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Territoires intelligents : les données doivent rester la propriété des collectivités

Le 1 février 2021

Angers Loire métropole a mobilisé un consortium d’opérateurs publics et privés autour d’un projet ambitieux de territoire intelligent, baptisé « Territoire intelligent Angers Loire métropole ». L’union mutualiste VYV, dont fait partie Harmonie mutuelle, en est partie prenante à travers la fourniture d’une plateforme de données et le développement de futur services santé et bien-être sur le territoire.

 

Financé à hauteur de 178 millions d’euros, ce projet constitue – avec le consortium de la ville de Dijon – l’un des projets de smart city les plus en vue du moment pour des collectivités et métropoles de taille moyenne. Afin de mieux comprendre les enjeux et perspectives de ce partenariat public-privé, nous vous proposons un entretien croisé entre Christophe Béchu, maire d’Angers et président de la communauté urbaine Angers Loire métropole et Stéphane Junique, président d’Harmonie mutuelle et porte-parole du groupe VYV.

Quels sont pour vous les enjeux et objectifs principaux du territoire intelligent d’Angers Loire métropole ? Comment concevez-vous son développement avec les acteurs du territoire et notamment les habitants ?

Christophe Béchu – Notre projet de territoire intelligent est un projet que j’ai voulu communautaire. Il a été approuvé par les élus à l’unanimité et il s’appuie sur un triple constat : premièrement, nous sommes dans une urgence écologique, qui nécessite des mesures à la hauteur de la nécessaire transition que nous avons amorcée ; deuxièmement, les finances publiques sont de plus en plus contraintes et cette tendance va forcément s’accélérer ces prochaines années ; enfin, il y a nécessité de réinventer le lien qui existe entre le service public et ses usagers, lien qui s’est peu à peu distendu. Le territoire intelligent tel que nous l’imaginons va être à la fois un support et un outil pour améliorer le pilotage des politiques publiques grâce à des solutions innovantes, pour coconstruire de nouveaux usages et pour enclencher une nouvelle dynamique avec nos partenaires associatifs, économiques ou encore institutionnels. Il sera surtout un accélérateur de la transition écologique. Tout le monde est concerné, sachant que ce projet a comme ambition également de répondre aux besoins des habitants en amplifiant la relation numérique à l’usager.

Le territoire intelligent tel que nous l’imaginons va être à la fois un support et un outil pour améliorer le pilotage des politiques publiques grâce à des solutions innovantes, précise Christophe Béchu, maire d’Angers et président de la communauté urbaine Angers Loire métropole.

Stéphane Junique – Le territoire est un lieu de vie où chaque habitant aspire à vivre dans les meilleures conditions. Nous pensons que l’humain doit être au cœur du processus de développement de ces services. La technologie déployée est le moyen qui les rend possibles et en assure l’efficacité. Nos enjeux rejoignent ceux des territoires et le maillage territorial des entités du groupe VYV constitue un atout pour répondre au défi de la citoyenneté pour un territoire. Il s’agit de rendre le numérique accessible à tous via une plateforme à impact social, d’accompagner les citoyens dans une utilisation responsable des technologies, de lutter contre l’exclusion sociale. Nous souhaitons faire partie des acteurs qui à travers ces innovations font bouger les lignes sur ce que peut devenir le numérique pour les citoyens.

Nous souhaitons faire partie des acteurs qui à travers ces innovations font bouger les lignes sur ce que peut devenir le numérique pour les citoyens, explique Stéphane Junique, président d’Harmonie mutuelle et porte-parole du groupe VYV.

Le consortium regroupe Engie (pilote du consortium), Suez, La Poste et VYV. Quels sont pour vous les avantages de cette stratégie multi-acteurs autour des objectifs que vous vous fixez ? Et quels seront les principaux défis à relever dans la coopération de ces partenaires ?

Christophe Béchu – Si, pour ce projet, nous avons souhaité passer un marché de performance globale (MGP), c’est aussi parce que nous savions que les candidats allaient se constituer en consortium, et que de ce fait ils seraient en mesure de répondre à l’ensemble de nos attentes. Une collectivité, c’est une multitude de professions et de métiers très divers. Le consortium que nous avons choisi regroupe des entreprises qui œuvrent elles aussi dans des secteurs d’activité très différents mais sont complémentaires. C’est la garantie d’un champ d’actions très large et d’une capacité à s’adapter au fur et à mesure que le projet avancera. J’estime que c’est la condition sine qua non de la mise en place du territoire intelligent et de sa réussite. Maintenant, c’est à Engie d’être la cheville ouvrière de cette organisation en lien avec les élus et les services de la communauté urbaine.

Stéphane Junique – Cette association d’acteurs de différents domaines autour d’un même objectif permet à une collectivité de disposer, pour la première fois, d’un ensemble de dispositifs technologiques et de liens sociaux qui se complètent et se renforcent. En proposant une approche digitale innovante de plateforme numérique, des architectures ouvertes, des combinaisons des solutions physiques et digitales, la valeur dégagée de ces nouveaux modèles est mise au service des citoyens. Le groupement porte ainsi un projet sociétal ancré dans le territoire d’Angers Loire métropole avec des services de santé et de bien-être. Pour nous, il s’agit d’une opportunité pour amplifier la démarche d’inclusion et d’innovation sociale déjà débutée par les services d’Angers Loire métropole et des communes du territoire. Ce programme s’applique notamment à des publics fragilisés par des problèmes de santé, d’âge ou de handicap. Le principal défi est de répondre concrètement aux besoins des habitants de façon efficace et personnalisée. En ce sens, nous pensons que la clef est l’interopérabilité des éco-systèmes des différents partenaires tout en plaçant le citoyen au centre du dispositif, base essentielle de la confiance dans l’utilisation des services.

Au sein du socle numérique fourni dans le cadre du marché public passé entre Angers Loire métropole et le consortium, une plateforme de confiance numérique (e-PIC) a été développée et fournie par le groupe VYV (auquel appartient Harmonie mutuelle) pour le volet santé et mieux-vivre. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette plateforme et son apport pour le territoire intelligent ?

Stéphane Junique – Notre plateforme e-PiC (e-plateforme d’interopérabilité et de confiance) est un socle qui – dès sa conception – a été prévu pour être interopérable avec des partenaires du public et du privé. Décliné pour Angers Loire métropole à horizon 2022, e-PIC permettra, d’une manière plus générale, d’envisager des services personnalisés aux citoyens par croisement de données dans un environnement sécurisé. Une attention particulière est portée sur le cadre de confiance dans l’utilisation des données personnelles. Par exemple, le consentement éclairé et la transparence auprès des citoyens-utilisateurs sont au cœur de l’approche.

Christophe Béchu – La plateforme numérique de confiance va permettre d’assurer un parcours personnalisé pour l’ensemble des habitants qui le souhaitent, car elle doit recueillir le consentement de la personne pour que soient utilisées les données qu’elle a transmises (âge, habitudes de vie, composition de la cellule familiale, etc.) et que soit garantie une totale sécurité des données mobilisées. Si la personne le souhaite, la plateforme lui transmettra des informations adaptées, par exemple, les dates des campagnes de vaccination, les bienfaits de l’activité physique, l’alimentation, les animations, les conférences, etc. Il sera possible également de les accompagner ou de les orienter vers des réponses de soins ou leur transmettre des informations qui leur seraient utiles. Un exemple : la pollution atmosphérique et le risque pollinique pour un habitant asthmatique ou allergique.

L’un des vrais enjeux, selon Christophe Béchu, c’est comment nous partageons avec certains de nos partenaires, publics ou privés, des données qui peuvent servir à la création de nouveaux services ?

Un deuxième axe de cette offre consiste à identifier et mettre en place de nouveaux services santé et bien-être s’appuyant sur cette plateforme. Pouvez-vous en dire plus sur les perspectives à envisager en termes de nouveaux services et d’impacts attendus sur la politique de prévention santé du territoire ?

Christophe Béchu – En effet, la plateforme peut être aussi un moyen de récolter et de mobiliser des informations et des moyens utiles aux décideurs et aux habitants. On peut imaginer développer la connaissance de l’offre de services en santé sur le territoire grâce à la mise en place d’un observatoire, à la création d’une plateforme de type Doctolib ou à la possibilité d’avoir recours à la téléconsultation. On peut également envisager de nouveaux usages : informer sur la qualité de l’air extérieur et intérieur, mieux repérer et gérer les situations de détresse avec un dispositif « Je signale ou je me signale », mieux aider à l’accessibilité des personnes en situation de handicap. Les applications sont multiples. Il y a celles auxquelles nous pensons spontanément, il y a surtout celles qui se feront jour lors des échanges que nous aurons avec les habitants, avec les associations ou avec les professionnels. Le territoire intelligent, c’est une concertation permanente.

Stéphane Junique – Dans une deuxième phase, et en lien avec le contrat local de santé du territoire, l’agglomération d’Angers identifiera de nouveaux services santé et bien-être, à la suite de travaux participatifs impliquant les habitants. À titre indicatif, nous pouvons envisager différents cas d’usages : faciliter la connaissance de l’offre santé du territoire et une orientation personnalisée vers les services (la bonne information au bon moment) ; des informations et accompagnements personnalisés en liaison avec le centre communal d’action sociale, par exemple, à destination de seniors, de personnes fragilisées ou isolées, lors d’une période de canicule ou autre ; des conseils personnalisés et des itinéraires adaptés avec le croisement d’indices de qualité de l’air et de données de santé pour les personnes souffrant de problèmes respiratoires ; ou encore l’optimisation des solutions de maintien à domicile.

Quels sont, pour vous, les grands principes fondateurs à observer, permettant d’aboutir à un consentement éclairé des usagers vos administrés et adhérents autour de ces nouveaux outils ? Quels sont les points de vigilance principaux importants à ce stade ?

Christophe Béchu – Ces dernières années, nous avons renforcé notre sécurité informatique et consolidé notre organisation interne, parce que c’était nécessaire. Le projet de territoire intelligent nous impose d’aller plus loin. En plus de la gestion stricte du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui est rattachée directement au service juridique de la collectivité, nous avons créé plusieurs postes, notamment un de responsable de la sécurité des systèmes informatiques (RRSI). Là aussi, le territoire intelligent joue son rôle d’accélérateur. L’un des vrais enjeux, c’est comment nous partageons avec certains de nos partenaires, publics ou privés, des données qui peuvent servir à la création de nouveaux services ? On peut imaginer qu’un opérateur de vélos en libre-service et la communauté urbaine travaillent ensemble afin d’améliorer les déplacements doux sur son territoire, et que des données soient échangées à cette occasion. Est-ce que cette collaboration se fait par convention ? Faut-il établir une charte d’éthique ? Il nous faut répondre à ces problématiques en trouvant le bon équilibre.

Stéphane Junique – Chez Harmonie mutuelle, par exemple, les adhérents ont été sollicités dans une démarche de conférence de consensus sur les garanties à apporter, les conditions et les modalités de leur association sur le thème de l’utilisation de leurs données personnelles. Celle-ci a permis l’expression de recommandations auxquelles nous avons répondues par l’adoption d’une charte éthique sur l’usage des données. Cette expérience se retrouve dans les principes retenus dans la plateforme à travers en particulier : un respect des données sensibles concernant les habitants ; une gestion transparente des consentements des bénéficiaires dans l’usage de leurs données personnelles et de santé ; un croisement en toute sécurité de différentes sources de données ; un accès facilité à des parcours e-santé professionnels de santé et des services d’Angers Loire métropole.

Quels sont dans vos contextes respectifs les métiers stratégiques de demain, qui devront être déployés et renforcés dans la gouvernance des données numériques ? Et quels sont dans ce cas les référentiels communs sur lesquels travailler entre acteurs publics et privés ?

Stéphane Junique – Les projets innovants de ce type requièrent avant tout un état d’esprit agile, tourné vers les utilisateurs finaux, et des profils formés à cette approche. En l’occurrence, le projet de plateforme digitale du groupe intègre cette dimension méthodologique qui permet de favoriser la co-création et de rapprocher les différentes parties prenantes : structures technologiques, partenaires, directions métier des territoires, représentants des collectivités ou citoyens. Ensuite, au-delà des profils formés aux nouveaux modèles ouverts de plateformes digitales, les métiers permettant la mise en qualité de données et leur exploitation sont essentiels. Une démarche de gouvernance des données numériques appliquée à un territoire doit aussi se baser sur des travaux de nomenclature communes et standards. Cela doit favoriser, par exemple, une meilleure intégration de parcours citoyens se basant sur des ressources privé-public, notamment en santé et bien-être, thèmes de parcours digitaux fluides et sécurisés sur lesquels le groupe travaille. Autant de métiers relatifs aux parcours digitaux, à la donnée et des profils multi-compétences à promouvoir.

Christophe Béchu – Nous touchons là l’un des points sensibles de notre projet de territoire intelligent, à savoir les données, leur collecte, leur préservation, leur sécurisation. Je vais être très clair : toutes les données que nous collecterons seront et resteront la propriété de la collectivité. Il n’est pas question de les céder à un tiers, quel qu’il soit, qui pourrait en faire une exploitation commerciale. Ceci n’est pas envisageable ! C’est le contrat que nous passons avec les habitants d’Angers Loire métropole et pour lequel il n’y aura pas de dérogation possible. Dans le consortium conduit par Engie figure La Poste. Via l’une de ses filiales, Docaposte, c’est elle qui sera chargée de stocker et de protéger toutes ces données qui seront anonymisées. La Poste est un partenaire public en qui nous avons entièrement confiance, présent sur l’ensemble du territoire français et qui, par sa proximité, est au contact direct et permanent des habitants. Cela me semble être une caution supplémentaire.

Chez Harmonie mutuelle, par exemple, les adhérents ont été sollicités dans une démarche de conférence de consensus sur les garanties à apporter, les conditions et les modalités de leur association sur le thème de l’utilisation de leurs données personnelles, précise Stéphane Junique.

Si vous deviez vous projeter dans dix ans, quels seraient pour vous les impacts les plus importants en termes d’utilité commune et publique ouverts par un meilleur pilotage des données de territoire ? Quels seraient les risques les plus importants liés à leur mésusage ou non usage, à anticiper dès aujourd’hui ?

Christophe Béchu – Le projet de territoire intelligent d’Angers Loire métropole, c’est un MGP de 178 millions d’euros – dont une tranche ferme de 120 millions d’euros – qui court sur douze ans. Les économies sur vingt-cinq ans sont estimées à 100 millions d’euros. Comme je l’ai dit, notre territoire intelligent doit être un accélérateur de la transition écologique que nous avons engagé ces dernières années. Il doit permettre à notre territoire d’être plus durable, plus responsable et plus respectueux de l’environnement. L’objectif, c’est d’économiser les ressources et de rationaliser leur utilisation, qu’il s’agisse de l’éclairage public, de l’eau, de la gestion des déchets, des espaces verts, des déplacements. L’environnement est un enjeu citoyen, ils concernent tous les acteurs de notre société. L’important est de maintenir en permanence un équilibre entre, d’un côté, l’action et l’intérêt publics et, de l’autre, la puissance et la dynamique que le privé va nous apporter.

Stéphane Junique – Nous pourrons être fiers si le mieux vivre sur le territoire est effectif, si les services de prévention santé et d’accompagnement pourront être apportés de façon coordonnée, immédiate, pertinente au plus près des besoins, en bref apporter le bon service au bon moment à l’habitant en s’appuyant au mieux sur les ressources et acteurs du territoire. Un impact serait, par exemple, d’avoir rendu le territoire plus facile à vivre pour les citoyens fragiles (seniors, porteurs d’un handicap, malades chroniques, etc.) et leurs aidants, de gérer avec réactivité et efficacité les situations d’urgence telles que les plans canicules, qui nécessitent un suivi plus intense et mobilisent fortement. Le plus grand risque serait de ne pas réussir à embarquer les habitants dans le projet, par incompréhension ou par défiance. Aussi l’investissement en termes de transparence, de pédagogie, de dialogue doit venir compléter utilement les choix techniques pris pour garantir le consentement éclairé et le respect et la protection des données du citoyen. Ces nouveaux usages, outils digitaux innovants et principes de partage constituent de nouveaux paradigmes. Aussi la démarche d’acculturation au numérique qui va être engagée par le territoire d’Angers Loire métropole est essentielle à la réussite de tels projets.

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