le dur. Il faudra en effet diviser par deux la consommation foncière d’ici 2031 et atteindre le ZAN à l’horizon 2050. Mais la mission conjointe de contrôle (MCC) du Sénat (1), présidée par la sénatrice du Nord Valérie Létard (Union centriste) et composée de 20 membres de tous les partis politiques (sauf LFI et RN) a déposé une proposition de loi (PPL) le 14 décembre dernier, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de ZAN (2). « Elle devrait être examinée au Sénat le 8 mars prochain », selon Jean-Baptiste Blanc, sénateur du Vaucluse (LR) et rapporteur de la mission. Sophie Primas, sénatrice LR des Yvelines, serait rapporteur de la PPL.

7,8 millions de logements nécessaires d’ici 2050

Les enjeux sont multiples. Pour Jean-Baptiste Blanc, « c’est peut-être la préoccupation la plus importante des élus locaux en ce moment. Il s’agit de corriger cette loi sans sortir du ZAN » et de revenir sur « une démarche centralisatrice et descendante où l’État s’appuie sur les régions pour imposer de manière uniforme le SRADDET (Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) », puis « les objectifs du ZAN ».

Pour Jean-Baptiste Blanc, « c’est peut-être la préoccupation la plus importante des élus locaux en ce moment. Il s’agit de corriger cette loi sans sortir du ZAN »

Le ZAN impacte en effet les constructions de logements, de bâtiments économiques et d’infrastructures. Mais « il ne peut s’appliquer de manière uniforme et doit considérer les contingences géographiques, les dynamiques démographiques, les besoins d’équipements, de logements… et les potentiels de réinvestissement (friches, logements vacants, délaissés…) », indique Services conseil expertises et territoires (SCET), filiale de la Caisse des Dépôts, dans son livre blanc « Réarmer l’intervention publique face au défi du ZAN » (novembre 2022). Autant d’éléments différant d’un territoire en croissance démographique à la diagonale du vide, en passant par une métropole,  un secteur littoral ou les DOM-TOM.

Ensuite, le ZAN modifie profondément le modèle économique d’aménagement urbain. L’accès à un foncier facilement urbanisable allant devenir plus rare, « la proportion d’opérations de recyclage foncier et de densification va mécaniquement augmenter dans les zones en tension », prévoit SCET.

Or, ces opérations complexes (contexte juridique, dépollution, démolition, milieux contraints…), si elles sont massifiées, nécessiteront un temps d’aménagement plus long (3,5 ans aujourd’hui en moyenne). Avec la limitation du foncier disponible induite par le ZAN, cela va renchérir le coût de la construction, aggravé par le surcoût du recyclage urbain, la conjoncture économique (matériaux plus chers) et les difficultés de recrutement dans le secteur. D’où un accroissement du déficit des opérations pour les collectivités.

Dans le même temps, la demande est là, puisque, même si la population française resterait quasi-stable selon l’INSEE d’ici 2070, le besoin de production de logements est estimé selon la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) à 7,8 millions entre 2020 et 2050. Cette demande, liée à une forte décohabitation (divorces, familles monoparentales), pourrait être couverte en théorie pour moitié, selon SCET, par les logements vacants, mais « 60 % de cette vacance se situe dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants (ndlr : moins en tension) ».

En matière de foncier économique, selon une enquête du groupe de travail « Concilier sobriété foncière et développement économique » (3), 28 % des parcs d’activité sont déjà saturés, 41 % le seront d’ici 2025 et 93 % d’ici 2030 et que près des deux tiers des territoires refusent des projets d’implantation par manque de foncier. Selon SCET, « si l’objectif ZAN s’attaque principalement à l’étalement résidentiel, la pression foncière sur le logement induite dans certains territoires plus urbains pourrait toutefois avoir un impact sur le foncier économique. Celui-ci pourrait devenir une ‟variable d’ajustement”… ».  

Le principe de la territorialisation avorté

Pour atteindre les objectifs du ZAN, il faut changer de modèle. À l’État de « favoriser la faisabilité de la densification et encourager l’intensification du renouvellement urbain », selon SCET. Localement, les collectivités devraient articuler « urbanisme de planification et passage à l’opérationnel » et favoriser la densification, profiter des révisions de SCOT prévues en 2026 et de PLU en 2027, pour « éviter que le foncier ne soit capté par les activités les plus rentables (immobilier) », selon SCET. Problème, les Français aspirent toujours aujourd’hui à l’habitat individuel, avec des propriétaires de maisons passés de 78,2 % en 1990 à 82,2 % en 2019. SCET estime donc qu’il faut rendre la densité acceptable, avec des logements plus qualitatifs (réversibles, plus grands, ce qui réduit toutefois la densification…), des espaces publics plus qualitatifs (mais que fera-t-on de mieux qu’aujourd’hui ?), une densification autour des centralités, des pôles de transports en commun (au risque de les bonder ?) …

Mais rendre la densité « acceptable » coûtera 20 et 30 % plus cher selon SCET : difficile à absorber pour les ménages… et les collectivités dont certaines ne pourront plus subventionner suffisamment les opérations, d’où des inégalités territoriales.

Sans vouloir la fin de la loi Climat, la mission conjointe de contrôle (MCC) du Sénat estime, elle, qu’il faut revoir le ZAN dans une démarche ascendante. « Redonnons des outils aux territoires pour leur développement », note Christian Redon-Sarrazin, sénateur PS de la Haute-Vienne, cosignataire de la proposition de loi (PPL).

Pour qu’il n’y ait pas de perdants du ZAN (la ruralité, la montagne, les petites villes…) et de gagnants (les métropoles), il faut des garde-fous. Le principe de territorialisation a ainsi été adopté, sur proposition du Sénat, dans la loi Climat pour que les propositions des élus locaux sur les SCOT remontent aux régions, censées ensuite les discuter pour différencier les territoires et aboutir à des SRADDET modifiés. Problème, « les préfets n’ont pas accompagné les élus locaux dans ce processus et les régions n’ont pas le courage d’arbitrer entre les territoires, regrette Jean-Baptiste Blanc. Certains élus ont fait des propositions, mais pas partout… ». Ce processus entamé en octobre devrait prendre fin le 22 février 2023, délai jugé insuffisant par la MCC, qui réclame un an de concertation locale supplémentaire.

Selon Valérie Létard, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, « admet que le cadre devrait évoluer et qu’il y a un risque juridique, mais aucune modification de la loi ni des décrets (4) n’est intervenue à ce stade ».

La PPL reprend quatre axes, avec d’abord un dialogue et un suivi renforcé au niveau régional (axe 1). Cela passe par une conférence des SCOT transformée en conférence régionale du ZAN, forum de dialogue à saisir par les représentants des collectivités territoriales. Se réunissant annuellement, elle suivrait les trajectoires du ZAN, mettrait à disposition de la région des avis sur certaines décisions (modifications du SRADDET, Grands projets d’intérêt national –GPIN-…). « Aux régions, compétentes en aménagement du territoire, de veiller à ce que tous les territoires puissent se développer », estime Cécile Cukierman, sénatrice PC de la Loire.

La mission demande aussi d’accompagner les projets structurants (axe 2). Elle rappelle le poids des GPIN - souvent conduits par un État non soumis au ZAN - en matière d’artificialisation (5) : 25 000 hectares sur les 125 000 urbanisables sur les dix ans à venir. « En Hauts-de-France par exemple, ce sont 7 à 10 hectares par SCOT et par an », selon Valérie Létard. La MCC demande donc à ce que les surfaces des GPIN soient placées dans un compte national spécifique ne réduisant pas l’enveloppe dédiée aux collectivités, avec pilotage annuel. L’État aurait donc aussi des contraintes. Les critères de définition d’un GPIN seraient fixés dans la loi, avec une qualification des projets décidée par chaque région via la conférence régionale du ZAN puis le SRADDET. L’État voudrait lui que seuls les très grands PIN soient décomptés de l’enveloppe dédiée aux collectivités. « Mais quels sont ces très grands PIN ? Dans le Vaucluse, un projet de prison de 40 à 50 hectares n’en serait pas un », s’insurge Jean-Baptiste Blanc. La MCC veut aussi faciliter la mutualisation régionale des projets (prévue par la loi Climat), avec un droit des communes, EPCI et départements de proposer à la région que certains projets non portés par elle mais ayant une dimension régionale voient leur impact mutualisé à l’échelle régionale, tout en maintenant les enveloppes régionales d’artificialisation.

Un « droit à l’hectare » pour toute commune

Par ailleurs, la mission veut mieux considérer les spécificités des territoires (axe 3). Pour éviter un gel du développement rural, il faut assurer à chaque commune un hectare minimum pour se développer, sur une période de dix ans : c’est le « droit à l’hectare ». « Une commune pourrait ainsi construire une école, une maison de santé »… si besoin, selon Valérie Létard. « Cela rassurera et les maires, et les personnes désireuses de s’installer en secteur rural – la demande est croissante – », apprécie Philippe Bas, sénateur LR de la Manche, cosignataire. « Mais Christophe Béchu a indiqué le 17 janvier être opposé au droit à l’hectare, précise Timothée Hubscher, directeur des opérations de Citadia (SCET). Cela ne reflète pas en effet la diversité des territoires ». Faudrait-il alors plutôt assouplir les SCOT et PLU - le ZAN veut les figer davantage… -, de façon à ce qu’une commune rurale attirant soudainement des habitants grâce à ses projets – le cas n’est pas fictif -, puisse bénéficier de droits à construire nouveaux et donc, pour ce faire, d’une modification rapide des documents d’urbanisme ?

Par ailleurs, un équipement mutualisé d’intérêt supra-communal (site de production, gendarmerie, maison de santé…) pouvant consommer la totalité de l’enveloppe d’artificialisation d’une commune, la mission veut instaurer un droit au projet, c’est-à-dire une part réservée aux projets d’intérêt territorial venant en sus des enveloppes communales, sans modifier celles globales.

Enfin, des outils sont réclamés pour faciliter la transition (axe 4), alors que certains aménageurs, anticipant la mise en œuvre du ZAN, se ruent vers le foncier. Avant même la modification des documents d’urbanisme, les élus sont en effet contraints d’octroyer des permis conformes. Pouvoir surseoir à statuer, c’est leur permettre de suspendre l’octroi d’un permis à certains projets contrevenant aux objectifs du ZAN. Toujours pour éviter une ruée sur les logements vacants et friches, la MCC propose un droit de préemption au ZAN permettant aux élus et dans certains périmètres de réserver le foncier à fort potentiel pour l’atteinte des objectifs ZAN. La mission demande également à ce que les efforts de renaturation du bloc communal permettent de récupérer des droits à construire, dès maintenant et non pas seulement à partir de 2031 où la logique d’artificialisation nette s’imposera (espaces artificialisés moins espaces renaturés). Enfin, la mission veut que les jardins des zones urbaines ne soient plus considérés comme artificialisés, pour éviter d’inciter à leur urbanisation et ainsi les protéger. En même temps, des périmètres de densification délimités par les communes ou EPCI permettraient de construire dans ces jardins, sans considérer cela comme de l’artificialisation.

Par ailleurs, Jean-Baptiste Blanc réclame de l’ingénierie pour aider les élus locaux à apprécier l’artificialisation. Il s’agit aussi de réécrire le décret du 29 avril 2022 fixant la nomenclature des sols artificialisés et non artificialisés, sur la base de l’avis rendu par la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) (6), en associant beaucoup plus les élus. Il faudra aussi multiplier les observatoires du foncier…

Les leviers fiscaux et financiers pour atteindre le ZAN seront abordés au 1er trimestre 2023, Christophe Béchu est pour. Jean-Baptiste Blanc a remis à ce sujet un rapport le 29 juin 2022 (7). Il y préconise notamment de pérenniser le fonds friches et de l’étendre aux projets sobres foncièrement, d’octroyer des aides financières ou d’ingénierie de l’État aux collectivités locales et de créer un guichet unique ZAN regroupant les moyens de l’État octroyés territoires, les aides en ingénierie aux collectivités et l’information aux citoyens. Il faut aussi orienter les aides vers la sobriété foncière, renforcer les moyens des EPF. En faisant des acquisitions de foncier à plus long terme via les EPF, la collectivité peut en effet, explique SCET, soustraire ce foncier à la logique spéculative et ensuite, via des outils contractuels (bail emphytéotique, bail à construction, bail à réhabilitation), agir sur le prix de l’immobilier en sortie, ce qui suppose des moyens accrus pour faire mieux qu’aujourd’hui.

Fiscalement, il faut qu’un maire ait intérêt à densifier... S’il n’y a pas de création d’impôt ZAN, il faudrait utiliser les droits de mutation à titre onéreux ou les taxes foncières, d’habitation (ce qu’il en reste), d’aménagement, sur les locaux vacants… La MCC fera des propositions sur la base du rapport rendu par le Conseil des prélèvements obligatoires (8) à ce sujet. Le feuilleton ZAN continue.

(1) Commissions de l’aménagement du territoire et développement durable, des affaires économiques, des finances et des lois.

(2) http://www.senat.fr/leg/ppl22-205.html

(3) CEREMA, Intercommunalités de France et l’Agence nationale de la cohésion des territoires ont publié en octobre 2022 les résultats de l’enquête « Le foncier à l’heure de la sobriété foncière » auprès de 136 intercommunalités et métropoles.

(4) Trois décrets d’application ont été pris :

- deux du 29 avril 2022, l’un relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du SRADDET,

- l’autre à la nomenclature de l’artificialisation des sols

- celui du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols.

Selon la MCC, ils remettent en cause la territorialisation admise par la loi Climat, notamment les critères de pondération (possibilité de territorialiser), les efforts déjà réalisés par les élus depuis 10 ans, les grands projets d’intérêt national qui devraient sortir du ZAN et la nomenclature de l’artificialisation.

(5) Canal Seine-Nord : 2 400 ha ; Grand Port autonome de Dunkerque : 1 400 ha

(6) https://www.fnau.org/wp-content/uploads/2022/12/avis-fnau-n10-zan_v3.pdf

(7) http://www.senat.fr/rap/r21-743/r21-7431.pdf

(8) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-fiscalite-locale-dans-la-perspective-du-zan

 

×

A lire aussi