Emmanuel Vivé, directeur de l’Adico et de Déclic

Le 28 janvier 2019

Emmanuel Vivé est directeur de l’Association pour le développement et l’innovation numérique des collectivités (Adico) et président de Déclic, un réseau d’échange d’informations entre structures de mutualisation informatique (SMI) et opérateurs publics de services numériques (OPSN).

1- Les collectivités locales face aux défis du numérique

Face à l’accélération des transformations numériques, les collectivités locales sont souvent prises de vitesse ou dépassées par la complexité et la multiplication des législations. Les plus petites d’entre elles n’ont souvent pas les moyens ou les ressources nécessaires pour accompagner ou anticiper ces transformations. Quel regard portez-vous sur le numérique dans les territoires et quel rôle jouez-vous pour accompagner ces collectivités ?

Effectivement, les réformes numériques s’accélèrent et il est souvent difficile pour les collectivités territoriales, de taille moyenne ou plus petite, de suivre ce rythme.

Le RGPD, par exemple, a pris de court de nombreux acteurs locaux, faute d’informations, de ressources ou de moyens suffisants pour anticiper. Le RGPD, la désignation d’un délégué à la protection des données (data protection officer [DPO]) ou encore les plateformes numériques pour gérer les démarches administratives (COMEDEC1, Presaje2) sont quelques-uns des dossiers auxquels sont confrontées les collectivités locales au quotidien.

Notre rôle est de les aider à aller aussi vite que ces évolutions numériques. L’objectif du gouvernement est d’atteindre 100 % de démarches administratives dématérialisées en 2022. Les collectivités locales sont en première ligne pour y parvenir, c’est notre conviction. C’est pourquoi nous les accompagnons au quotidien. Nous organisons régulièrement des conférences avec des acteurs publics (la DINSIC3, la CNIL4, le ministère de la Justice, le CGET5, la DGFIP6, etc.) et des collectivités innovantes pour sensibiliser, informer, proposer des solutions et partager les bonnes pratiques en matière de numérique dans les territoires. Par exemple, sur COMEDEC, nous avons fait venir un responsable du ministère de la Justice pour expliquer le dispositif. Grâce à cette action, l’Oise est devenue un département pionnier sur ce dispositif dématérialisé de délivrance de données de l’état civil. Nous avons procédé de la même manière pour faire connaître et former les collectivités à l’utilisation de la plateforme Presaje. En un an, 85 % des collectivités du département de l’Oise ont créé un compte Presaje. En accompagnant concrètement sur le terrain les collectivités locales, nous arrivons à faire cette transformation publique. Nous sommes sur un vrai service à l’usager.

Nos structures jouent un rôle d’accompagnement numérique des collectivités qui n’est pas suffisamment reconnu. Certains élus pensent qu’il faut mettre en opposition le numérique et la ruralité. Or aujourd’hui, c’est l’inverse : le numérique peut apporter des services aux usagers dans les zones rurales. Nous avons un rôle de proximité, nous sommes complémentaires des associations d’élus comme l’AMF7 ou l’AMRF8. Nous allons aussi intensifier nos actions pour former et accompagner nos adhérents sur le Répertoire électoral unique (REU), le prélèvement à la source ou encore la dématérialisation des marchés publics. En 2019, la sécurité des systèmes d’information (RSSI), l’open data – imaginer quelles données pour quels usages à l’échelon départemental – et l’évolution des métiers dans les collectivités sont parmi nos chantiers prioritaires. Par exemple, sur ce dernier point, nous avons identifié de nouveaux profils qui émergent avec la transformation numérique des collectivités. Les ergonomes sur l’adaptation des postes de travail (sièges, hauteurs des tables, types de souris, etc.) ou encore les psychologues numériciens sur la gestion des demandes des citoyens avec des usagers plus pressés et plus exigeants.

2- La protection des données personnelles dans les collectivités locales

Le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) est entré en application le 25 mai 2018. Il encadre et harmonise, à l’échelle de l’Europe, le traitement des données personnelles par des entités publiques et privées. Il renforce le droit des personnes et créé une nouvelle obligation, celle de désigner un délégué à la protection des données (DPO : pour Data Protection Officer). Avec l’arrivée du RGPD, les services de la CNIL sont débordés et les petites collectivités sont dans l’impossibilité d’avoir un DPO, faute de moyens. Quelles sont vos actions pour accompagner ces acteurs locaux dans cette démarche ?

La mutualisation territoriale des DPO est la solution pour apporter un service égalitaire à l’ensemble des mairies. Cette mutualisation est réalisée par l’Adico mais aussi par d’autres membres de l’association Déclic sur tout le territoire. Le service des délégués à la protection des données de l’Adico continue à se développer. Nous avons créé cinq postes de DPO et deux en cours de recrutement pour accompagner les collectivités dans la mise en conformité au RGPD : l’Oise, la Somme, l’Eure, la Seine-Maritime et le Val d’Oise ont ainsi mutualisé cette fonction. En tout, ce sont plus de 700 collectivités qui ont délibéré pour faire de l’Adico leur DPO. Au niveau de Déclic, nous avons engagé la même démarche de mutualisation et d’externalisation qui correspond à un besoin du terrain. Nous avons mis en place un groupe de travail DPO.

Aujourd’hui, nous créons des postes au sein de nos structures et nous proposons aux collectivités des DPO. Un DPO peut suivre entre 70 et 100 collectivités (moins de 500 hab.), financé par des cotisations additionnelles ou intégré dans l’adhésion globale à la structure. Pour les autres collectivités, la mise en conformité va être très longue et très compliquée.

Aujourd’hui, des intercommunalités se sont associées à cette démarche : la communauté de communes des Sablons, dans l’Oise, a mutualisé la mise en conformité pour l’ensemble de ses communes membres et a confié cette mission à l’Adico. La communauté d’agglomération de la région de Compiègne et de la Basse Automne a également passé commande. Elles ont fait le choix d’une « sur-mutualisation ».

Je ne peux que conseiller de nommer son DPO et de commencer la mise en conformité. La mutualisation peut être une solution, cela demande des compétences juridiques, informatiques.

 3- La dématérialisation des marchés publics

Depuis le 1er octobre 2018, la dématérialisation des marchés publics supérieurs à 25 000 € HT est devenue obligatoire. À l’occasion de la dernière conférence annuelle de l’Association des acheteurs publics (AAP), qui s’est tenue le 30 novembre dernier, l’un des principaux problèmes remontés par les opérateurs économiques est que les différentes plateformes publiques et les profils d’acheteur se présentent sous des formes diverses et variées complexifiant ainsi la lisibilité des démarches à mener. Qu’avez-vous observé au niveau local ?

Sur ce sujet, il y a deux enjeux pour les collectivités : comment simplifier la vie des collectivités en créant une interface de programmation applicative (souvent désignée par le terme API pour application programming interface) entre les profils acheteurs et le logiciel de gestion financière des collectivités pour le transfert des données essentielles9. La dématérialisation est censée en effet simplifier la vie des collectivités et des usagers. C’est une vraie problématique que nous avons observée : les collectivités ne sont pas encore à jour sur ce point. C’est un vrai chantier, il faut leur fournir les solutions techniques (API). Deuxième enjeu : comment faire pour que nos entreprises accèdent facilement à la commande publique ? L’une des solutions pourrait être des agrégateurs de marchés publics crées par des départements ou des régions. Nous l’avons fait dans l’Oise, avec le Conseil départemental, sur marchespublics.oise.fr, qui affiche les marchés des principales plateformes.

4- L’impact du numérique sur les métiers publics

Une étude prospective « Transformation numérique : dessinons les métiers publics de demain », publiée par la DITP en novembre (voir article dans Anticipations publiques, p. 88), prévoit que plus de 70 % des effectifs de la fonction publique d’État et hospitalière pourraient voir leurs métiers sensiblement voire radicalement transformés par le numérique. Quelle est votre réaction à ce rapport ?

Au niveau des collectivités locales, il y a deux phénomènes simultanés sur la question des emplois publics : le renouvellement des agents en collectivités et l’émergence de nouveaux métiers.

Nous avons coutume de rappeler que, d’une manière globale, huit métiers sur dix n’existeront plus dans 10 ans et les métiers publics sont aussi concernés ! 85 % des agents de catégorie C partiront en retraite d’ici 2024 (bilans sociaux traités par les centres de gestion). Il faut donc former pour renouveler les effectifs et remplacer les départs à la retraite mais aussi former sur de nouveaux métiers.

Au niveau de l’Oise, nous avons fait par exemple le choix du pass-emploi avec la région Hauts-de-France et Pôle emploi, en formant 12 secrétaires de mairie par an capables de gérer la complexité numérique (parcours de 42 jours avec 3 semaines de stage). Durant la formation, nous les sensibilisons sur le numérique (signature électronique, dématérialisation, etc.), avec un taux de placement de 100 %. Les métiers évoluent clairement, il faut les former. Le CNFPT10 a mis en place un certain nombre d’outils en ligne : c’est une solution, mais le temps de formation disponible doit être soutenu. Les élus doivent prendre le temps de former leurs agents, sinon le risque est d’avoir des collectivités à deux vitesses et des agents publics en souffrance professionnelle. Tous les postes administratifs vont être impactés par la transformation numérique : agents comptables, responsables de paie, métiers d’accueil, agents bibliothécaires, etc.

5 - Le défi de l’inclusion numérique

13 millions de nos concitoyens demeurent éloignés du numérique : ils n’utilisent pas ou peu Internet, et se sentent en difficulté avec ses usages. Pour tenter de résorber cette fracture numérique, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale d’inclusion numérique. Quel diagnostic portez-vous sur cette question dans les collectivités ?

Certaines collectivités ont pris la compétence de l’inclusion numérique, en créant des postes d’accompagnateurs au numérique dans les médiathèques. La ville de Compiègne, par exemple, a mis en place des cyberbases pour accompagner les exclus du numérique (personnes âgées, en situation de handicap, en précarité sociale ou financière). C’est le prochain défi politique de nos territoires.

Mon constat, c’est que nous avons déshabillé le service public dans les territoires avec la fermeture des services publics (bureaux de Poste, gare SNCF, écoles, etc.) et que nous déployons en même temps le numérique sans accompagnement. Nous accélérons la transformation numérique du territoire sans attendre ou créer des solutions. La crise des gilets jaunes a fait resurgir ce problème de fond de façon explosive, fruit de plus de 20 ans de disparition des services publics.

La priorité politique d’un département, c’est de répondre à cette fracture numérique et d’apporter des solutions. Le numérique doit trouver sa place dans cette nouvelle donne territoriale. La stratégie d’inclusion numérique doit être prise en charge au niveau local, communal et intercommunal. Le bon échelon n’est-il pas intercommunal ? Nous avons créé justement sur ce sujet une commission spéciale « Inclusion numérique » au sein de Déclic, pour relever ce défi local.

Adico et Déclic, deux acteurs engagés dans la transformation numérique des collectivités locales

L’Association pour le développement et l’innovation numérique des collectivités (Adico) est une association créée en 1990, à l’initiative de l’Union des maires de l’Oise et avec le concours du Conseil général et de l’État. Elle est née d’une volonté concrète : accompagner les collectivités locales de l’Oise dans les méandres de l’informatisation. Aujourd’hui, l’association accompagne plus de 1 000 collectivités de l’Oise et des départements limitrophes dans leur transformation numérique. L’association est aussi un centre de formation intitulé « Adico institut » et un service mutualisé de Délégués à la protection des données (DPD).

Déclic est un réseau d’échange d’informations entre structures de support informatique départementales. Il regroupe aujourd’hui 32 structures départementales et 18 000 collectivités locales. Sa mission principale est d’accompagner numériquement les collectivités notamment sur les logiciels métier.

1. Le dispositif COMEDEC est un dispositif dématérialisé de délivrance de données de l’état civil qui a vocation à centraliser l’ensemble des demandes d’acte adressées aux communes. Ce dispositif est devenu obligatoire le 1er novembre 2018 pour les communes sur le territoire desquelles est située ou a été établie une maternité (L. no 2016-1547, 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle). COMEDEC poursuit deux objectifs principaux : simplifier les démarches administratives des usagers, en leur évitant d’avoir à produire leur acte d’état civil, limiter la fraude documentaire. Source : ministère de la Justice.
2. Presaje est la plateforme numérique qui accompagne la journée « Défense et Citoyenneté » :
3. Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication.
4. Commission nationale de l’informatique et des libertés.
5. Commissariat général à l’égalité des territoires.
6. Direction générale des finances publiques.
7. Association des maires de France.
9. Via le flux Pes-Marché.
8. Association des maires ruraux de France.
10. Centre national de la fonction publique territoriale.

11. File Transfer Protocol. 

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