Transformation numérique : quels métiers publics pour demain ?

rapport métiers publics de demain
Le 8 février 2019

Plus de 70 % des effectifs de la fonction publique d’État et hospitalière pourraient voir leurs métiers sensiblement – voire radicalement – transformés par le numérique. C’est ce qui ressort de l’étude prospective « Transformation numérique : dessinons les métiers publics de demain ! », publiée fin 2018 par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Les métiers d’infirmier, d’agent de sécurité, de greffier, d’agent d’accueil ou encore d’enseignant, retenus comme illustrations de cette étude prospective, pourraient ainsi connaître des évolutions radicales dans la manière d’exercer leurs tâches quotidiennes avec le numérique.

Cette étude prospective est une exploration des impacts et du potentiel de la transformation numérique sur les métiers des agents publics, selon le prisme de leurs activités et tâches quotidiennes. Elle cherche à analyser, pour seize grandes familles de métiers, les potentiels offerts par le numérique et les perspectives d’évolution du métier que l’utilisation du numérique pourrait dessiner.

Il apparaît ainsi que plus de 70 % des effectifs de la fonction publique d’État et hospitalière pourraient voir leurs métiers sensiblement – voire radicalement – transformés par le numérique.

La transformation de l’État passera par une transformation numérique : cela ne fait plus aujourd’hui débat. C’est devenu une attente des citoyens, une conviction profonde des agents publics et un axe assumé des programmes de transformation. Pour autant, les citoyens et les acteurs publics eux-mêmes entretiennent un rapport ambivalent avec cette transformation numérique. L’État, qui a pourtant un long historique de déploiement de ses systèmes d’information et de digitalisation des démarches des services publics, apparaît bien souvent comme impuissant face à une transformation dont il devrait s’inspirer ; tandis que les citoyens et agents, s’ils sont conscients des potentialités offertes par le numérique, craignent l’éloignement des services pour les uns, et déplorent trop souvent la qualité des équipements pour les autres.

Ce rapport ambivalent est alimenté par l’absence d’un discours clair, assumé et partagé sur l’avenir des métiers des agents publics et sur le sens que prend la transformation numérique. Bien que de nombreuses études annoncent une transformation massive des métiers, comme l’université d’Oxford qui prédisait 2013 la disparition de 47 % des emplois américains en vingt ans ou le cabinet McKinsey qui en 2017 entrevoyait la possibilité d’automatiser une partie des tâches de la moitié des métiers en Europe occidentale, aucune n’a encore ouvert le débat sur les métiers publics.

En effet, aucune étude d’envergure n’a été réalisée dans le secteur public, faute de données consolidées sur les métiers, leurs effectifs ou leur répartition, les employés du secteur public étant « classés » par catégorie et statut. Les rares analyses consacrées au sujet restent génériques, sans aborder les métiers selon leurs activités spécifiques. C’est à cela que l’étude menée par la DITP cherche à remédier.

16 familles de métiers étudiées

Avant de faire l’analyse des métiers publics, il a fallu établir une catégorisation des métiers de la fonction publique et les regrouper en quelques grandes familles. Réduisant son périmètre d’analyse aux sphères étatiques et hospitalières, Fonction publique d’État (FPE), Fonction publique hospitalière (FPH) et Établissements publics et administratifs (EPA), l’étude a utilisé différentes méthodes de regroupement des données afin de dégager 16 grandes familles de métier cohérentes, représentant 94 % de l’effectif considéré.

Chacune de ces familles de métiers a alors été divisée en un ensemble de tâches simples, caractérisées selon qu’elles étaient plus ou moins chronophages et plus ou moins complexes. Il est alors devenu possible d’identifier des leviers numériques pertinents pour l’évolution de ces activités, issus de 50 familles technologiques, comme la gestion de la donnée ou l’internet des objets, afin d’en déduire les potentiels de transformation de chaque famille de métier. Cet exercice de projection permet de dessiner une « vision cible » possible pour le métier, tirant parti des opportunités offertes par le numérique et de mettre en lumière les freins et les risques associés à de telles évolutions.

70 % des effectifs au sein de métiers présentant un potentiel de transformation substantiel

De ces premières analyses, il ressort que plus de 70 % des effectifs parmi les plus de 3,5 millions d’agents du périmètre de l’étude pourraient voir l’exercice de leur métier sensiblement, voire radicalement, transformé grâce au numérique : enseignants, infirmiers, forces de sécurité, métiers administratifs et de l’accueil mais aussi médecins, chercheurs, militaires ou personnels d’encadrement seraient les plus concernés. Bien loin d’évolutions qui se limiteraient à la dématérialisation ou à l’automatisation des tâches au sein des fonctions supports, des perspectives positives de transformation profonde semblent ainsi s’ouvrir pour tous les agents, notamment au sein de métiers opérationnels et de terrain comme ceux de l’éducation, de la santé, de la sécurité, et qui constituent le cœur du service public.

Dans l’ensemble, si l’on cherche à résumer les voies de transformation mises en évidence, il s’agirait certes d’automatiser les tâches les plus répétitives, notamment grâce à la numérisation des process et aux technologies dites de « RPA » (Robotic process automation)1 ou encore à l’introduction de chatbots2 pour les premiers niveaux de relation à l’usager. Mais il s’agirait surtout de fournir automatiquement aux agents les données, les analyses et les simulations dont ils ont besoin au quotidien, grâce notamment à l’équipement mobile des agents ou à des outils d’intelligence artificielle pour effectuer des recherches et fournir des suggestions adaptées. Il est alors possible de mieux préparer le travail de terrain et les interactions avec les usagers et de dégager plus de temps pour ces interactions, afin que celles-ci soient mieux ciblées et plus personnalisées. Ce double mouvement pourrait donc se faire au profit d’un recentrage sur le cœur du métier et du service dispensé, comme le montrent les exemples des métiers d’enseignant, d’infirmier ou encore de greffier.

Enseignant, infirmier et greffier : redonner du temps à la relation avec l’usager

dessin enseignant

Représentant à lui seul plus d’un million d’agents en France, le métier d’enseignant connaîtra assurément de profondes transformations avec le développement du numérique. Le développement d’écosystèmes de type classe connectée consistant à interfacer, sur une plateforme, les différentes composantes de l’enseignement et de la vie de la classe (tableau numérique et applications mobiles, supports de cours et exercices disponibles en ligne, module de communication avec les parents d’élèves et entre professeurs et élèves, autoévaluation et évaluation entre pairs par les élèves, forums collaboratifs entre élèves, possibilité de soumettre des travaux en ligne, etc.) pourrait entraîner en effet des changements profonds dans les méthodes de travail des enseignants, plus collectives et collaboratives, avec les élèves, les parents et leurs pairs. Le lien avec les élèves, s’il devient plus numérisé, pourrait surtout être plus individuel. En effet, grâce à l’automatisation via le RPA d’une partie de la correction des exercices et grâce à des techniques d’intelligence artificielle d’analyse personnalisée des résultats et des parcours de l’élève, l’enseignant pourrait dispenser plus facilement un enseignement plus personnalisé, quasi « sur-mesure ».

Si l’enseignant pourrait voir sa relation avec les élèves réinventée au service de plus de personnalisation, l’infirmier pourrait, quant à lui, augmenter le temps consacré aux soins et à la relation aux patients. Actuellement, les activités des infirmiers sont marquées par de nombreuses interruptions de tâches, allers-retours avec les systèmes d’information et saisie des données sur les patients, venant altérer la qualité des soins rendus et le confort des patients. Ces tâches pourraient gagner en fluidité grâce à l’automatisation des rapports médicaux et de la chaîne de délivrance des médicaments, ou à la diffusion d’objets connectés donnant des informations directement dans le dossier médical et renseignant en temps réel sur l’état du patient. Soulagé de l’enregistrement des étapes du parcours de soin, l’infirmier adopterait une nouvelle posture de coordinateur du parcours de soin, fluidifiant sa relation avec les autres professionnels de la santé.

L’analyse du métier de greffier illustre aussi les potentialités de transformation des métiers publics qui peuvent se dessiner. La numérisation des chaînes de procédures civiles et pénales, intégrant des formats multimédias, les technologies d’automatisation, y compris à base de reconnaissance vocale et la rédaction automatique de projets d’actes ou de courriers pourraient dégager le greffier des tâches d’enregistrement de la procédure. Dans la relation avec le public, de nombreuses informations et réponses de premier niveau pourraient être rendues disponibles en ligne, voire valorisées par chatbot. En outre, l’usage de l’intelligence artificielle pourrait faire émerger des méthodes de recherche juridique augmentée, mettant en avant des suggestions adaptées aux cas en cours. Ainsi, de manière générale, le greffier se recentrerait sur son rôle d’assistance des magistrats et d’accompagnement des justiciables. Cet accompagnement serait plus qualitatif et davantage centré sur les personnes les plus fragiles, que l’activité judiciaire conduit souvent à prendre en charge. Toutes ces possibilités pointent vers des changements significatifs dans la pratique quotidienne et la culture du métier.

Des potentiels réalistes à 5 ans, qui peuvent être source de discussion et d’inspiration

Ces potentialités ne relèvent pas de la science-fiction : elles s’appuient sur des leviers numériques mûrs, déjà déployés dans des entreprises privées, ou certaines administrations. Une vision du métier construite à partir des briques numériques identifiées peut constituer une cible atteignable sous 5 ans de manière réaliste.

Néanmoins, il s’agit bien évidemment d’une première approche, dont la granularité mérite d’être affinée par chaque administration et les analyses plus finement confrontées à la réalité des métiers des agents. C’est donc avant tout un objet de discussion que cette étude met sur la table.

Car activer ce potentiel n’a rien d’automatique. La transformation numérique présente des risques et rencontre des obstacles. Il faut les analyser et être en mesure de dessiner, pour chaque métier, une vision ambitieuse et cohérente, en privilégiant une approche centrée sur le métier dans son ensemble, comme l’ont déjà fait certains acteurs du privé et du public. Ces acteurs ont déjà entrepris des déploiements d’envergure et décidé de déclencher de véritables « bascules numériques » de leurs métiers, comme la SNCF, qui a révolutionné le métier des 12 000 agents chargés de la surveillance des installations ferroviaires.

De telles approches, centrées sur les métiers, ouvrent des voies plus directes de co-construction de la transformation, et dessinent une vision susceptible d’embarquer les agents et de les rendre acteurs de la transformation, à l’inverse d’une logique d’évolutions strictement techniques, parfois subies et dépourvues de sens. Surtout ces approches permettent de mieux anticiper les impacts des nouveaux outils numériques et de mettre en place des démarches complètes de Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). En un mot, elles permettent d’accompagner la transformation.

Plusieurs maîtres-mots pour les administrations

Le sujet de l’impact et du potentiel de la transformation numérique sur et pour les métiers n’est pas encore pris à bras-le-corps au sein des administrations. Cela ne signifie pas que rien n’est fait, mais, pour éviter que trop d’administrations ne ratent le coche d’une transformation numérique réussie, se dégagent de cette étude plusieurs maîtres-mots dont devrait se saisir chaque administration :

  • oser réinterroger les métiers à l’aune du numérique et partager largement sur l’avenir des métiers ;
  • mieux connaître ses métiers et ses compétences ;
  • dessiner et prioriser ses trajectoires numériques en lien avec les métiers ;
  • se doter de véritables outils de GPEC et d’accompagnement RH ;
  • partager ses expériences de transformation numérique et se nourrir de celles des autres.

Telles sont les conditions pour que la transformation numérique soit à la hauteur des formidables promesses qu’elle dessine et permette de réinventer les métiers des agents publics, au service du cœur de leurs missions.

Pour aller plus loin

Lire l'étude : Transformation publique, dessinons les métiers publics de demain !

• Contact : transformation.ditp@modernisation.gouv.fr

1. Le RPA (Robotic process automation) désigne l’ensemble des technologies facilitant l’automatisation des processus. Un programme de type RPA exécute automatiquement des routines qui sollicitent des bases de données et des applicatifs séparés, prenant le contrôle des programmes de l’ordinateur de la même manière qu’une macro prend le contrôle des différents onglets d’un tableur. Un tel programme s’insère donc dans les systèmes d’information existants de manière non intrusive et est rapidement déployable.
2. Un chatbot, ou « agent conversationnel » (parfois « assistant conversationnel »), est un programme qui converse avec une personne de manière automatique, afin de répondre à ses questions et de le renseigner. Il est capable de répondre aux questions récurrentes des usagers en s’appuyant sur une arborescence de questions-réponses prédéfinies et/ou en apprenant sous la supervision d’un agent grâce à des technologies d’intelligence artificielle.

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