Transformation citoyenne des institutions : les initiatives inspirantes à l’étranger

Le 5 juillet 2021

La ré-appropriation des institutions par les citoyens est aujourd’hui un enjeu démocratique fort (1). Au Chili, la création d’une assemblée constituante totalement paritaire et dont 17 des 155 membres font partie des populations autochtones, pour surmonter la crise sociale et écrire une nouvelle Constitution, est considérée comme une innovation démocratique majeure. Il y a aussi le community organizing provenant des États-Unis ou encore, en Argentine, le PASO, pour « primaires, ouvertes, simultanées, obligatoires », un système de primaires obligatoires organisées par l’État pour choisir les partis habilités à se présenter aux élections nationales.

À partir d’octobre 2019, le Chili a vécu un large mouvement de contestation lié à la hausse du prix des transports et des services publics. Face à l’absence de réaction du gouvernement, les revendications se sont multipliées et étendues à la corruption et à la réforme constitutionnelle. Après un léger remaniement gouvernemental, des épisodes de très lourdes violences, la grève des ouvriers du cuivre et la menace d’un blocage des exportations des ressources du Chili, le pays a trouvé une issue politique. Les mobilisations ont été comparées au mouvement des Gilets jaunes en France car elles ont débuté par une revendication sociale devenue démocratique avant de se transformer en aspiration à une réforme constitutionnelle. Mise en place en 1980 par Augusto Pinochet, la Constitution chilienne organise les pouvoirs de l’État mais aussi le modèle économique chilien. Elle inscrit nombre de questions sociétales et notamment des références à la famille, au droit des enfants à naître (ce qui rend l’interruption volontaire de grossesse [IVG] anticonstitutionnelle), elle accorde aussi un pouvoir certain à l’armée. Face à ce cadre très resserré, déjà en 2013, pendant l’élection présidentielle, près de 10 % des bulletins mis dans les urnes portaient les lettres « AC » pour réclamer une « assemblée constituante ».

Les partis politiques se sont mis d’accord pour sortir de la crise par « le haut » en convoquant un référendum en octobre 2020, à l’issue duquel les Chiliens se sont prononcés à 78 % pour un changement constitutionnel, principal acquis du mouvement social contre les inégalités ayant éclaté en octobre 2019. Ils avaient à l’époque le choix entre deux modèles, une assemblée entièrement nouvelle ou une assemblée mixte composée à 50 % d’élus. Ils ont été 79 % à choisir la première option, une marque supplémentaire de défiance envers la classe politique.

Une assemblée constituante avec trois innovations majeures

L’ingénierie institutionnelle a porté sur la manière de sélectionner les candidats et la méthode de travail de cette assemblée. On constate trois innovations majeures.

L’expérience au Chili amène à réfléchir à la place des partis politiques dans la démocratie représentative. Selon Paula Forteza, « le rôle des partis doit évoluer. Historiquement plusieurs fonctions leurs revenaient, le financement politique, le choix des candidatures et des investitures, la réflexion programmatique. Aujourd’hui, ils ne doivent plus être au centre, mais au contraire, venir en soutien, être perméables à la société civile, être des porte-paroles de collectifs, d’associations engagés, voulant porter des causes. Ils doivent aussi soutenir l’émergence de candidatures citoyennes. »

Tout d’abord la parité. Il s’agit d’une parité réelle au niveau des candidatures mais aussi des sièges. À la fin du comptage, si la parité en termes de sièges n’est pas atteinte, des élus doivent laisser leur place aux personnes du sexe sous-représenté, à sa suite, en termes de voix. Cette assemblée à l’architecture moderne et complexe, sera la première Constitution au monde à être rédigée à 50 % par des femmes et 50 % par des hommes. Un réseau de femmes politologues latino-américaines s’est mobilisé pour mettre cela en place.

Ensuite, cette assemblée entend accorder une large place aux candidats indépendants, notamment grâce à un système de parrainage citoyens représentant 0,2 % du corps électoral. Constituer des listes de candidats indépendants nécessitera un seuil de parrainage de 0,5 %. Les candidats indépendants peuvent aussi choisir d’intégrer les listes de partis politiques existants tout en gardant leur indépendance.

Enfin, la représentation des peuples « originaires » va être prise en compte dans cette constitution. L’assemblée réservera 17 sièges aux peuples autochtones, dans un scrutin parallèle. Les personnes voulant se faire représenter par ces candidats devront s’inscrire dans un registre dédié.

« Cette ingénierie fonctionne comme un sondage à grandeur réelle. En analysant les résultats, on verra si les Chiliens préfèrent être représentés par des candidats indépendants ou s’ils restent attachés aux partis politiques, à une identité idéologique, à un programme ; s’ils se tournent vers les candidats autochtones, précise la députée des Français de l’étranger, Paula Forteza. Ils ont eu le courage d’être très déterminants sur des sujets qui ne posent plus de questions dans la société, comme la parité et ont adopté une architecture plus flexible sur les sujets moins tranchés, comme les critères de représentativité. »

Aujourd’hui les discussions sont tournées vers la méthode de travail, on parle encore peu des changements constitutionnels de fond. Et pour cause, il s’agit plutôt de déverrouiller le système, d’ôter des éléments de la Constitution plutôt que d’en ajouter. L’élection des candidats, repoussée aux 15 et 16 mai 2021, dates à l’issue de laquelle le travail de rédaction démarrera jusqu’à l’été 2022. Les candidats devraient faire campagne sur les réformes constitutionnelles et des questions, telles que le régime politique à adopter (présidentiel, parlementaire), la décentralisation, le niveau des normes (la Constitution détermine aujourd’hui le modèle sociétal, socio-économique). Reste à déterminer également comment cette assemblée va échanger avec les citoyens et les autres acteurs de la vie politique. Y-aura-t-il des méthodes de participation citoyenne ? Les travaux seront-ils rediffusés ? Transparents ? En Irlande et en Islande, des démarches participatives ont permis à des citoyens tirés au sort de participer aux processus institutionnels. « Tout cela reste à inventer. Les Chiliens sont très intéressés par les expériences menées en France comme le Grand débat national et la Convention citoyenne pour le climat, ajoute Paula Forteza. »

Une place différente pour les partis politiques ?

Pour Paula Forteza, cette expérience mène à réfléchir sur le rôle des partis politiques dans la démocratie représentative. « Le rôle des partis doit évoluer. Historiquement plusieurs fonctions leurs revenaient, le financement politique, le choix des candidatures et des investitures, la réflexion programmatique. Aujourd’hui, ils ne doivent plus être au centre, mais au contraire, venir en soutien, être perméables à la société civile, être des porte-paroles de collectifs, d’associations engagés, voulant porter des causes. Ils doivent aussi soutenir l’émergence de candidatures citoyennes. » Cela pourrait passer, par exemple, par un prêt garanti aux citoyens recueillant un pourcentage de soutien dans leur circonscription.

Les candidatures émergentes en France pour la prochaine élection présidentielle proviennent de personnes médiatisées ou familières depuis longtemps avec le monde politique. Les citoyens ont parfois l’impression que tout s’organise entre les cadres des partis, que cela reste un système fermé, opaque, avec une élite qui verrouille les procédures. Dans ce cadre, il est essentiel de faire émerger de nouvelles personnes. « En Argentine, grâce au PASO, un système de primaire obligatoire, organisée par l’État, tous les partis politiques doivent soumettre leurs candidats et c’est au citoyen que revient la décision de choisir, explique Paula Forteza. »

Parmi les autres innovations, elle cite laprimaire.org, une plateforme en ligne permettant de faire émerger des candidatures citoyennes et mavoix, une initiative lancée aux dernières législatives permettant aux citoyens de recueillir un soutien logistique et financier pour se présenter.

Dans un paysage politique que l’on souhaite de plus en plus représentatif et ouvert à différents profils, le community organizing provenant des États-Unis, consiste à s’appuyer sur des personnes se mobilisant, au niveau local, autour de différentes causes. Le community organizing a d’ailleurs largement inspiré les mouvements, le Sunrise Mouvement, le Brand New Congress, ayant fait émerger les nouvelles figures démocrates aux États-Unis. Ces associations ont permis d’identifier de nouveaux profils, de les former, de leur donner les ressources pour émerger au niveau politique. Le parti démocrate a intégré ces figures venues d’ailleurs.

Les autres enseignements et questionnements de l’expérience chilienne

Interrogée sur la place des mouvements féministes dans cet élan de ré-appropriation de la politique par les citoyens, Paula Forteza rappelle que l’on parle d’une « troisième vague féministe, en Amérique latine qui inspire le reste du monde » ! Les agressions subies par les femmes lors des manifestations au Chili ont certainement joué un rôle de déclencheur pour que leur combat s’intègre aux revendications sociales. La constitution, très conservatrice, bloque une grande partie des revendications féministes dont le droit à l’avortement. Les femmes se sont battues pour que l’assemblée soit paritaire. De nombreux réseaux de femmes professionnelles se sont mobilisés, notamment les politologues sur les modalités de scrutin ou encore les avocates pour des questions en lien avec les pensions alimentaires.

L’assemblée constituante au Chili apporte trois innovations : une parité réelle, une large place aux candidats indépendants, notamment grâce à un système de parrainage citoyens représentant 0,2 % du corps électoral, et une meilleure prise en compte des « peuples autochtones ».

Cette assemblée constituante pose un certain nombre de questions. Parmi les potentielles difficultés identifiées, les experts ont noté le manque de ressources attribuées au fonctionnement de cette assemblée. La question des catégories socio-professionnelles ne fait pas partie des critères de sélection des candidats. Certains redoutent aussi que l’on ne parvienne pas à un accord sur une constitution en raison des règles strictes imposées : un vote à la majorité simple puis un référendum avec un vote obligatoire.

L’intérim du pouvoir, en attendant l’élaboration démocratique d’une nouvelle constitution, reste une autre source de questionnement. Le président élu, aujourd’hui illégitime, s’est mis en retrait. Il a laissé les partis politiques agir pour trouver une issue à la crise et les laisse travailler sur les décisions en lien avec l’assemblée constituante. Mais à l’avenir, comment les deux processus vont-ils cohabiter ? Si la nouvelle Constitution décide de changer les fonctions et pouvoirs des différents postes, les élus vont-ils finir leurs mandats ?

La France et la participation citoyenne

Parmi les interrogations soulevées sur la participation citoyenne en France, l’un des participants a demandé comment réguler le financement privé de la démocratie pour éviter que les plus riches n’aient plus de poids dans le soutien des candidats.

Pour la députée, il faut être plus transparent sur les financements politiques en France à l’instar des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Elle a rappelé avoir travaillé sur un amendement pour lever l’anonymat pour les dons de plus de 500 euros et une mise en open data de ces informations. Aujourd’hui les pouvoirs publics ont la capacité de réunir les informations et de faire les audits nécessaires mais les données ne sont pas publiques.

Questionnée sur la manière de créer davantage d’assemblées, tirées au sort, pour participer à la vie démocratique, en France, Paula Forteza souligne l’importance de l’issue de ces processus. « Des dispositifs comme le Grand débat nationale ou la Convention citoyenne pour le climat, s’assimilent malheureusement un peu à du “participation washing” ». La résolution de ces dispositifs est restée entre les mains du pouvoir politique et dépend de la décision politique. C’est au sein des institutions qu’il faut redonner le pouvoir aux citoyens. Mettre en place des ordres du jour citoyens à l’assemblée, faire des commissions parlementaires avec des citoyens tirés au sort et un rapporteur qui vienne donner la parole au sein de la procédure législative, abaisser les seuils pour déclencher les référendums, etc. : de nombreux mécanismes peuvent être mobilisés. Toutefois il faut éviter les canaux parallèles où l’on met les citoyens entre eux pendant que les décisions se prennent ailleurs », conclut Paula Forteza.

(1) Cet article est tiré d’une audition de Paula Forteza organisée par Génération écologie le 27 janvier 2021 pour découvrir les initiatives inspirantes de transformation citoyenne des institutions dans le monde.

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