La co-production du service public induite par les nouveaux outils statutaires : une adaptation constante des services par les managers

Le 9 juillet 2021

Selon le Conseil d’État, le statut général de la fonction publique doit « évoluer en profondeur »[1]. Consacré pour les agents de l’État en 1946, avant d’être étendu aux agents territoriaux et hospitaliers en 1983, le statut les soumet à un régime dérogatoire adapté à la mission d’intérêt général qui leur est confiée. S’il est garant d’une fonction publique indépendante, impartiale et égalitaire, il fait également l’objet de nombreuses critiques. En plus de son unité et des garanties qu’il octroie, ce sont aussi ses fondements qui sont attaqués, car jugés trop rigides et peu adaptés aux enjeux actuels. Ainsi, de nombreuses réformes ont cherché à l’assouplir et à le moderniser, en s’inspirant notamment du droit du travail. En plus des fonctionnaires ayant vocation à faire carrière, les managers doivent désormais accompagner de nouveaux agents dans la réalisation de la mission de service public et s’habituer aux changements plus fréquents de personnel. Cela induit une nouvelle organisation interne des services et une adaptation des méthodes de gestion. Il s’agit alors d’étudier ces nouveaux outils conduisant les managers à co-produire le service public avec une variété plus grande d’agents. Dans certains cas, la co-production leur est imposée ; les outils les obligent à s’adapter. Mais, dans d’autres cas, et c’est là que les dernières réformes innovent, la co-production est provoquée ; les outils sont mis à la disposition des managers qui décident d’y avoir recours ou non, la co-production étant expressément recherchée.

[1] CE, Rapport public 2003 : jurisprudence et avis de 2002. Perspectives pour la fonction publique, 2003, p. 301.

La co-production imposée aux managers par les nouveaux outils statutaires

Dans l’objectif d’assouplir et de moderniser le statut général, les pouvoirs publics ont consacré de nouveaux outils portant sur le recrutement et la carrière des agents publics. Ils contraignent les managers à produire le service public avec des agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires et ne travaillant que pour une durée limitée dans le service.

Selon l’article 3 du Titre premier du statut général, les emplois permanents de la fonction publique sont occupés par des fonctionnaires. En principe, seuls les emplois non permanents, pour pallier un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité, sont occupés par des agents non titulaires, recrutés par contrat, comme les salariés de droit privé. Or, de nombreux emplois permanents sont désormais ouverts au recrutement contractuel : par exemple, en l’absence de fonctionnaires, pour remplacer momentanément un agent, pour l’occupation d’emplois dans les communes de moins de 1 000 habitants ou encore lorsque la nature de l’emploi le justifie. C’est la raison pour laquelle le nombre d’agents contractuels ne cesse d’augmenter ; alors qu’ils représentaient 15,2 % des effectifs de la fonction publique en 2007, leur part était de 19,2 % en 2018[1]. Pour autant, ces agents étant soumis au droit public, comme les fonctionnaires, la gestion n’en est pas entièrement bouleversée[2]. Il en va différemment lorsque les agents sont soumis au droit privé, comme les bénéficiaires de contrats aidés. Aussi, même s’ils représentent la majorité des agents non titulaires, il existe, aux côtés des agents contractuels, des vacataires, des auxiliaires ou encore des intérimaires. Ainsi, si le service public était à l’origine principalement mis en œuvre par des fonctionnaires, il l’est aujourd’hui également par d’autres agents de droit public et de droit privé. Les managers doivent alors adapter leurs méthodes de gestion pour les accompagner dans leur mission, en tenant compte de la variété du personnel, de leur recrutement plus ou moins pérenne et de la nature de leur régime juridique.

De nouveaux mécanismes de carrière s’imposent également aux managers, comme le révèlent plusieurs exemples. Premièrement, lorsqu’ils souhaitent renouveler un agent contractuel au-delà de six ans, ils sont tenus de transformer son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Il revient alors aux managers de gérer au quotidien deux catégories différentes d’agents, les fonctionnaires et les agents contractuels, mais qui sont susceptibles, en pratique, d’occuper des emplois permanents équivalents sur du long terme. Deuxièmement, en raison de leur emploi de plus en plus pérenne, de nouveaux droits ont été octroyés aux agents contractuels, comme leur reclassement lorsqu’un fonctionnaire est recruté à leur place. Les conséquences sur l’organisation du service sont manifestes, puisque les managers doivent accompagner durablement ces agents. Or, pour de nombreuses administrations, le recours au contrat est perçu comme une variable d’ajustement de leurs effectifs[3]. Cette nouvelle obligation leur fait donc perdre de la souplesse dans la gestion des services. Troisièmement, les agents sont encouragés à changer d’emploi, de service ou d’administration au cours de leur carrière, au titre de leur droit à la mobilité. Cela leur permet de diversifier leurs parcours professionnels, mais de nouvelles contraintes pèsent sur les managers. En effet, l’acceptation d’une demande de mobilité a des répercussions dans l’administration d’origine de l’agent, puisqu’il faut chercher à le remplacer, et dans son administration d’accueil, puisque son nouveau manager doit l’accompagner et, le cas échéant, le former.

Consacrés dans le cadre des réformes d’assouplissement et de modernisation du statut, ces différents outils témoignent de la grande variété d’agents participant désormais à la mise en œuvre du service public et des changements plus fréquents de personnel. Ils imposent ainsi une co-production de service aux managers, lesquels se doivent d’adapter l’organisation, le fonctionnement des services et leurs méthodes de gestion. Mais, la co-production peut également être un avantage pour le service public et être volontairement recherchée, ce que permettent les dernières réformes en date.

La co-production provoquée par les managers grâce aux nouveaux outils statutaires

Les dernières réformes du statut, notamment la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, ont innové en la matière, puisqu’elles mettent à la disposition des managers de nouveaux outils, lesquels sont libres d’y avoir recours ou non. La co-production ne s’impose alors plus à eux ; elle est le résultat de leurs propres politiques de gestion des ressources humaines. Ces outils peuvent en effet être bénéfiques pour le service public, dans un contexte où l’on demande à l’administration d’être plus efficace[4], car ils facilitent le recrutement d’agents compétents et le maintien d’agents motivés dans les services.

Parce qu’il est apparu que l’administration ne peut être efficace que si les agents publics sont compétents, il convenait tout d’abord d’adapter les méthodes traditionnelles de recrutement[5]. Souvent jugées trop générales et académiques, les épreuves de concours ont fait l’objet de réformes professionnalisantes. Mais, c’est surtout dans le recrutement contractuel que les compétences sont recherchées. Tandis que le concours permet de recruter du personnel qualifié, susceptible d’évoluer sur différents emplois tout au long de la carrière, le contrat crée une relation de travail plus individuelle : il permet de recruter une personne disposant des compétences requises pour l’occupation d’un emploi précis. Plusieurs avantages sont avancés par les employeurs, comme la capacité d’adaptation des agents, leur aptitude à l’innovation ou encore leur technicité[6]. C’est à ce titre, par exemple, que le statut autorise les employeurs hospitaliers à recruter par contrat pour l’occupation de fonctions nouvellement prises en charge ou nécessitant des connaissances techniques hautement spécialisées. En 2019, l’article 18 de la loi de transformation de la fonction publique a étendu cette possibilité dans la fonction publique d’État pour la recherche de compétences techniques spécialisées ou nouvelles et de l’expertise nécessaire aux missions à accomplir. Toujours dans cet objectif, son article 17 a créé le contrat de projet ; il s’agit de recruter des personnes aux compétences spécifiques, en fonction de leur expertise, que les employeurs n’auraient pas pu trouver dans leurs effectifs pour mener à bien un projet ou une opération. Cette nouveauté apporte de la souplesse aux employeurs, car le contrat prend fin avec la réalisation du projet ou de l’opération et ne peut pas dépasser six ans. Cela signifie que les employeurs ne sont pas tenus de reclasser les agents en cas de suppression de leurs emplois ni de transformer leurs contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée pour un renouvellement au-delà de six ans. Ces nouveaux outils statutaires sont donc à la disposition des managers dans la recherche de compétences. La co-production qui pourrait en résulter n’est plus imposée, mais assumée et justement désirée.

Si, pour être « efficace », l’administration doit être composée d’agents compétents, encore faut-il qu’ils restent motivés[7]. À ce titre, les pouvoirs publics ont cherché à rendre les emplois publics plus attractifs, en assouplissant notamment certaines dispositions statutaires jugées trop rigides. Il s’agit d’introduire davantage de subjectivité dans un système de fonction publique reposant sur l’objectivité et l’égalité, en individualisant les relations d’emploi. Par exemple, l’entretien professionnel, reconnu à l’origine aux salariés de droit privé, a remplacé la notation des agents publics, jugée trop impersonnelle et peu fondée en pratique. C’est alors l’occasion pour les managers d’échanger avec leurs subordonnés sur leurs situations professionnelles et de détecter d’éventuelles pertes de motivation. Ils disposent, le cas échéant, de plusieurs moyens d’action, comme la proposition de nouvelles perspectives d’évolution ou de formations. Le droit à la formation professionnelle, qui constitue une autre avancée majeure, découle donc directement de l’entretien professionnel. Néanmoins, c’est au titre de la rémunération au mérite que l’individualisation des carrières est la plus manifeste. Le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) autorise, par exemple, une différence de traitement entre les agents d’un même corps ou d’un même cadre d’emplois en fonction du mérite.

L’entretien professionnel, la formation et la rémunération au mérite contribuent donc à l’individualisation des carrières, levier majeur de l’attractivité des emplois publics et, ainsi, de la motivation des agents. Cependant, il peut arriver que cette dernière soit définitivement perdue par certains personnels. Dans ce cas, deux solutions peuvent être envisagées. La première est à l’initiative de l’agent ; il s’agit de la démission. Toutefois, l’agent ne pouvant percevoir d’allocation chômage, il n’a pas d’intérêt à engager une telle procédure. La seconde est à l’initiative de l’employeur ; il s’agit du licenciement pour insuffisance professionnelle. Néanmoins, cette justification n’est pas toujours avérée en pratique. À défaut de trouver une solution satisfaisante pour rompre la relation d’emploi, de nombreux agents en perte de motivation demeurent dans les services, ce qui nuit à l’efficacité de l’administration. Dans ce contexte, l’article 72 de la loi de transformation de la fonction publique a révolutionné le statut en transposant du droit du travail la rupture conventionnelle. S’il s’agit d’une expérimentation pour les fonctionnaires jusqu’en 2025, ce dispositif s’applique déjà aux agents contractuels. Il autorise à mettre un terme, à l’initiative de l’agent ou de l’employeur et après accord de l’autre partie, à la relation d’emploi d’un agent, qui ne serait par exemple plus motivé. Cette nouveauté pallie les lacunes de l’ancien régime juridique, puisque contrairement à la démission, l’agent bénéficie d’une indemnité et, contrairement au licenciement pour insuffisance professionnelle, il n’est pas utile de justifier la demande. Il est donc désormais possible de mettre un terme, en-dehors de toute faute professionnelle, à la carrière d’un fonctionnaire, ce qui peut entraîner un changement plus fréquent de personnel à terme que les managers doivent gérer.

En conclusion, les dernières réformes de la fonction publique n’ont eu de cesse d’assouplir et de moderniser le statut général. Deux leçons doivent être tirées de cette évolution.

D’une part, la plus grande variété d’agents contribuant à la mission de service public et les changements plus fréquents de personnel induits par ces réformes supposent, en contrepartie, d’adapter régulièrement les méthodes de gestion.

D’autre part, alors que la co-production de service était principalement imposée aux managers, elle peut aujourd’hui être également le résultat de leurs propres choix. Par nature unilatéral, le statut laisse désormais le soin aux managers d’apprécier les besoins de leurs services et d’adapter leurs gestions en ayant recours, au besoin, aux nouveaux outils statutaires.

[1] DGAFP, Rapport annuel sur l’état de la fonction publique, 2020, p. 88.

[2] Pour une étude détaillée du régime des agents contractuels, voir L. Regairaz, La fonction publique contractuelle, PUSMB, 2021.

[3] I. Desbarats et S. Kopel, Les agents contractuels de la fonction publique territoriale française. De la précarité juridique à l’atout managérial ?, RFAP, 2005/3, n°115, p. 481.

[4] CE, Rapport public 2003 : jurisprudence et avis de 2002. Perspectives pour la fonction publique, 2003, p. 241.

[5] C. Desforges et J.-G. Chalvron, Rapport de la mission préparation au réexamen général du contenu des concours d’accès à la fonction publique de l’État, 2008.

[6] C. Bernard-Steindecker, Les agents non titulaires, acteurs et enjeux de l’évolution de la fonction publique, 1988, p. 322.

[7] Pour des exemples de démotivation dans la fonction publique, voir M. Pochard, Quel avenir pour la fonction publique ?, AJDA, 2000, p. 3 ; F. Melleray, Point d’indice, AJDA, 2020, p. 193 ; F. Safy-Godineau, A. Fall et D. Carassus, Soutien organisationnel perçu, implication organisationnelle et satisfaction au travail : effets sur l’absentéisme maladie dans la fonction publique territoriale, Revue de gestion des ressources humaines, 2020/2, n°116, p. 45.

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