Design et data au service de l’innovation

Le 14 février 2022

Comment améliorer l’action publique en combinant data et design ? Retour sur quatre projets inspirants menés au sein des administrations par des praticiens du design, qui préfigurent l’action publique de demain1. Monitorfish est un outil permettant d’améliorer le contrôle des activités des navires de pêche ; Open collectivités est une plateforme simplifiant l’accès aux informations et statistiques sur les collectivités locales et Mission transition écologique est un portail visant à faciliter l’accès aux aides publiques à la transition écologique et énergétique et la transformation des services et le pilotage de la donnée par l’Agence de la transition écologique (ADEME). Une rencontre organisée par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dans le cadre de la 8ème édition du mois de l'innovation publique.

Monitorfish : améliorer le contrôle des activités des navires de pêche

La mission du Centre national de surveillance des pêches (CNSP) consiste à coordonner les contrôles de police des pêches pour tous les navires dans les eaux françaises et les navires français dans les eaux extraterritoriales. Le recours à Monitorfish naît d’un constat : les agents reçoivent des données en temps réel ainsi que les déclarations des pêcheurs, mais les outils dont ils disposent sont peu nombreux, peu adaptés et peu ergonomiques. Difficile dans ces conditions de déterminer les navires les plus pertinents à contrôler.

Chaque navire dispose d’une fiche réunissant ses données d’identité, sa déclaration de pêche et une note de risque calculée à partir de trois paramètres : l’impact de son activité de pêche sur la ressource marine, le taux d’infraction et la fréquence des contrôles.

Pour améliorer le contrôle des activités de pêche, le CNSP a fait appel à l’outil Monitorfish. Adeline Celier, designer de service au CNSP témoigne du travail mené étroitement entre le design et la data en deux phases. La première a consisté à comprendre les métiers, les besoins et les attentes puis à poser les fondements de l’application, à récupérer les données, les organiser de façon dynamique et intuitive. La seconde, plus complexe, à développer des outils d’aide à la décision des agents. Cela a demandé une analyse des données pour comprendre les comportements, nécessité de comparer des sources pour concevoir des formules, de comprendre en profondeur les procédures et de remettre en perspective le travail au-delà du CNSP.

Selon Adeline Celier, l’approche du design et de la data comptent de nombreux points communs, même si les méthodes et enjeux sont propres à chaque discipline. Toutes deux démarrent par une phase de diagnostic, via des ateliers et interviews synthétisés sous forme de carnets dans le cas du design de services via des infographies et des analyses dans le cas de la data : « Les regards croisés sont précieux, cela a enrichi notre travail », explique Adeline Celier. Elle ajoute que la data science lui a permis de s’appuyer sur des éléments objectifs pour remettre en perspective son travail. Dans la première phase du projet, elle a posé des questions spécifiques à l’expert en data, sur les déclarations de pêche pour comprendre et quantifier les pratiques. Cela a permis notamment de questionner des données ancrées depuis longtemps dont on peut avoir omis la provenance tels que les comportements des marées ou encore l’analyse des pistes des navires. Cette démarche a également permis d’analyser une situation d’usage par les données qu’elle génère et de mettre en relief l’inadaptation de la règlementation à la réalité du terrain. Plus précisément, les navires qui pêchent des espèces plus fragiles, doivent envoyer, quatre heures avant le débarquement, un préavis afin que le contrôleur puisse venir vérifier leur activité. Ces avis diffusés très largement, sans ciblage, demandent énormément de travail au CNSP. C’est en analysant les chiffres et les ratios, que la data scientist et le designer ont pris conscience de ce problème. Le fait de disposer d’un panel quantitatif a également permis d’étayer le discours de la designer.

Le recours à Monitorfish naît d’un constat : les agents reçoivent des données en temps réel ainsi que les déclarations des pêcheurs, mais les outils dont ils disposent sont peu nombreux, peu adaptés et peu ergonomiques. Difficile dans ces conditions de déterminer les navires les plus pertinents à contrôler.

Le design a également enrichi le travail du data scientist, il a apporté des éclairages de terrain, nourri sa vision des retours utilisateurs. Il a transmis des outils et méthodes de mise en forme des idées afin de faciliter son travail de conception sur le facteur risque.

Open collectivités : réunir sur une même plateforme les données des collectivités locales

Open collectivités, projet porté par la direction générale des collectivités locales (DGCL), vise à rassembler les statistiques publiques existantes sur les collectivités locales. À l’origine de ce projet, une note du Conseil national de l’information statistique (CNIS), qui pointait les difficultés à trouver les données, peu mises en valeur, disséminées sur plusieurs sites et dans divers formats.

L’objectif est de fournir des éléments clés aux décideurs pour les informer et les aider à faire des choix de politiques publiques : « Le site s’adresse d’abord aux fonctionnaires territoriaux, mais aussi aux citoyens, chercheurs, journalistes », explique Élodie Delaisement, designer à la DGCL du ministère de la Cohésion des territoires. Les porteurs du projet se sont adressés en priorité aux agents publics locaux pour obtenir les données, un travail complexe en période de covid-19. En avançant sur le projet, l’équipe s’est rapidement confrontée à une problématique : la pérennisation du site alors même que dans le service concerné personne ne sait designer et développer des services. Il faut donc automatiser au maximum la récupération de données et envisager une mise à jour une fois par an, en interne. Le développeur du projet a créé une interface dans un back-office, pour permettre d’actualiser les données sans avoir à lancer une ligne de commande.

Open collectivités, projet porté par la direction générale des collectivités locales (DGCL), vise à rassembler les statistiques publiques existantes sur les collectivités locales.

Ainsi une base de données ASPIC (accès des services publics aux informations sur les collectivités) contenant des données sur les collectivités locales a été récupérée. L’équipe a travaillé avec la bibliothèque numérique de la statistique publique, un site de l’Insee ayant une API (interface de programmation d’application) qui indexe toutes les publications statistiques de treize services ministériels (à terme elle devrait concerner tous les services ministériels). Elle a récupéré toutes les publications concernant les collectivités locales et des données provenant notamment du ministère de l’Économie.

Après la phase de cadrage du projet, le travail en binôme designer-data scientist s’est centré sur la faisabilité technique et la pérennité de la plateforme : « Le cœur du site, ce sont les publications statistiques. Il en réunit plus de 4 000 ! On peut les filtrer de manière très fine, par auteur, année de publication, région, département, raconte Élodie Delaisement. Une réflexion avec notre mentor nous a menés à ajouter des éléments de contexte pour mieux comprendre les publications statistiques. » Le site permet de faire des recherches par commune, par établissement public de coopération intercommunale (EPCI), par département, mais aussi par types de territoires (montagne, littoral) ou des champs s’adressant davantage à un public averti, des chercheurs, par exemple.

Ce projet a mis aussi en relief le gain de temps représenté par l’automatisation des données, une agrégation manuelle n’était pas envisageable avec les moyens alloués.

Mission transition écologique : faciliter l’accès des entreprises aux aides publiques à la transition écologique

Pour 50 % des entreprises, la question financière constitue le frein principal à la transition écologique. Le financement public apparaît technique, complexe et dispersé. Mission transition écologique a pour ambition d’apporter une solution aux entreprises en rassemblant dans une même plateforme l’ensemble des aides publiques à la transition écologique. La lettre de mission de ce projet porté les ministères de la Transition écologique et de l’Économie demandait la création d’un guichet unique des aides à la transition écologique pour les entreprises, les collectivités, les citoyens. Le travail de l’équipe a d’abord consisté à vérifier que la commande publique réponde à des problèmes réels des usagers avant de la réorienter si nécessaire. Elle a décidé de se concentrer sur la cible « entreprises », car des outils existaient déjà pour les collectivités, quant aux particuliers, plusieurs dispositifs étaient en cours de finalisation.

Le travail d’enquête a révélé une défiance des entreprises vis-à-vis des aides publiques et plusieurs obstacles : la difficulté de savoir qui propose les aides, l’incapacité de comparer les différents dispositifs existants, la multitude d’informations sur la transition écologique. Cette recherche a confirmé l’utilité du guichet unique, une porte d’entrée pour les entreprises, permettant de comparer les différentes aides, favorisant la collaboration entre l’ensemble des acteurs et financeurs publics et permettant de développer de nouveaux outils tels qu’un module d’éligibilité aux aides publiques.

Mission transition écologique réunie dans son moteur de recherche, réalisé en collaboration avec des start-up d’État et les territoires, plus de 400 dispositifs d’aide. Pour l’administration, il montre l’engagement de l’État en matière de simplification, de transparence et de vulgarisation. C’est aussi un moyen d’identifier à travers la recherche et les retours utilisateurs les manques de l’offre actuelle de financement.

L’équipe a travaillé en étroite collaboration avec les start-up d’État, proposant des services plus simples et accessibles aux entreprises et guidés par l’impact. En intégrant au moteur de recherche le service existant, Place des entreprises, cela a évité les doublons. L’équipe a également sensibilisé les financeurs aux questions de sémantique, afin que les termes employés répondent aux recherches des utilisateurs. Enfin, la collaboration avec l’association Data for good, devrait aboutir sur la création d’un module d’éligibilité des aides publiques. En renseignant leur chiffre d’affaires, leur nombre de salariés, la thématique pour laquelle ils recherchent une aide, les entreprises pourront savoir à quels dispositifs elles sont éligibles, un gain de temps considérable.

L’ADEME : création d’une fabrique de la donnée

L’agence de la transition écologique compte 900 collaborateurs, un peu moins de la moitié en région travaille sur deux axes majeurs : une offre d’accompagnement, d’animation des territoires afin d’œuvrer pour la transition écologique et la collecte de données. Parmi elles, citons le dispositif pour la performance énergétique des bâtiments, le bilan carbone, le bilan gaz à effet de serre des entreprises, les données de responsabilité élargie aux producteurs pour connaître les taux de recyclabilité et de déchets dans certaines filières.

Depuis 2010, le programme d’investissements d’avenir, piloté par le secrétariat général pour l’investissement, a accordé 2,5 milliards d’euros d’aides à 2 000 entreprises, dont 1 000 TPE/PME, plus de 1 000 projets ont été accompagnés avec un financement moyen de 300 000 euros.

Le processus de subvention peut se découper en sept étapes : la demande d’aides qui requiert une bonne connaissance des appels à projets ; l’acceptation ou le refus (phase d’instruction) ; la contractualisation (montage financier qui assure un financement régulier année après année) ; le suivi du projet ; les avances remboursables (montants retournant à l’État) ; l’évaluation et la valorisation (mesure de l’impact) et la clôture (reporting, bilans). La donnée se trouve à chaque étape de ce processus d’où l’idée de créer une « fabrique de la donnée » à l’ADEME, une manière de soutenir les producteurs de données, de faciliter le partage, de valoriser les données, de développer une culture de la donnée et d’adresser les besoins transverses (protection des données personnelles, sécurisation de l’information).

Cet outil, prochainement mis en ligne, proposera des cartographies de financement notamment par régions et tailles d’entreprises. Pour l’ADEME cette stratégie par la donnée comporte plusieurs avantages : l’industrialisation du processus, l’accès à des outils de pilotage, la création de référentiels communs, de standards (sur les entreprises, leurs projets et leur impact) qui continueront à nourrir l’open data. Pour l’ensemble de l’écosystème, cela favorisera l’interopérabilité des systèmes, la création de nouveaux services et l’ouverture et le partage des données.

  1. Le 6e meet-up Design et data a été organisé par la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) dans le cadre de la 8e édition du Mois de l’innovation publique en novembre 2021. Pour revoir l’intégralité des échanges sur la chaîne Youtube « TransformationPubliqueGouv ».
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