Pour l'Institut Montaigne, la crise du Covid-19 a montré l’obsolescence de la « verticalité » hiérarchique de l’État

Nicolas Bauquet
©DR
Le 20 août 2020

Dans une note « L’action publique face à la crise du Covid-19 » publiée en juin, Nicolas Bauquet, directeur des études de l’Institut Montaigne, a ausculté la crise à l’aune de la réponse de l’État. À ses yeux, « l’État n’a pas su percevoir les signes faibles de cette crise sanitaire ». Il en appelle à une révision totale de la chaîne des responsabilités hiérarchiques. Il s'est confié à Horizons publics pour en tirer les principaux enseignements pour améliorer l'action publique en temps de crise.

Bien sûr, comme souvent en pareilles circonstances, les conseillers ne sont pas les payeurs et les experts en charentaises n’ont pas eu à répondre du surgissement inattendu de la météorite au nom barbare de Covid-19 ! Certains pays s’en sont mieux sortis que d’autres et la France tente, depuis, de tirer les enseignements de ce qui ne va pas (la crise n’est pas finie) et de ce qui peut être motif de satisfaction. Le directeur des études de l’Institut Montaigne, Nicolas Bauquet, s’est penché sur le sujet pour croiser études, statistiques, expertises et entretiens avec les acteurs les plus impliqués afin de passer au scanner « L’action publique face à la crise du Covid-19 ».

Cinq niveaux d’action ont été analysés. Primo, « l’organisation de la gestion de crise par l’exécutif » et les « constats » qui en découlent : « Une absence de lieu clair et transparent de prise de la décision publique, une gestion de crise marquée par un très haut degré de centralisation, une faible place laissée aux initiatives locales et donc des difficultés à faire remonter rapidement les informations pertinentes ». Deuxio, « l’articulation du pouvoir politique et du pouvoir médical » a montré ses limites, du fait de « la nature incertaine du statut et du rôle de ce conseil [scientifique, mis en place le 16 mars] », « l’absence de la dimension de santé publique dans l’expertise mobilisée pour orienter la décision ».

Les Affaires étrangères aux avant-postes

Le troisième niveau d’action analyse « la réponse à la crise dans les territoires ».

« L’État est apparu entravé par sa propre organisation, notamment du fait de l’absence de chaîne hiérarchique claire entre les préfets et les agences régionales de santé ».

Quatrième porte d’entrée de l’analyse : « Le rôle des entreprises pendant la crise », dont « celles qui avaient des implantations et des partenariats en Chine » ont mieux répondu « dans le cadre d’une gestion de crise précoce ». Enfin, concernant « la société civile et les citoyens », leur mobilisation, souhaitée par le conseil scientifique, n’a pas été soutenue par l’État, notamment dans la fabrication des masques, pour laquelle l’État n’a pas encouragé les initiatives de terrain.

L’Institut Montaigne considère dès lors que les prochaines crises identiques devront éviter « le piège de la verticalité » et retenir « des leçons pour l’action publique ».

Nicolas Bauquet insiste sur la nécessité de restaurer des lignes hiérarchiques claires au sein de l’État, au niveau central comme au niveau déconcentré : « En période de crise, la multiplication des intervenants pose question. Il est difficile pour l’État de raccourcir les chaînes hiérarchiques, ce qui empêche les préfets d’agir comme ils devraient pour le faire alors qu’ils sont les mieux à même d’intervenir. On a vu à quel point il était difficile de faire remonter les informations. L’État n’a pas su percevoir les signes faibles de cette crise sanitaire. Par exemple, le rôle du ministère des Affaires étrangères est essentiel, parce qu’il est aux avant-postes de ce qui se passe dans le monde. Cette information de proximité doit être mieux partagée », nous confie-t-il.

La réaction face à l’urgence doit devenir la norme

À ses yeux, la réponse des territoires a été la plus juste : « Ils se sont mieux adaptés, seuls ou organisés en réseaux. Ainsi, les présidents de Région ont échangé toutes les semaines et ces réseaux d’élus ont profité de l’occasion pour accélérer la consolidation de leur travail en commun. La trentaine d’ordonnances prises par le gouvernement l’ont été avec le concours de ces associations d’élus.

Au cœur de la crise, la norme est finalement devenue secondaire. Du jour au lendemain, l’urgence a produit du sens. Le pire, pour les agents dans les collectivités, serait de retrouver ce fonctionnement ancien où leur réactivité ne serait plus sollicitée. La question qui se pose à cet État si fiscalement lourd est la suivante : pourquoi, face aux crises, ne peut-il pas encourager encore plus les solutions de terrain ? ».

Il souhaite enfin tirer des enseignements positifs de cette crise dont on pourrait malheureusement vivre une saison II : « Il faut s’appuyer sur les réseaux qui ont émergé pendant la crise et mettre en œuvre un dialogue stratégique avec les collectivités locales, allant de la prévention et de la gestion de crise au développement territorial. Il faut faire confiance aux femmes et aux hommes qui ont su prendre des risques tout en affichant un réel sens des responsabilités.

Il faut faire du numérique le levier décisif pour casser les verticalités administratives, développer une culture de la donnée partagée, partir des fins et non des moyens, privilégier l’engagement et l’efficacité par rapport aux normes administratives et aux codes sociaux. L’accès à l’information devrait être la règle plus que l’exception. Il faut encourager les élus à aller dans le bon sens. On peut faire du contrôle a posteriori et rester ainsi sur cette dynamique de gestion de crise qui a révélé de nombreux talents », conclut-il.

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