Revue

Cartoscopie

La vulnérabilité des territoires du monde anthropocène

Le 28 décembre 2022

La succession de crises auxquels nous devons faire faire depuis de longs mois – incendies de forêt, sécheresse, coût de l’énergie, covid-19, etc. – a, au-delà des difficultés et souffrances qu’elle occasionne, une vertu pédagogique : le changement global n’apparaît plus pour la majorité des Français comme un horizon lointain, abstrait et affaire de scientifiques alarmistes, mais bien comme un enjeu qui d’ores et déjà nous concerne tous et sans conteste nous affectera en profondeur.

Sans doute est-ce cette profondeur qui reste encore à appréhender. Elle a évidemment un caractère spatial : à l’échelle de la planète comme à celle de la France, la plupart des territoires vont voir leur habitabilité peu ou prou menacée. La carte des risques industriels et naturels continuera de s’étoffer au fur et à mesure que de nouveaux aléas et menaces dont l’anthropocène est porteur seront identifiés et qualifiés.

Géographie des risques d'aléas naturels et industriels en France

Ce changement d’époque conduit à renoncer à la promesse de sécurité et de maîtrise promis et partiellement permis par la modernité aux pays les plus développés. C’est, de fait, un changement de monde. La vulnérabilité que nous avons consciencieusement tenté d’écarter de nos représentations en les considérant comme de simples accidents que le progrès technique et scientifique devait finir par éclipser s’impose ainsi à nous, d’autant plus violemment que nous croyions en être libérés. Cet aveuglement n’est évidemment pas homogène : les études anthropocènes montrent sans ambages qu’il est plus présent chez les humains bien installés des pays riches que partout ailleurs.

À ces dimensions spatiales et sociales du changement global, il faut cependant en ajouter deux autres plus difficiles à cartographier. La première est temporelle : une manière de rendre supportable l’épreuve anthropocène consiste à croire que celle-ci est ponctuelle et qu’à raison d’efforts modérés d’atténuation et d’adaptation tout pourrait rapidement « rentrer dans l’ordre ». La popularité actuelle du concept de résilience – souvent compris à tort comme un processus de retour à l’équilibre – l’illustre parfaitement. Malheureusement le changement auquel nous assistons se caractérise par une irréversibilité auquel nous sommes encore insuffisamment préparés : nous avons perdu la « stabilité naturelle » dans laquelle l’humanité évolue depuis 10 000 ans et il va bien falloir inventer une autre manière d’habiter la Terre, nos territoires, si nous voulons y demeurer.

Un tel séisme « écologique », au sens fort du mot, aura, on le comprend, des conséquences psychologiques considérables : c’est là le dernier aspect de la globalité du changement qu’il me paraît important de souligner. La croissance rapide des pathologies de type solastalgie et écoanxiété, en particulier dans les jeunes générations auxquelles nous nous apprêtons à livrer un monde en piteux état, n’est ni surprenante ni anecdotique : elle illustre au contraire jusqu’où – au plus profond de la subjectivité de chacun – le changement global va affecter l’humanité et la transformer. Psychologiquement aussi, il va falloir se reconstruire dans l’anthropocène.

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