La commande citoyenne d’œuvres d’art pour aborder des questions de société

Le 16 décembre 2024

Lancé dans les années 1990 par la Fondation de France, porté par une association depuis 2020, le dispositif les Nouveaux commanditaires permet à des collectifs de citoyens de commander une œuvre d’art pour traiter des problématiques de société. Depuis les origines 500 œuvres ont ainsi été créées, 400 en France et une centaine en Italie, Espagne, Allemagne et Suisse.

Chantal de Singly, présidente de l’association les Nouveaux commanditaires, se souvient de la commande passée lorsqu’elle dirigeait l’hôpital Saint-Antoine de 2003 à 2008 : « L’hôpital a été en première ligne pendant la canicule de 2003. Il fallait que tout le monde se remette au travail, que l’on retrouve de l’unité et de la cohésion. En parallèle, nous devions mener un chantier de reconstruction des urgences de l’hôpital. » La médiatrice Mari Linnman, aujourd’hui co-directrice de l’association, anime une série de sessions avec les professionnels des urgences (aides-soignants, infirmiers, médecins, etc.), des représentants d’associations de patients, des acteurs du quartier concerné. Ce travail aboutit à un cahier des charges dans lequel transparaît le besoin d’avoir une œuvre d’art à la fois présente, discrète et apaisante alors que les urgences sont sous tension. L’artiste Melik Ohanian crée Cadences modulaires, un éclairage plafonnier doux, visible par les personnes sur des brancards. Grâce à cette commande, tout le personnel des urgences est réuni. Elle permet de sortir des liens hiérarchiques habituels pour réfléchir aux besoins humains, de penser les futures urgences de manière adaptée en prenant en compte tant les besoins des patients que du personnel.

Une démarche en plusieurs étapes

La démarche des nouveaux commanditaires se déroule toujours en plusieurs étapes. D’abord, un groupe de citoyens exprime un besoin de création d’une œuvre d’art. Puis, grâce à un travail mené avec un médiateur (l’association en compte 25), l’on détermine un cahier des charges. S’ensuit une période de recherche d’un artiste et enfin celle de la réalisation de l’œuvre. La démarche innove dans le résultat, mais aussi dans la manière de faire puisqu’elle suppose l’implication de toutes les parties prenantes ainsi que dans la production de l’œuvre qui peut prendre de nombreuses formes (peinture, sculpture, roman graphique, artefact, vidéo, son, etc.) : « Les groupes de commanditaires écrivent le cahier des charges, cela prend du temps, car ils sont souvent hétérogènes et ne se connaissent pas. En revanche, on évite ainsi les écueils ; cette communauté de projet rend la démarche très solide », raconte Mari Linnman. À cela s’ajoute la présence des artistes : « Les artistes apportent leurs questionnements, leurs étonnements dans les territoires. Cela nous oblige à regarder les choses différemment », précise Chantal de Singly.

En 2015, à Trébédan, un village de 400 habitants dans les Côtes-d’Armor, l’école Le Blé en herbe doit se transformer. Le maire, la directrice de l’école, les enseignants, les parents d’élèves, d’anciens élèves, ainsi que des habitants du village, deviennent les commanditaires d’une œuvre d’art avec un double enjeu : la rénovation de l’école et son ouverture hors des horaires de cours aux habitants du village. Les principaux intéressés ont constaté un désengagement des élèves et un manque de reconnaissance de l’école hors les murs. Le cahier des charges de la commande artistique comporte : la rénovation des bâtiments existants, l’extension de l’école avec la construction d’une nouvelle salle pour la maternelle, ainsi qu’une nouvelle cantine, la création d’un lien physique avec la place du village et la création d’un mobilier spécifique. La designer Matali Crasset crée des meubles modulables et imagine de nouveaux espaces. Toutes les parties prenantes, y compris le club du troisième âge, sont associées à la réflexion afin de renforcer le rôle social et culturel de l’école au sein du village.

Un roman graphique pour relier trois villages

Un autre exemple de cette démarche provient de Nouvelle-Aquitaine. Trois villages, Roussines, Maisonnais-sur-Tardoire et Busserolles, reliés par un pont, le pont Rouchaud, situés à l’intersection de cette nouvelle grande région, ne communiquent que très peu. Les maires de ces trois communes ressentent le besoin de créer une culture commune et saisissent l’action des Nouveaux commanditaires pour ce faire. Ils s’associent aux habitants pour commencer à travailler ensemble sur un récit. La matière qui permet de créer un lien social s’élabore petit à petit dans le processus de la commande qui devrait aboutir à un roman graphique. Cette commande en cours a déjà permis d’établir des premiers contacts entre les habitants des trois villages, qui se déplacent désormais davantage dans les communes voisines.

Le Messager, un chariot d’entretien original pour les agents

Dans le cas d’Habitat Sud Atlantic, l’office public de l’habitat intervenant en Pays basque, une réflexion s’engage sur la manière d’améliorer le quotidien des agents d’entretien d’un immeuble situé à Bayonne. Les agents ainsi que des cadres du groupe se réunissent afin de passer commande auprès d’un groupe d’artistes et de designers, Normal Studio. La commande consiste à créer un outil d’entretien pour améliorer leur quotidien. Normal Studio conçoit Le Messager, un chariot d’un type nouveau qui emprunte à l’univers du cycle. Les designers et les commanditaires apportent des ajustements au prototype, puis une entreprise agenaise en conçoit 30 exemplaires. En parallèle, les agents d’entretien travaillent avec des journalistes sur une série de messages ludiques, amusants et décalés, qu’ils afficheront sur leurs chariots d’entretien chaque matin, afin d’engager une conversation avec les habitants des immeubles. Dans ce cas précis, le travail mené avec les artistes permet aux agents de créer leur propre objet. Le processus est tout aussi intéressant que le résultat.

Une œuvre d’art à la Pitié Salpêtrière

Enfin, un projet en cours à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière a été commandé par un groupe composé essentiellement de médecins pneumologues. Ils s’interrogent sur le côté méconnu des maladies respiratoires et leur aspect transmissible. Lorsque l’on se trouve à proximité d’une personne respirant mal, on a l’impression soi-même de respirer avec difficulté. Ce projet expérimental utilisera l’intelligence artificielle (IA) et la robotique pour créer une œuvre d’art attractive, intéressante à regarder qui se mettra à respirer en empathie avec la personne la contemplant. L’objectif sera d’amener la personne à mieux respirer.

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