La vision systémique, moteur de l’innovation de la Loire-Atlantique

Le 10 avril 2019

Le département de Loire-Atlantique, pionnier dans le domaine de l’innovation, a fait du design de service une démarche systémique. Objectif : repenser ou construire un service en partant du besoin des utilisateurs. Retour d’expérience.

Dès 2012, le département de Loire-Atlantique a créé son service innovation dans un mouvement global visant à se réorganiser pour se rapprocher des usagers. Dans une nouvelle organisation déconcentrée, sont ainsi nés des services externes (délégations) et des nouveaux métiers, notamment le design de service.

Cela dit, notre service est loin de porter toutes les innovations de la collectivité. D’ailleurs l’innovation ne peut être le monopole d’experts, chacun doit pouvoir s’en emparer. Dans notre collectivité, nous avons une vision systémique de l’innovation. Elle ne se limite pas à la technologie, au numérique. La question du « pourquoi » est aussi, voire plus, importante que le « comment ». Nous souhaitons apporter des réponses plus adaptées, pertinentes, destinées aux usagers, porteuses de sens pour les agents au quotidien, permettant de mieux anticiper les évolutions de la société.

Notre service se compose de quatre sections : les études permettant d’avoir une bonne vision du territoire ; le benchmark travaillant à la fois sur ce qui se déroule dans le monde et des sujets prospectifs ; le laboratoire de l’innovation de la collectivité sur lequel nous assurons un pilotage ; et le design de service.

Lors de la création en 2012 de ce dernier service, Julie de Brito Ventura est recrutée pour assurer le poste de cheffe de projet design de service. Sa mission consiste à améliorer le parcours utilisateur dans un processus de co-construction avec les usagers. Très vite, le service décide d’intégrer un designer en apprentissage, en alternance dans un master II à l’École de design Nantes-Atlantique.

Un partenariat fructueux

Depuis 2012, le département entretient ainsi un partenariat avec l’École de design Nantes-Atlantique. Partir des usages pour y répondre au mieux, cela peut se faire sans designer. Cependant le designer a une immense plus-value dans cette démarche, notamment dans sa capacité à prototyper, à faire émerger les problématiques, à les traduire. Nous venons d’accueillir notre quatrième designer en apprentissage grâce à ce partenariat pérenne ! La collectivité aurait sans doute fait du design quoi qu’il arrive, l’ambition était forte. Nous ne l’aurions certainement pas fait de la même manière sans l’école ! Internaliser un designer dans une collectivité c’est rare. Mobiliser un designer en externe requiert du temps et engendre un coût… Nous avons la chance de collaborer avec l’école et d’être portés par un écosystème développé localement.

L’innovation ne peut être le monopole d’experts, chacun doit pouvoir s’en emparer. Dans notre collectivité, nous avons une vision systémique de l’innovation. Elle ne se limite pas à la technologie, au numérique.

Les trois phases du design de service

La démarche de design se caractérise par trois grandes phases. L’immersion vise à mieux comprendre les usages d’un service au contact des utilisateurs pour dégager plusieurs axes de travail. Dès cette étape, nous pouvons nous autoriser à « re-problématiser » un sujet. Le travail réalisé pour les protections maternelles infantiles (PMI) en constitue un bon exemple (voir encadré). Nous avons été sollicités pour améliorer l’accueil des jeunes parents et enfants dans ce service. Dès la phase d’immersion, nous nous sommes rendu compte que les parents avaient besoin de connaître tous les professionnels de la petite enfance, pas seulement ceux de la PMI, et cela bien avant la naissance. En repartant des besoins prioritaires des usagers, nous avons réorienté le projet. C’est un point essentiel de la méthode de design de service : partir des enjeux des utilisateurs.

Quand on a reposé le problème, défini quelques axes de recherche, on les creuse lors de la deuxième phase. C’est une étape de conceptualisation qui permet l’émergence d’idées co-construites avec les utilisateurs (usagers et agents). C’est là que le rôle du designer prend tout son sens. Il va chercher à traduire toutes ces idées en utilisant un langage visuel, une de ses compétences fortes, pour communiquer et offrir une vision partagée par le groupe projet. Il propose plusieurs concepts, des scénarios, qui sont ensuite validés en interne, par plusieurs instances.

Lors de la troisième phase de prototypage, on fabrique un outil tangible pour le tester auprès des utilisateurs. On analyse les résultats, on apporte des modifications en faisant des allers-retours réguliers avec le terrain, les utilisateurs.

À l’issue de la phase de prototypage, on sort de la démarche de design pour entrer dans une dernière étape visant à déployer l’outil, à l’expérimenter en conditions réelles. C’est une phase de mise en œuvre, potentiellement d’accompagnement du changement, quand c’est nécessaire. On traite également des questions complexes comme celle du changement d’échelle, à savoir comment passer d’un projet local à un projet concernant plusieurs territoires.

Les conditions de réussite

La démarche de design de service nécessite de réunir certaines conditions. Tout d’abord elle requiert du temps, ce sont des projets longs, nécessitant un an pour les trois premières phases (en excluant la mise en œuvre de la solution). Ensuite, il est essentiel d’instaurer un rapport de confiance avec le donneur d’ordre, cela nous permet de prendre des risques, de tester des choses, d’expérimenter. Quand on démarre on ne sait pas où le projet va nous mener, le commanditaire peut avoir une idée très arrêtée sur le livrable qu’il souhaite mais compte tenu de la démarche même, ce livrable peut changer. La confiance est essentielle. En fonction du sens que l’on veut donner à la démarche et de l’objectif que l’on veut atteindre, on choisit l’outil le plus adapté. Parfois c’est le design, parfois cela ne l’est pas.

Enfin, lorsque l’on décide d’adopter cette démarche, la composition du groupe de pilotage du projet est essentielle. Il faut que les personnes impactées par les réflexions soient intégrées dès le début ou tout au long de la démarche, nous devons embarquer les services support, numérique, logistique, des encadrants, des agents de terrain, des utilisateurs. Quand les points de vue diffèrent entre professionnels, le croisement de différentes expertises, technique et d’usage, peut permettre de lever des difficultés. Cette collaboration et la capacité du designer à conjuguer ces expertises font la richesse et la réussite du projet.

Depuis 2012, le département entretient un partenariat avec l’École de design Nantes-Atlantique. Partir des usages pour y répondre au mieux, cela peut se faire sans designer.

Une méthode agile

Au départ nous nous sommes appuyés sur les méthodes développées à l’École de design puis nous les avons adaptées à nos modes d’organisation, à la manière dont les solutions vivront dans la collectivité.

Les PMI, un exemple de réussite

Le service innovation de Loire-Atlantique est sollicité pour améliorer l’accueil des enfants et des parents dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI). Très vite, l’équipe design, qui travaille avec des familles et des professionnels des centres médico-sociaux (CMS), perçoit que ce n’est pas la priorité pour les futurs parents. Certes, la question de la visibilité de la PMI se pose. Mais, pour les parents, l’essentiel est d’avoir une vision claire de tous les professionnels de santé (libéraux, hospitaliers, territoriaux) avec lesquels ils vont interagir tout au long de leur parcours. Le choix s’oriente donc vers un outil, une sorte de guide pour les futurs parents recensant l’ensemble des métiers de santé les concernant. Le travail réalisé avec des professionnels libéraux, hospitaliers et des personnes de la PMI dure près de trois ans. Testé sur un premier territoire, le guide est apprécié des parents, utilisé par des sages-femmes et par la PMI.

Sollicité par d’autres territoires afin de poursuivre cette réflexion, l’outil évolue. Les parents ont besoin d’avoir des informations bien avant l’accouchement, dès la grossesse ou la déclaration au médecin généraliste. Il faut donc être clair, mieux communiquer avec les parents et bien plus tôt dans le parcours. Au-delà d’être un véritable annuaire, cet outil permet d’identifier des partenaires dans le suivi et l’accompagnement des parents et des enfants et de créer ainsi une dynamique de réseau pour les professionnels. Avant la naissance, tous les professionnels de santé sont potentiellement concernés, le réseau prend donc une tout autre dimension.

Le design de service part de l’expérience utilisateur, il s’agit d’une méthode nouvelle, différente, qui fait sens. Tout l’enjeu pour nous est de clarifier notre rôle, de vulgariser la méthode et de mieux communiquer sur les projets pour lever les résistances. On associe souvent le design à de l’esthétique, l’image, le mot, le terme de « design » peut être un frein, que l’on peut lever par de la pédagogie. C’est pourquoi nous avons documenté nos réalisations en éditant deux livres et proposé une exposition dans plusieurs délégations. Les liens avec les autres services de la collectivité – les ressources humaines, l’organisation, la participation citoyenne, l’informatique – se font soit au fil des projets, soit des retours d’expériences. La semaine de l’innovation, nos réunions de cadres et les différents événements se déroulant dans la collectivité constituent des occasions d’échanges, d’expérimentation et de partage.

Le champ social, dans l’ADN de notre département, se base sur la compréhension et l’écoute des usagers. C’est pourquoi nous ne rencontrons pas de difficulté particulière dès lors que tout le monde comprend la manière de travailler ensemble.

Les évolutions et les perspectives

Nous faisons partie des collectivités ayant engagé cette démarche depuis longtemps, six ans maintenant, mais nous ne sommes pas les seuls et nous dialoguons avec les autres collectivités. Ces échanges nous permettent de capitaliser et de partager nos expériences.

La méthode fonctionne bien, elle a fait ses preuves. Ce qui a changé depuis la création du service, c’est la manière dont nous passons le relais lors de la phase de déploiement de la solution. Avant nous nous éclipsions assez vite dans le projet. Maintenant nous veillons à être plus présents, à faire vivre les prototypes jusqu’à leur déploiement afin d’éviter les ruptures. Pour cette quatrième et dernière phase, nous travaillons avec le service organisation qui peut accompagner les équipes dans le processus de changement et de mise en œuvre du projet.

Au-delà de la démarche de design que nous avons introduit, on note un autre bénéfice : les différents services de la collectivité se sont emparés de la méthode pour l’appliquer. Le service transports (avant le transfert de la compétence à la région) a ainsi développé une très belle application pour les usagers. Si le design permet de produire une réponse à une question donnée, il amène aussi à réfléchir aux postures, à la manière de travailler différemment et développe certains réflexes : tester ce que l’on fait et intégrer les usagers quand on conçoit une idée.

Pour approfondir :

 

Moderniser, innover, se réinventer... Confrontées à ces impératifs, les organisations, publiques ou privées, sont nombreuses à rechercher de nouvelles façons de penser et de faire. Au-delà de la mise en œuvre de dispositifs créatifs et innovants, le sujet central, pour les collectivités locales, est celui de la transformation de l’action publique. Depuis plusieurs années, le Département de Loire-Atlantique repense ses pratiques et se mobilise pour envisager différemment ses politiques publiques. La question centrale est celle du comment faire autrement ? Ce livre donne à voir le parcours de la collectivité pendant ces six dernières années pour créer un cadre organisationnel favorisant la transversalité, pour nourrir la dynamique de changement par de nouvelles expertises et façons de faire, pour embarquer progressivement les agents… Comment faire pour que l’intelligence collective au service du « faire ensemble autrement » s’incarne dans des projets ? Quand une telle organisation s’est mise en mouvement, quel est alors le rôle d’un laboratoire d’innovation publique ? Cet ouvrage-témoignage exprime une conviction renouvelée quant au rôle du service public.

Construire l'innovation publique. Retour d'expérience du Département de Loire-Atlantique", La Documentation Française, avril 2018, 14 €

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