Dossier

Le management public à l’épreuve des transformations sociales

Le 9 juillet 2021

La série de quatre articles présentés sur le site de la revue Horizons publics donne à voir les résultats de réflexions juridiques menées dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire dirigée en 2019-2020 par le Centre de gestion de la Haute-Savoie et le Centre de Recherche en Droit Antoine Favre de la Faculté de droit de l’Université Savoie Mont Blanc.

 

Le projet Momaref « Définir un modèle managérial de référence dans la fonction publique territoriale » a réuni des chercheurs et des représentants d’administrations de Haute-Savoie (direction départementale des finances publiques, conseil départemental, communes).

 

À partir de constats partagés sur les mutations en cours dans le fonctionnement des administrations, il s’agissait de montrer comment les techniques et concepts managériaux sont conciliés avec la pérennité des valeurs portées par un service public contemporain moderne.

Il est aujourd’hui habituel pour les chercheurs en science administrative ou en droit d’aborder des sujets de management même si les méthodes ou les finalités scientifiques divergent souvent entre ces disciplines. Les travaux juridiques se sont multipliés afin d’analyser l’effet des concepts managériaux sur l’organisation administrative ou encore sur l’exercice des compétences des collectivités publiques (M. Le Clainche, Responsabilité des comptables publics et management public, Gestion & Finances Publiques, 5, 2017 ; F. Bottini, L'impact du new management public sur la réforme territoriale, RFDA, 2015). On sait que le management public agit sur l’ordre juridique et soumet l’écriture du droit à un impératif d’efficacité (J. Chevallier, Management public et Droit, Politiques et management public, 26/3, 2008. - L. Cluzel, Le service public et l’exigence de qualité, Dalloz, 2006).

Toutefois, bien que se frottant aux concepts managériaux, le droit public a été modernisé tout en permettant aux administrations de conserver leur fonctionnement singulier, la présence du « public » rendant irréductible le respect d’une certaine rationalité juridique. Par ses procédures destinées à garantir des droits (égalité, transparence, etc.), l’administration maîtrise notamment le rythme des projets et donc influence aussi le management (approbation des plans, vote de subventions, réalisation d’études environnementales, passation de marchés publics, recrutement des agents, etc.). A présent, on n’oppose plus management et droit et il est vain de savoir qui influence quoi comme le montrent les articles qui suivent.

1 - Manager la participation du public : la marque d’un management territorial moderne ? L’exemple des politiques de soutien à l’habitat participatif, par Jean-François Joye

L’un des domaines de l’action publique qui concilie fortement aujourd’hui droit et management est celui des politiques urbaines, en raison de la mobilisation de nombreuses règles et procédures administratives destinées à mettre en œuvre des actions dont l’influence sur le quotidien des habitants sera significative. La « performance » poursuivie par l’action publique est ici polymorphe : quantitative (construire des logements, des équipements) comme qualitative (rendre la ville agréable à vivre, limiter les nuisances, éviter les contentieux). A la différence d’autres domaines plus cloisonnés de l’action publique, l’urbanisme oriente le fonctionnement de l’administration vers la société, ce phénomène s’accentuant depuis quelques années sous l’effet des commandements du droit international, des progrès de l’Etat de droit, des revendications de nombreux groupes sociaux ou encore du retour en vogue des « communs »[1]. Il est consolidé par l’expérience acquise par les collectivités locales depuis la décentralisation des compétences d’urbanisme au début des années 1980. Ces éléments ont conduit à faire émerger puis à façonner un style de management public qui passe par une plus grande inclusion de ce qu’on nomme dans cet article « le public » sans distinction entre les notions de citoyens, d’usagers ou d’habitants. En intégrant cette donnée, l’administration doit non seulement parvenir à manager ses propres services mais aussi une nébuleuse d’acteurs externes. Pragmatique ou réaliste, elle adopte une posture plus fédératrice. Elle mobilise à cet effet des procédures de médiation.

[1] D. Bollier, La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, éd. Ch.-L. Mayer, 2015, 191 p.

2- Le « sourcing » et le « background check » face au droit de la fonction publique, par Grégoire Calley

Les stratégies d’embauche dans la fonction publique reposent de plus en plus sur des procédés d’e-recrutement qui renouvellent l’image quelque peu poussiéreuse et sclérosée habituellement véhiculée par les opérations de recrutement des agents publics. Initialement promues par les employeurs privés, ces nouvelles techniques sont censées apporter aux administrations les mêmes avantages : amélioration de la détection des profils, accroissement de la sensibilisation des candidats à l’univers professionnel qu’ils envisagent d’intégrer, réduction des délais d’embauche, diffusion élargie des offres d’emplois au moyen d’outils divers (partage d’informations relatives au recrutement via les réseaux sociaux, création d’espaces web spécifiquement dédiés au recrutement). 

Le sourcing et le background check constituent deux illustrations privilégiées de l’influence du e-recrutement sur le processus statutaire de sélection des candidats aux emplois de la fonction publique. Dans son acception générale, le sourcing désigne un processus de recherche préalable qui « doit permettre à l’employeur d’identifier en amont les candidats correspondant au profil recherché (compétences, savoir-faire, expérience, langues maitrisées…) »[1]. Cette identification suppose de collecter et d’analyser toute information utile au recrutement des candidats potentiels en recourant au besoin à des investigations sur le web. Le background check a, quant à lui, une portée plus respective. Destiné à vérifier les antécédents professionnels des candidats pressentis pour être recrutés, ce procédé assure la fiabilisation des informations qu’ils ont communiquées et permet en particulier de détecter d’éventuels « arrangements avec la vérité ». L’opportunité pour les administrations de recourir à de telles techniques peut à bien des égards être mise en discussion. Les traces numériques laissées plus ou moins volontairement par les personnes susceptibles d’occuper les emplois à pourvoir peuvent certes parfois en dire long sur leur aptitude à exercer les fonctions postulées. Mais elles peuvent aussi servir habilement à la dissimulation de la réalité des compétences en véhiculant une image factice et trompeuse. En tout cas, la généralisation du sourcing par les employeurs publics conduit mécaniquement les candidats à soigner leur image numérique, voire à se fabriquer ce qu’il est convenu d’appeler une « e-réputation ». Le risque est donc grand que la sélection des personnes pressenties pour occuper un emploi public se fasse parfois moins sur la base de leurs compétences que sur la base de leurs capacités à rayonner sur les réseaux sociaux, à se raconter selon des procédés académiques parfois superficiels.

A ces interrogations relatives à l’opportunité du recours au sourcing et au background check pour recruter dans la fonction publique, s’ajoutent des questions proprement juridiques. L’utilisation de ces procédés n’est en effet pas explicitement prévue dans le cadre normatif applicable à la fonction publique. Compte tenu des risques importants d’atteinte aux droits fondamentaux que de telles pratiques peuvent véhiculer, leur encadrement juridique plus précis s’avère indispensable.

3- Le manager, acteur de la conciliation entre l’intérêt du service et les mesures en faveur de la protection de l’environnement, par Laura Regairaz

Selon l’article 2 de la Charte de l’environnement, « [t]oute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Mise sous le feu des projecteurs dans les années 2000 après l’adoption de ce texte et des lois Grenelle, la protection de l’environnement mobilise toutes les personnes, y compris les pouvoirs publics. À cet effet, les mesures participant à la réduction des impacts environnementaux des activités publiques se sont multipliées, mais elles constituent, dans la fonction publique, autant de nouvelles contraintes pesant sur la gestion des agents. Si, d’ordinaire, les managers ont pour mission d’accompagner les agents dans la mise en œuvre du service public, ils sont censés désormais concourir, en plus, à la protection de l’environnement. Ainsi, en fonction des décisions de leurs employeurs, les managers doivent concilier deux objectifs parfois difficilement compatibles en pratique : la bonne gestion du service et la contribution à la préservation de l’environnement dans les services. Trois principales mesures, reconnues par la loi, révèlent la recherche constante d’équilibre entre ces deux objectifs et le nouveau rôle joué par les managers publics[1].

[1] De nombreuses administrations prennent aussi l’initiative de rédiger des chartes internes cherchant à réduire les impacts environnementaux de leurs activités (politique d’achat, réduction des déchets et des déplacements des agents).

4 - La co-production du service public induite par les nouveaux outils statutaires. Une adaptation constante des services par les managers, par Laura Regairaz

Selon le Conseil d’État, le statut général de la fonction publique doit « évoluer en profondeur »[1]. Consacré pour les agents de l’État en 1946, avant d’être étendu aux agents territoriaux et hospitaliers en 1983, le statut les soumet à un régime dérogatoire adapté à la mission d’intérêt général qui leur est confiée. S’il est garant d’une fonction publique indépendante, impartiale et égalitaire, il fait également l’objet de nombreuses critiques. En plus de son unité et des garanties qu’il octroie, ce sont aussi ses fondements qui sont attaqués, car jugés trop rigides et peu adaptés aux enjeux actuels. Ainsi, de nombreuses réformes ont cherché à l’assouplir et à le moderniser, en s’inspirant notamment du droit du travail. En plus des fonctionnaires ayant vocation à faire carrière, les managers doivent désormais accompagner de nouveaux agents dans la réalisation de la mission de service public et s’habituer aux changements plus fréquents de personnel. Cela induit une nouvelle organisation interne des services et une adaptation des méthodes de gestion. Il s’agit alors d’étudier ces nouveaux outils conduisant les managers à co-produire le service public avec une variété plus grande d’agents. Dans certains cas, la co-production leur est imposée ; les outils les obligent à s’adapter. Mais, dans d’autres cas, et c’est là que les dernières réformes innovent, la co-production est provoquée ; les outils sont mis à la disposition des managers qui décident d’y avoir recours ou non, la co-production étant expressément recherchée.

 

[1] CE, Rapport public 2003 : jurisprudence et avis de 2002. Perspectives pour la fonction publique, 2003, p. 301.

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