Revue

Dossier

Marthe Pommié : «L’État doit continuer à s’adapter à l’agilité des tiers-lieux»

Marthe Pommié
Marthe Pommié est responsable de « Nouveaux lieux, nouveaux liens » à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Ce programme est notamment une courroie de transmission entre les territoires et les initiatives ministérielles en faveur des tiers-lieux. Il participe à la coordination et à la diffusion dans les territoires des dispositifs de l’État et de ses partenaires en faveur des tiers-lieux.
©DR
Le 15 mars 2022

Directrice du programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Marthe Pommié considère que les tiers-lieux sont appelés à s’inscrire dans la durée, comblant un vide dans le rapport parfois complexe entre la population et les services publics.

Horizons publics publie un hors-série sur la politique publique, ou plutôt les politiques publiques des tiers-lieux, et le risque que cela implique pour ces lieux alternatifs. Vous avez la charge de cette politique : que vous inspire cette démarche ?

Je pense que nous ne serons pas loin des 2 500 tiers-lieux créés sur le territoire à la fin de l’année 2022. Ce n’est donc pas un effet de mode, mais un dispositif qui a trouvé sa pertinence au croisement de l’action publique, des besoins des habitants, des initiatives citoyennes et des difficultés que certains territoires rencontrent. L’objectif n’est vraiment pas d’atténuer cette spontanéité, en encadrant les tiers-lieux dans une définition juridique.

L’État a su s’adapter à l’émergence du phénomène même s’il nous faut cependant établir des critères stables pour soutenir ce mouvement. Mais nous ne devons pas leur faire perdre cette agilité.

Comment justement ce financement est-il décrété ?

Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé le 7 octobre 2021 pour créer 100 manufactures de proximité dans le cadre du plan de relance de l’État. Un outil supplémentaire pour donner plus de force à l’édifice des tiers-lieux. Ces derniers sont issus de la culture « friches ». Ils reçoivent des publics mixtes, qui se rendent peu dans les services publics. Mais il ne faut quand même pas que les tiers-lieux aient l’impression de remplacer les services publics. Ce sont des leviers qui peuvent redonner du sens à l’action publique de proximité, sans pour autant se substituer à eux.

L’AMI Fabrique de territoire soutient le développement de 300 fabriques de territoires définies comme des tiers-lieux structurants capables d’augmenter la capacité d’action des autres tiers-lieux du territoire dans lequel ils s’inscrivent. Ces 360 fabriques seront implantées pour moitié en quartier prioritaire de la politique de la ville ou à proximité immédiate, et pour moitié hors des grands centres urbains. Le budget de l’AMI est établi à 45 millions d’euros pour donner suite au plan de relance. L’État soutient à hauteur de 75 000 à 150 000 euros, sur trois ans, les fabriques de territoire, le temps pour ces structures de conforter leur équilibre économique.

Nous avons une riche grille de lecture pour analyser les candidatures : le lien avec les habitants du territoire ; la qualité de l’offre de services, notamment en prenant en compte la diversité des activités garantissant aussi la diversité des publics ; la dynamique ressources humaines (RH) mise en place sur le tiers-lieu, puisque nous incitons les responsables à embaucher sur place pour favoriser à la fois le développement du tiers-lieu et l’environnement social…

Nous finançons aussi les réseaux régionaux des tiers-lieux pour que les acteurs soient mieux formés. Il y a encore du chemin à faire du côté des tiers-lieux pour former ceux qui les animent. Dans l’esprit, et l’AMI Fabrique de territoires le confirme, nous ne finançons pas une thématique, mais une méthodologie.

Quels sont les apports de ces lieux spécifiquement par rapport à ces lieux plus institutionnels et serviciels ?

Ils répondent à la désaffiliation de notre société, au fait que les groupes, les communautés, ont de plus en plus de mal à se constituer autour de certaines utopies sociétales. Le logement est plus cher, la garde d’enfants est plus compliquée, le travail plus fragile, on se tourne vers des tiers-lieux qui recréent des filiations au cœur de la société. Les tiers-lieux peuvent remplacer la place du village qui a disparu, pas organiquement, mais symboliquement. Très peu de structures collectives existent pour permettre aux gens de se rencontrer. Le tiers-lieu, au contraire d’un centre social, par exemple, ne sera pas stigmatisé. Quand on pousse la porte d’un centre social, c’est parce que l’on répond à des critères sociaux précis.

Une cité, un bas d’immeuble et quatre ordinateurs retapés pour permettre aux jeunes et aux séniors de parfaire leurs connaissances informatiques. Puis, un mini fab lab se crée, puis l’ami d’un ami connaît un producteur qui vient vendre ses légumes, des cours de cuisine sont lancés, des repas ont lieu sur place, etc. Un corps de ferme abandonné que l’on rachète pour faire revivre un village via une coopérative agricole auxquels viennent se greffer des artistes, des artisans, etc.

Lancement d'une communauté d'acteurs publics "branchés" tiers-lieux

Le programme “Nouveaux Lieux, Nouveaux Liens” de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires lance une communauté d’acteurs publics en faveur des tiers-lieux

Cette communauté a vocation à rassembler les acteurs publics développant des dispositifs en faveur des tiers-lieux pour mieux coordonner et valoriser nos politiques publiques. Cette communauté vise également les acteurs publics, Etat et collectivités, qui ne sont pas encore sensibilisés aux questions de tiers-lieux et qui pourraient trouver en ces lieux hybrides des leviers pour améliorer le déploiement de leurs dispositifs : nouveaux publics, ancrage territorial, nouvelles modalités de prise en charge…

La communauté se donne 4 objectifs principaux :

  1. Organiser, au niveau régional, des visites apprenantes dans des tiers-lieux pour les agents publics
  2. Proposer des temps de rencontres nationaux.
  3. Partager des ressources : modèle de cahier des charges, méthodologie de jury, informations sur les dispositifs existants en faveur des tiers-lieux, portraits d’agents publics et de tiers-lieux …
  4. Pour les membres de la communauté, un droit de tirage réciproque pour échanger avec un autre membre de la communauté par mois afin d’échanger des bonnes pratiques

Première rencontre de la communauté des acteurs publics

La première rencontre de la Communauté d’acteurs publics aura lieu le mardi 5 avril 2022 au tiers-lieu Pai Pai à Angers. Elle est ouverte à tous les agents publics de l’État, des collectivités territoriales et des agents publics de la fonction publique hospitalière.

Déroulé de la journée

9h : accueil café
9h30 – 10h : débat mouvant
10h – 10h30 : Plénière
10h30 – 11h30 : Bootcamp pour échanger avec des duo de tiers-lieux ou réseaux de tiers-lieux et agents publics ou élus sur leurs collaborations
11h30 – 13h : Ateliers d’échanges avec des agents publics expérimentés en matière de tiers-lieux
14h15 – 15h15 : Masterclass – Quel apport des tiers-lieux pour les usagers / citoyens ?
15h15 – 16h15 : Groupes de travail – Comment, en tant qu’agent public, puis-je travailler avec les tiers-lieux ?
16h30 – 17h : Retours sur la journée

Plus d'informations : nouveauxliens@anct.gouv.fr

La manière de faire en France est-elle la même que dans d’autres pays ?

Nous sommes en train de préparer une rencontre internationale des tiers-lieux. La question de l’institutionnalisation des tiers-lieux traverse les acteurs parce que l’État ou les collectivités territoriales peuvent s’appuyer sur eux pour toucher des publics différents. Mais certains tiers-lieux résistent, visent à l’auto-financement, ce qui peut s’entendre.

De fait, les tiers-lieux sont peu connus. Autour de moi, quand on me demande ce que je fais, je sens bien l’étonnement. Pour l’agent public, une certaine ambivalence peut s’installer dans le rapport avec ces acteurs singuliers, ils se jaugent en quelque sorte.

Comment arrivez-vous à ne pas dénaturer la gouvernance ouverte et agile de ces lieux en déployant vos dispositifs ?

De fait c’est une question qui n’est pas encore résolue. La gouvernance ouverte est précisément ce qui nous intéresse, car c’est une façon performante de mettre en place du service public : on implique les premiers intéressés donc c’est performant et on rassemble autour de la mise en œuvre d’action, on consulte et on décide ensemble, donc c’est démocratique.

La feuille de route de Jean Castex

Le 27 août 2021, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé cinq mesures pour soutenir cette filière, lors d’un déplacement à Caen. Le Gouvernement mobilise ainsi 130 millions d’euros, dont la moitié provient du plan France relance, au bénéfice de ces structures, que l’ANCT accompagne à travers son programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » : « La puissance publique a un rôle majeur à jouer pour accompagner les acteurs des tiers lieux et faire croître ce mouvement. J’ai souhaité que l’État soit, lui aussi, au rendez-vous en annonçant la mobilisation de 130 millions d’euros, dont plus de la moitié seront issus du plan France relance », a poursuivi le Premier ministre lors de la remise du rapport 2021 de France Tiers-lieux.

Les cinq mesures se déclinent comme suit :

  • Création de 100 manufactures de proximité, des tiers-lieux dédiés à la production ;
  • Formation professionnelle dans les tiers-lieux ;
  • Financement de 3 000 missions de service civique ;
  • Formation des conseillers numériques France services au sein des tiers-lieux;
  • Renforcement du maillage national et territorial du réseau des tiers-lieux.
×

A lire aussi