Jouer sérieusement, innover vraiment

Survive mars
Le 15 octobre 2019

Le 110 bis, laboratoire d’innovation de l’Éducation nationale, explore les nouvelles formes d’innovation pédagogique. C’est le cas avec le jeu de rôle Survive on mars, inspiré du film de science-fiction Seul sur Mars de Ridley Scott1. Véritable serious game à la française, né de l’imagination de deux enseignants, Grégory Michnik et Mélanie Fenaert, il permet aux élèves de collège et de lycée de se projeter dans une mission sur Mars pour apprendre en s’amusant. Grégory Michnik était l’invité du deuxième Lab Voice, un format de deux heures trente organisé au premier semestre 2019 par le lab 110 bis pour découvrir, explorer et désacraliser les premiers pas d’une expérimentation pédagogique.

Situé au cœur du ministère de l’Éducation nationale, ce laboratoire inauguré en juin 2018 se présente comme un lieu de dialogue ouvert et horizontal pour tous les acteurs de l’Éducation nationale. Il vise à découvrir et comprendre les transformations impactant la société de la connaissance ; à impulser de nouvelles façons de travailler, de collaborer, de documenter et contribuer à l’appropriation et à la diffusion de ces méthodes ; à accompagner les porteurs de projets innovants.

Expérimenter à travers le jeu

Le cycle Lab Voice dont Survive on Mars constitue le deuxième atelier, vise à échanger et à désacraliser les premiers pas d’une expérimentation pédagogique. D’entrée de jeu le décor est planté. La séance commence par un exercice « brise-glace ». Il s’agit de dessiner une chaise sur laquelle les genoux se plieraient à l’envers. Chaque participant dessine, compare son œuvre à celle du voisin, jusqu’à aboutir à la meilleure chaise. L’ambiance est conviviale, le public se prête au jeu. Conclusion de l’exercice : peu de temps suffit à trouver des solutions.

Suit une présentation de Joris Renaud, fondateur de Eduvoices, un réseau de communautés locales d’enseignants se retrouvant pour s’inspirer et échanger sur des pratiques pédagogiques. Méditer en classe, faire entrer les robots, enseigner à l’aide d’escape game… Les possibilités sont infinies. « Ces rencontres permettent de gagner en énergie et en temps, de faire évoluer ses pratiques pédagogiques. Aujourd’hui le réseau compte 2 500 enseignants dans toute la France, entre trois et quatre ateliers se déroulent chaque mois dans vingt-deux villes, soixante ambassadeurs animent ces communautés », précise Joris Renaud.

Le 110 bis inauguré en juin 2018, est né, quant à lui, d’un constat : le manque d’accompagnement des porteurs de projets dans la pérennisation de leur activité dans un cadre contraint par l’administration. Ce laboratoire se charge donc de proposer cet accompagnement aux porteurs de projets innovants dans l’Éducation nationale, qu’ils soient enseignants, dans l’administration centrale ou déconcentrée. L’objectif : démystifier l’expérimentation pédagogique. Aujourd’hui quatre personnes animent le lieu qui accueille aussi de nombreux événements organisés ou co-organisés avec des partenaires.

Le 24 avril 2019 près de trente personnes sont réunies pour un atelier se déroulant en trois temps. D’abord un retour d’expérience des enseignants impliqués dans le projet Survive on Mars. Puis une cartographie de cette expérience permettant de l’interroger. Enfin des retours sous forme de « mode d’emploi », afin d’enrichir et d’encourager la suite de l’expérience. Ces ateliers visent à trouver des solutions à des problématiques de terrain. Faire un pas de côté pour synthétiser, documenter les expériences et les leviers disponibles et ensuite les partager avec le personnel des ministères ou directement sur le terrain.

Dans le cas de Survive on Mars, l’idée même de l’expérience naît en juillet 2016 lors d’une rencontre au Salon de la classe inversée. Grégory Michnik, professeur de sciences et vie de la terre (SVT) de l’académie de Lille y rencontre Geneviève Ponsonnet, enseignante en physique-chimie à Orsay depuis plus de vingt-trois ans. Ils assistent à la conférence d’un professeur d’anglais de l’académie de Lille sur un jeu simulant une ville avec des missions. Le film Seul sur Mars vient de sortir. Les germes d’une nouvelle expérience sont là.

Tout l’été, l’équipe travaille avec Mélanie Fenaert, enseignante à Orsay pour créer les premières missions en SVT et en physique-chimie, sur un logiciel libre, Creative Commons. « Tout le mois d’août j’ai travaillé sept jours sur sept au développement du jeu : il fallait avoir une base opérationnelle, des personnages qui fonctionnaient. Nous avons créé près de dix missions, commencé à en parler sur les réseaux sociaux, à mettre en ligne les fiches pédagogiques pour que les professeurs puissent s’en approprier », raconte Grégory Michnik.

Grâce aux échanges sur un fil de discussion privé sur Twitter de nouvelles missions et de nouveaux personnages voient le jour. Chaque personnage possède sa biographie rédigée par un professeur de français. Une sorte de « kit de démarrage » est fourni aux nouveaux enseignants rejoignant le jeu.

Survive on Mars, comment ça marche ?

Tout démarre avec une vidéo. On y découvre une base sur Mars et une navette. Sur la Terre se déroulent des choses mystérieuses. Chaque mission commence par un problème du moment. Face à une fuite d’eau, il s’agit, par exemple, d’analyser le spectre d’une étoile pour trouver de nouvelles ressources. Les élèves se promènent dans la base, trouvent des indices pour répondre à la mission sous forme de « chef-d’œuvre », une production de leur cru, aux formes variées (podcasts, exercices, dessins) à travers laquelle ils réinvestissent leurs compétences acquises.

Survive on Mars se base sur différents scénarios et sous-scénarios. Sur la base martienne Arès XVI, 28 habitants sur 30 ont disparu et 30 nouveaux colons arrivent. Ils doivent reconstruire, réparer cette base abandonnée depuis longtemps, dans un environnement hostile. Une histoire exotique, avec des personnages récurrents, qui motive et séduit les élèves, les aide à développer des compétences, à découvrir des métiers et comprendre le fonctionnement d’une microsociété.

Ce jeu de rôle n’inclut pas de contrainte de temps, l’idée étant de prendre en charge une partie du programme de manière ludique.

L’impact sur les élèves

Pour les deux enseignants présents, le constat est clair : la scénarisation, le fait de trouver des indices, des passages secrets, de rendre ludique l’apprentissage engage d’avantage les élèves. « Cela fait plaisir de constater la créativité et le talent des élèves. Nous avons eu des vidéos, des diaporamas, un compte rendu sous forme de BD du spectre de Rigel », explique Geneviève Ponsonnet. L’objectif premier reste le plaisir, sans bien sûr négliger la précision scientifique, raison pour laquelle Survive on Mars se base sur des informations solides, vérifiées, provenant de la NASA, du CNES, et d’institutions reconnues.

Ce jeu permet de faire travailler plusieurs classes ensemble, de différents niveaux, et même à distance (un jumelage a eu lieu avec une classe en Autriche). Les enseignants entrant dans l’aventure viennent enrichir les compétences du groupe. Ainsi, grâce à une professeure de français, un journal de bord des personnages sous forme de webradio a vu le jour. Un enseignant en technologie spécialisé dans Minecraft a œuvré pour la modélisation de la base en 3D. Souvent les parents se prêtent aussi au jeu, participant aux productions de leurs enfants.

Trois ans après sa création, le bilan pour Survivre on Mars s’avère positif. Ce sont près de quinze enseignants de collèges et lycées, dans le monde, dans différentes disciplines (SVT, physique, mathématiques, français) qui utilisent ce jeu très sérieux. Il répond à des besoins de terrain en favorisant un meilleur engagement des élèves.

Oser se lancer, lever des freins

Après la présentation de l’expérience Survive on Mars, place au travail en petits groupes avec deux objectifs : créer un document pour guider un enseignant souhaitant se lancer dans cette expérience, identifier les points de blocage pour soutenir les porteurs de projets innovants.

Les quatre groupes travaillent selon une méthodologie bien encadrée sur les freins et les facteurs de réussite d’une expérimentation comme celle-ci. Quatre chevalets répartis dans la salle mentionnent les thèmes sur lesquels l’assistance est invitée à réfléchir : les raisons d’être du projet (problèmes adressés, hypothèses), son impact (les acteurs touchés, la manière dont le projet challenge le statu quo), les facteurs clé du succès qui relèvent du terreau propice à l’innovation (éléments préexistants sur lequel le porteur s’est appuyé) ou relevant de ce que le porteur de projet a dû aller chercher par lui-même (éléments mobilisés spécifiquement pour le projet), les pistes de développement, pérennisation et valorisation.

Après quarante minutes environ, chaque groupe est invité à entamer un deuxième temps de réflexion sur les problèmes rencontrés actuellement dans la mise en œuvre et les solutions. Les règles : privilégier les solutions concrètes. Préférer « créer un tableau d’avancement en salle des profs » à « mieux communiquer sur les projets ».

Enfin, chaque groupe présente brièvement son travail aux autres, l’occasion d’échanger des idées, de soulever de nouvelles problématiques, d’ouvrir de nouveaux horizons.

Le lab 110 bis, carrefour de l’innovation pédagogique

Un an après sa création, le 110 bis accompagne, soutient ou co-incube dix projets innovants. Cela va de la petite association à la start-up d’État comme Classes à 12, qui valorise les retours d’expérience des enseignants des classes dédoublées (CP et CE1) et favorise les échanges de pratiques personnalisées, via le numérique et les réseaux sociaux. Depuis le mois de mai 2019 ce projet s’est doté d’un nouveau site Internet, plus intuitif et la possibilité de télécharger des vidéos depuis un simple smartphone. Près de 82 % des professeurs souhaiteraient expérimenter une pratique vue en vidéo…

Autre projet, porté par une association, Mon cartable connecté2 permet aux enfants hospitalisés – près de deux millions par an en France – de poursuivre leur scolarité. Le cartable connecté s’installe dans la classe. Doté de deux caméras, il permet à l’élève de voir, d’une part l’enseignant et le tableau, de l’autre, ses camarades et d’interagir avec eux. L’enseignant voit l’élève à distance grâce à une tablette et lui envoie via une messagerie les documents de cours. Grâce à cet outil l’enfant suit son cours en direct, depuis sa chambre, il peut interagir avec sa classe et poser des questions. Quand il doit s’absenter, le cours est enregistré.

Enfin, le projet Rève, lauréat du défi Carte blanche3, a pour ambition d’aider les enseignants à comprendre les difficultés des élèves atteints de troubles du langage et de l’apprentissage pour améliorer leur prise en charge. Ce projet répond à un défi du système scolaire actuel. En effet, entre 2010 et 2018, les troubles intellectuels et cognitifs ont progressé de 24 % parmi les enfants de 3 à 11 ans scolarisés et de 94 % pour les troubles de la parole et du langage.

  1.  Scott R., Seul sur Mars, 2015 ; adaptation du livre de Weir A., Seul sur Mars, 2014, Bragelonne.
  2. Chavanne M.-F., « Quand les enfants hospitalisés gardent le lien avec leur classe », Horizons publics sept.-oct. 2018, no 5, p. 9. 3. Programme expérimental d’innovation animé par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), et la Caisse des dépôts et des consignations en septembre 2018.
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