La métropole bordelaise veut prendre 30 ans d’avance

©Louise Plantin pour Bordeaux métropole
Le 13 juin 2019

Avec la mission #BM2050, Bordeaux métropole a mené une large campagne de concertation pendant un an pour imaginer la métropole de demain. Elle a cherché par tous les moyens (débats, colloques, serious game, expos, etc.) à savoir comment ses 770 000 habitants concevaient leur avenir. Cet exercice de prospective participative, inédit à l'échelle du territoire, vient de s'achever le 12 juin avec la présentation du livre "2050 : tout commence aujourd'hui"Retour sur cette campagne qui a permis de toucher 120 000 métropolitains, de recenser 450 propositions et de faire émerger quatre scénarios (La métropolisation continue et s’autorégule; L’exigence décarbonée règle la ville ; La nature redessine la ville ; L'équilibre des territoires fait la vie).

 

C’est le propre des crises sociales, comme celle des Gilets jaunes, de reconfigurer la manière dont les élus et les citoyens se parlent. Alain Juppé, ex-président de Bordeaux métropole, avait en tête, depuis quelques mois, d’interroger les habitants des vingt-huit communes de la métropole girondine sur la manière dont ils envisageaient l’avenir de leur territoire à l’horizon 2050. Le phénomène des Gilets jaunes a débarqué bien après la conceptualisation de cette initiative qui, à vrai dire, tombe à point nommé. Jusqu’à fin mars 2018, les habitants ont donc écrit, dit et joué autour de cet horizon 2050 si proche et si lointain. « Cet exercice de projection a débuté en mars 2018 avec une large campagne de concertation pour redonner aux habitants, aux entreprises, aux associations, aux chercheurs, aux écoliers, aux étudiants, etc., toute leur place dans le débat citoyen, explique Jacques Mangon, vice-président de Bordeaux métropole, en charge de l’urbanisme réglementaire et de la stratégie foncière et maire de Saint-Médard-en-Jalles. Nous avons terminé la dernière phase de cette mission 2050, avec plus de cinquante rendez-vous, des grandes conférences, des débats, des expositions, des hackathons et créathons organisés pour témoigner et dessiner des pistes de travail », poursuit l’élu. La démarche innovante de Bordeaux a aiguisé la curiosité d’autres villes européennes, comme Bruxelles, Madrid, Bilbao ou encore Buenos Aires, qui souhaiteraient s’engager dans un processus similaire.

« Tout va peut-être trop vite… »

Un serious game #BM20501 a même été lancé pour recueillir l’opinion des citoyens de la métropole bordelaise de manière plus ludique. « Sur le site dédié2, 100 projets appelés « pépites », répartis équitablement sur les vingt-huit communes de la métropole, ont permis aux habitants de se projeter dans le futur de leur ville et de suggérer des améliorations. « Ce sont près de 25 000 internautes qui ont visité le site, avec une prédilection assumée pour le futur spatial. C’est un moyen de capter l’attention des jeunes, entre autres. Il y a même des cadeaux à gagner, avec la participation des commerçants qui sont donc complètement partie prenante », affirme l’élu. En la matière, les futurs habitants de la métropole ont répondu présents puisque 75 % de ceux qui sont allés sur le site du serious game avaient moins de 49 ans et 55 % moins de 39 ans. Réfléchir en s’amusant mais aussi écouter à travers sept grandes conférences sur des thèmes aussi essentiels que l’aménagement du territoire, le climat, la mobilité ou encore les migrations. Conférences données par des experts reconnus, tels Hervé le Treut, Raphaël Enthoven ou encore Joël de Rosnay. « Notre société connaît de grandes mutations. Tout va peut-être trop vite et nous n’avons pas à subir la situation mais à l’anticiper », affirme Jacques Mangon.

©Louise Plantin pour Bordeaux métropole

Ne pas compromettre 2050

« Le mouvement des Gilets jaunes traduit ce sentiment de délaissement auquel nous devons répondre. On a une fausse image de Bordeaux et de sa métropole. Qui sait que 17 % de la population vit sous le seuil de pauvreté dans le centre-ville de Bordeaux ?, poursuit-il. Cette réflexion prospective ne doit pas se limiter aux seuls sachants. En 2018, un camion du futur itinérant est allé à la rencontre des habitants, sur les marchés, dans les universités. En tout, pour l’heure, ce sont près de 120 000 personnes qui, d’une manière ou d’une autre, se sont investies, ont laissé une trace de leur désir. Ce n’est pas si mal sur une métropole de 770 000 habitants. » Bordeaux 2050 a donc tiré le rideau le 29 mars 2018, un an avant l’élection municipale. Une synthèse rigoureuse, respectueuse de tous les avis sera élaborée. « Il fallait que l’opération soit déconnectée des enjeux municipaux, pour éviter toute ambiguïté. Ce travail servira à tout le monde, à tous ceux qui souhaitent un meilleur avenir pour la métropole. Il y a des erreurs à ne pas commettre en 2020 pour vivre mieux en 2050 », poursuit le vice-président de la métropole.

« Faire émerger des scénarios cohérents »

D’ores et déjà, une première cartographie des envies citoyennes a été dévoilée. Ce large processus de concertation a permis de recueillir 2 000 propositions et de dégager quatre scénarios d’avenir. Patrick Bobet, nouveau président de la métropole à la suite de la démission d’Alain Juppé, s’en réjouit : « Le premier grand enseignement, c’est l’attente de nos concitoyens d’une vraie démocratie participative, tout en souhaitant une parole politique très forte. » En tête de gondole des désirs d’avenir, le développement durable apparaît en très bonne place avec l’exigence formulée par les citoyens de « réponses très pratiques ». « Il n’est pas question de livrer un projet clé en main, ce serait ridicule et on serait sûrs d’être démentis par les faits, prévient Jacques Mangon. L’idée était de faire émerger des scénarios qui paraissent cohérents, et de permettre de dessiner des futurs par rapport auxquels les politiques devront faire des choix. »

Continuité et radicalité

Le premier d’entre eux s’inscrit dans la continuité, « au fil de l’eau, réclamé par ceux qui ne souhaitent aucun changement ». Une agglomération façonnée par le prix de l’immobilier, et donc excluante, notamment pour une classe moyenne obligée de se loger à l’extérieur, de plus en plus tributaire d’une voiture qu’il faudrait pourtant voir disparaître. Une agglo fustigée par les Gilets jaunes et dont l’équilibre passerait par l’autorégulation, schéma de l’ancien monde économique… Le deuxième scénario est à l’exact opposé, « celui d’une métropole extrêmement dense décidant de restreindre de façon drastique sa circulation automobile nuisible » (interdiction des diesels, péages urbains sur la rocade et les boulevards, etc.), mais aussi d’imposer l’isolation de ses bâtiments anciens, d’interdire le béton dans ses constructions, d’imposer des circuits courts, etc. L’objectif zéro CO² serait ainsi atteint très rapidement en 2050 mais au prix d’une radicalité verte « assez liberticide », dixit Jacques Mangon, et au coût élevé.

L’équilibre des territoires

Le troisième scénario lève lui aussi un… vert à l’avenir. Il prône « une croissance différente », autour des 28 000 hectares de nature de la métropole, avec le développement des plantations de rue, des îlots de fraîcheur… « L’adaptation au réchauffement climatique occupe une place aussi stratégique que celle de la mobilité, voire davantage », est-il écrit dans le dossier remis lors de la restitution de la synthèse. Le quatrième scénario, portant le nom « l’équilibre des territoires fait la vie », a la préférence de Jacques Mangon : un équilibre à l’intérieur de la métropole étendue à l’aire d’influence métropolitaine. Tout reposerait sur « des réseaux, du collaboratif, des nouveaux écosystèmes, du soutien aux énergies humaines », des nouveaux modes de déplacement, du développement de l’emploi en péri-urbain ». Le 11 juin 2019, un livre paraîtra et recensera les pistes des quatre scénarios. Son titre ? 2050, tout commence aujourd’hui. À un an des élections municipales, le livre formera un utile vade-mecum pour nourrir les projets des divers candidats. Nicolas Florian, nouveau maire de Bordeaux, en a pris bonne note : « Cela conforte un certain nombre de nos convictions et ce qu’on ressent sur le terrain, avec notamment l’accélération de la prise de conscience du défi climatique. On l’utilisera le moment venu comme boîte à idée, et je ferai mon marché dans ces propositions, parmi celles qui paraissent le plus évidentes. »

D’autres scénarios à venir

Sur le site Rue 89, Alain Anziani, maire de Mérignac, premier vice-président de la métropole, fait dans la nuance : « Je vous fiche mon billet que dans quelques années, un cinquième ou un sixième futur que nous n’avons pas prévu pourrait se dessiner. La prospective n’a jamais été un rendez-vous. Et deux questions me semblent minorées : celle des migrations – que fait-on des populations qui vont arriver – et celle du progrès technique. Demain, on peut avoir des véhicules propres… » Certains observateurs accusent aussi la démarche de ne pas suffisamment prendre en compte les alertes collapsologiques présupposant l’effondrement de notre civilisation industrielle.

Éviter la « Rétropole »

Cette caractéristique est prise en compte par le Forum urbain (centre d’innovation de l’université de Bordeaux) dans un document, « La métropole du futur, quatre scénarios prospectifs pour Bordeaux en 2050 », réalisé justement pour #BM2050. Il est ainsi question de « Rétropole d’avenir », conceptualisant, par exemple, un modèle de métropole citoyenne et coopérative, contraint à un retour à la terre après un effondrement causé par une guerre du pétrole. La « survivopole » impose aussi la décroissance pour donner suite à un accident nucléaire à Blaye. Des hypothèses d’avenir qui peuvent paraître excessives, fantasmatiques, anxiogènes mais que certaines études scientifiques recoupent. La fin d’un monde industriel n’arrivera pas qu’à Bordeaux, si l’on ose dire, mais cette métropole innovante, qui présente toutes les caractéristiques d’un désir salutaire de vivre ensemble mais se confronte, dans le même temps, à une diffraction urbanistique liée à la gentrification de son centre, cherche déjà à écrire l’après-effondrement.

Les écluses de l’audace territoriale sont ouvertes

L’intérêt de Bordeaux 2050 est finalement ailleurs. Les pleurnicheurs collapsologues ont peut-être raison mais le temps est à l’action, pas à l’ONU ou à Matignon mais à l’échelle d’un territoire appréhendable comme l’est la métropole bordelaise. La mission a délié les langues, a permis d’identifier les acteurs du futur, comme à Lille ou à Rennes, de repérer les endroits où la jeunesse entrepreneuriale et citoyenne qui s’investira aux postes à responsabilité dans quelques années tente d’imaginer un autre modèle de monde, rationalisable, sociale et économiquement repensé. La mission a ainsi ouvert la porte prospective à de nombreux acteurs, comme Bordeaux Sciences Agro qui a planché sur l’alimentation en 2050, l’IJBA sur « des médias locaux pour demain », ou l’Ensap sur les lisières de la métropole. Les états de lieux mûrissent, les solutions doivent vite arriver.

Pour aller plus loin

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