Les Entretiens Albert-Kahn, dix ans d’explorations prospectives

Carine Dartiguepeyrou aux EAK
Carine Dartiguepeyrou, chercheuse et secrétaire générale des EAK, a conçu et porte le projet des Entretiens Albert-Kahn depuis les débuts. Plus de 200 intervenants de tous les horizons sont venus apporter un éclairage prospectif, et d’ici septembre 2022, 54 EAK auront pu avoir lieu.
©CD92/Julia Brechler
Le 20 septembre 2022

Depuis 2012, les Entretiens Albert-Kahn (EAK), le laboratoire d’innovation publique du département des Hauts-de-Seine, explorent sans relâche les futurs possibles de l’action publique territoriale. Inspiré du Mindlab danois1, ce labo départemental, en mode recherche-action et expérimentation, parvient à infuser la culture de l’innovation et de la prospective bien au-delà de son territoire, grâce à une démarche décloisonnée et transversale.

« Quel vivre-ensemble souhaitons-nous construire ? », est le premier sujet sur lequel se sont penchés les EAK le 12 octobre 2012. Un thème toujours d’actualité, qui résonne encore plus dans le contexte du (post-)covid-19 : « J’ai été contactée en 2011 par la directrice de cabinet du président Patrick Devedjian pour réfléchir à ce qu’on pourrait faire de la maison d’Albert-Kahn, du nom du célèbre banquier philanthrope et humaniste (1860-1940) qui mit sa fortune au service de la connaissance, de l’entente entre les peuples et du progrès social. Au-delà du musée départemental de Boulogne-Billancourt – qui vient tout juste de rouvrir ses portes après une transformation totale – l’idée était de prolonger cet héritage en créant un lieu de “rétrospective-prospective” pour réfléchir aux problématiques politiques au sens noble du terme et à l’avenir du département », explique Carine Dartiguepeyrou, secrétaire générale des EAK, qui a conçu et porte ce projet depuis les débuts.

Ouvrir les imaginaires et expérimenter

Dix ans après et sous l'impulsion du président du Conseil départemental Georges Siffredi, ces rencontres d’une demi-journée organisées 5 à 6 fois par an, et rassemblant des intervenants variés, des élus, des agents et des partenaires du département, ont fait œuvre d’utilité publique à l’échelle du territoire et au-delà. Plus de 200 intervenants de tous les horizons sont venus apporter un éclairage prospectif, et d’ici septembre 2022, 54 EAK auront pu avoir lieu. Cette production intense nourrit et oriente, sur un horizon de cinq à dix ans, les différentes politiques publiques locales sur une diversité de thèmes, n’hésitant pas à dépasser les compétences ou le périmètre d’action du département. Citons pêle-mêle : le droit à l’erreur, l’ADN des leaders de demain, le potentiel de l’économie collaborative pour les territoires, l’impact du numérique sur la gouvernance territoriale, le rapport au temps et à la décision, l’émergence des biens publics et communs, la transformation des organisations, la bienveillance en action pour créer l’esprit d’équipe, l’avenir du travail ou encore l’évaluation participative des politiques publiques. Des conférences podcastées ou filmées, disponibles en ligne sur le site des EAK2, et qui ont fait l’objet à chaque fois de publications diffusées librement sous la forme de petits cahiers synthétiques. Certains EAK sont organisés « hors les murs » pour élargir la participation à de nouveaux publics ou en « interne » pour insuffler l’innovation auprès des cadres et agents publics : « Nous avons à cœur de promouvoir une approche multidisciplinaire et décloisonnée pour ouvrir les imaginaires. Ce qui en fait un endroit à part, hors statut, hors grade et qui est non obligatoire, c’est ouvert à tous », précise Carine Dartiguepeyrou, qui est aussi chercheuse et prospectiviste3. Ce laboratoire n’a pas que vocation à brasser des idées, mais aussi à expérimenter en matière d’innovation sociétale (tiers-lieux, économie collaborative, renouveau du travail social, agriculture urbaine, évolutions des modes de vie, etc.). « Les EAK sont là pour contribuer à l’anticipation des politiques, en alimentant, par exemple, la réflexion sur l’avenir des solidarités, sur l’attractivité du territoire, la durabilité de son développement, et les modes de travail qui permettent d’atteindre ces objectifs », confie la secrétaire générale des EAK.

Dix ans après, ces rencontres d’une demi-journée organisées 5 à 6 fois par an, et rassemblant des intervenants variés, des élus, des agents et des partenaires du département, ont fait œuvre d’utilité publique à l’échelle du territoire et au-delà.

Quel avenir pour les métiers du « care » ?

Les derniers EAK, consacrés à l’avenir des métiers du médico-social et du social (dit du « care »), illustrent cette démarche décloisonnée. Organisée le 10 juin 2022, pour la première fois dans le nouvel amphithéâtre du musée Albert-Kahn, restauré après six ans de travaux, cette rencontre affichait complet avec plus de 100 participant·es. Directeur·rices d’hôpitaux, infirmier·éres, auxiliaires de vie, responsables associatifs, élu·es en charge des politiques sociales du département et acteurs privés ont pris le temps d’écouter les différents témoignages, de partager leurs vécus professionnels et de tenter de dessiner les contours des métiers de l’accompagnement social et médico-social dans un contexte de crise du recrutement et d’accélération du vieillissement démographique. Conditions de travail difficiles, emplois mal rémunérés, effectifs en réduction permanente dans les services, crise sanitaire à répétition, etc., forts d’un constat partagé sur la dégradation d’un métier complexe, pourtant au cœur de la société du soin, les intervenant·es ont tenté de dégager des pistes d’avenir, à travers une approche collaborative plus forte entre secteur public et privé, la reconversion professionnelle, la formation, l’élargissement de compétences ou encore la mutualisation et la modernisation des politiques publiques. À l’image de ce que fait l’Agence interdépartementale de l’autonomie, lancée en octobre 2021 par les Hauts-de-Seine et les Yvelines et l’association Invie, spécialisée dans l’aide à la personne, dont la mission est de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées, tout en améliorant l’accès et l’offre disponible.

Faire évoluer le métier du « care » passe aussi par redonner le pouvoir d’agir aux professionnels. « Le métier d’auxiliaire de vie est pensé bien souvent comme une succession de tâches plutôt que comme la création d’un lien. […] Il y a une assez faible responsabilité dans l’organisation de son travail alors que c’est par nature un poste à responsabilité. […] C’est aussi un métier avec un relationnel complexe : personne fragile, aidants familiaux parfois en injonction contradictoire, etc. Le point de départ d’Alenvi, c’est qu’une autre façon de faire est possible. Comment ? En redonnant le pouvoir d’agir au professionnel sur son planning, le recrutement, les visites qualité » est venu expliquer Clément Saint-Olive, cofondateur d’Alenvi, une société à mission qui propose un service d’accompagnement des personnes âgées à domicile, une activité de formation et d’habitat partagé. Il a également cofondé, en 2018, le collectif L’humain d’abord qui a vocation à accompagner la transformation organisationnelle dans le secteur de l’aide et du soin, et est le co-auteur du livre La société du lien. La révolution du comment (2021, Édition de l’Aube). Une intervention inspirante qui s’accorde avec la philosophie des EAK. Cette conférence s’inscrit dans un cycle annuel sur les défis de la solidarité, avec deux prochains thèmes qui seront explorés d’ici fin 2022 : « Politique jeunesse », le 21 octobre et « Grand âge et autonomie », le 25 novembre.

Les Entretiens Albert-Kahn (EAK) en quelques mots

Le projet des EAK est né de la volonté de Patrick Devedjian, ancien président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, de favoriser une réflexion transversale sur les grandes questions de société, en particulier celles liées à la mondialisation.

Les EAK proposent :

  • des rencontres : entre les élus, les agents et les partenaires du département pour réfléchir de manière décloisonnée et transversale à des sujets de prospective socio-économique et politique. Ces conférences sont podcastées et font l’objet de publications ;
  • des entretiens « internes » : rencontres destinées aux élus et aux agents du département pour approfondir des sujets d’innovation managériale ;
  • des entretiens « hors les murs » : en partenariat avec des associations ou des institutions en dehors de la maison Albert-Kahn pour toucher un public plus varié ;
  • les expérimentations en matière d’innovation sociétale : tiers-lieux, économie collaborative, renouveau du travail social, agriculture urbaine, évolutions des modes de vie, etc., qui sont conduites en amont des politiques publiques du département et lui permettent d’anticiper et de s’adapter aux évolutions de la société.

Quelles futures thématiques pour les EAK ?

La transition écologique et l’anthropocène font partie des prochains chantiers à explorer : « Nous allons consacrer notre prochain cycle annuel en 2023 au développement durable. La gestion de risques environnementaux, la conception de bâtiments moins énergivores, l’aménagement plus durable du territoire, les mobilités douces, la préservation du patrimoine ainsi que la politique parcs et jardins », confie Carine Dartiguepeyrou.

 La transition écologique et l’anthropocène font partie des prochains chantiers à explorer pour les EAK.

Les dix ans des Entretiens Albert-Kahn

Les EAK fêteront leurs dix ans le mardi 18 octobre 2022 au musée départemental Albert-Kahn. À cette occasion, la revue Horizons publics, fidèle à sa ligne éditoriale d’exploration de nouveaux horizons pour l’action publique, s’associe pour prolonger cette soirée par un hors-série thématique sur l’innovation publique, à paraître début 2023.

Au programme4

17h-18 h 30 : Conférences dans l’Auditorium

Georges Siffredi, président du département des Hauts-de-Seine : « L’innovation publique, un vecteur essentiel de l’action départementale » et projection courte de « Albert Kahn et ses invités. Visions du monde » (2021).

Carine Dartiguepeyrou, secrétaire générale des EAK, laboratoire d’innovation publique : « Rétrospective et prospective des Entretiens Albert-Kahn, quel héritage politique ? ».

Julien Nessi, rédacteur en chef de la revue Horizons publics et journaliste : « Panorama de l’innovation publique en France et en Europe ».

Olivier Whatelet, cofondateur de Making Tomorrow : « Un regard dystopique sur les EAK dans dix ans ».

18 h 30-19 h : Déambulation dans le jardin (parcours permanent des collections et de la maison Albert-Kahn), libre ou accompagnée par une médiatrice du musée.

19 h-20 h : Cocktail.

  1. Crée en 2012 par le ministère de l’Économie du Danemark, le MindLab, premier laboratoire d’innovation du secteur public au monde, a inspiré de nombreux autres laboratoires d’innovation publique, avant de fermer ses portes en mai 2018.
  2. https://eak.hauts-de-seine.fr/
  3. Elle a notamment publié L’innovation publique : repères et retour d’expérience en territoire, 2020, Presse des mines, Libres opinions.
  4. Inscriptions avant le 30 septembre 2022 auprès d’Isabelle Carpentier (icarpentier@hauts-de-seine.fr).
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